Le Parlement algérien vote un texte qualifiant la colonisation française de "crime d'État"
C'est un tournant diplomatique et mémoriel majeur qui vient de se jouer de l'autre côté de la Méditerranée. L'Assemblée populaire nationale (APN) a voté ce mercredi un texte de loi qui risque de redéfinir durablement les rapports entre nos deux pays. En qualifiant officiellement la période coloniale (1830-1962) de "crime d'État imprescriptible", les députés algériens posent un ultimatum moral et juridique à la France. La nouvelle a été rapportée par l'AFP.
Une qualification juridique lourde de sens
Le texte adopté ne laisse place à aucune ambiguïté sémantique. Il dresse une liste exhaustive d'actes commis durant les 132 années de présence française, les classant désormais dans la catégorie juridique la plus grave possible. Parmi les faits incriminés figurent une trentaine de crimes contre l'humanité, incluant les massacres de populations, la torture systémique, les pillages, ainsi que les essais nucléaires réalisés dans le Sahara.
La loi va plus loin que la simple symbolique : elle pose des exigences matérielles précises, incluant l'indemnisation des victimes de la colonisation en Algérie, qu'il s'agisse des conséquences physiques des conflits ou des séquelles environnementales. Le texte mentionne spécifiquement la nécessité de décontaminer les sites d'essais nucléaires comme ceux de Reggane et In Ekker, une revendication portée depuis des décennies par les associations de victimes.
Une portée symbolique avant d'être légale
Si le vote est retentissant, il convient de distinguer la volonté politique de la réalité du droit international pour saisir la portée juridique et politique de la loi algérienne. Pour le régime du président Tebboune, le message est destiné à souder la nation autour d'une narration unique. "C'est un acte souverain par excellence", a martelé Brahim Boughali, président de l'APN, ajoutant que "la mémoire nationale algérienne n'est ni effaçable, ni négociable", cité par l'agence APS, comme le rapporte La Provence.
Cependant, l'application concrète de ce texte hors des frontières algériennes reste hypothétique. Comme l'explique Hosni Kitouni, chercheur en histoire de la période coloniale à l'université britannique d'Exeter, "juridiquement, cette loi n'a aucune portée internationale et ne peut donc obliger la France", précise-t-il dans les colonnes de Libération. Il s'agit avant tout d'un outil de pression.
Un blocage diplomatique quasi inévitable
Les conséquences pourraient être immédiates sur la coopération bilatérale. Le texte stipule en effet qu'aucun accord ne pourra être conclu avec la France tant que les conditions de reconnaissance des crimes ne seront pas réunies. Cette clause de conditionnalité menace de geler de nombreux dossiers, de l'économie à la gestion des flux migratoires, dans un contexte déjà marqué par de fortes tensions diplomatiques.
Face à cette offensive législative, Paris a choisi la prudence, voire le silence. Interrogé sur ce vote, le porte-parole du Quai d'Orsay a refusé de commenter, arguant qu'il s'agit de « débats politiques qui se passent dans les pays étrangers », indique l'AFP. Cette fin de non-recevoir augure mal de l'avenir des relations franco-algériennes après le vote sur la colonisation, alors que cette initiative algérienne se veut aussi une réponse directe à la loi française de 2005 qui évoquait le "rôle positif" de la présence française outre-mer.