Pourquoi faut-il investir dans l'or même si son cours est au plus haut ?
A l'heure où nous écrivons ces lignes, le cours de l'or est à plus de 4 338 dollars l'once, soit environ 3 704 euros les... 28 grammes. Le métal précieux bat des records. En ces temps incertains, les investisseurs se ruent sur les pièces et lingots de toutes valeurs. Pourquoi cette frénésie touche jusqu'aux simples particuliers, et pourquoi acheter au plus haut s'il peut être par la suite difficile de faire une plus-value ?
Nous avons interrogé Jean-François Faure, président-fondateur d'AuCoffre : une plateforme d'achat/revente d'or entre particuliers créée en 2009 qui a la particularité d'assurer le stockage dans un lieu ultra sécurisé pour ses clients. "Notre société a été créée afin de démocratiser et rendre plus accessibles les métaux précieux comme alternative aux banques, en dehors du système bancaire et du contrôle par les Etats" peut-on lire sur le site. Cette dernière phrase ne signifie pas que ce système est opaque, mais au contraire qu'il est plus sûr pour l'investisseur ! Entretien.
L'or : l'investissement le plus ancien du monde
Planet.fr : Cette hausse continue de la demande en or, est-il un signe d’une perte de confiance envers les placements traditionnels ?
Jean-François Faure : Pour moi, ce qu'on appelle "placements" ou "investissements traditionnels", c'est l'or, l'immobilier et l'assurance vie. Et l'or, même si c'est mon quotidien, c'est une forme d'investissement qui a été pendant très longtemps plutôt atypique. C'est à la fois ancestral et nouveau.
Ancestral, parce que globalement depuis 5 000 ans, c'est une monnaie, la plus vieille du monde, et à l'instant où l'on se parle, c'est à nouveau une monnaie. C'est la deuxième "devise" stockée par les banques centrales après le dollar, et devant l'euro. L'or aujourd'hui, auprès des banques, dépasse les bons du trésor américains.
Planet.fr : A ce point ? Ces fameux bons du trésor sont pourtant réputés comme une "valeur refuge" inégalée.
Jean-François Faure : Eh oui ! Cela ne s'était pas vu depuis 1996. L'or se redécouvre, et se remonétise. Il est passé de atypique et marginal (années 90-2000) a beaucoup plus intéressant pour les investisseurs au début des années 2000, quand ils ont vu que ce n'est pas que avec les "dot.com" (la bulle Internet, Ndlr), qu'ils deviendraient millionnaires et qu'il leur fallait aussi une sécurité. Il y également eu le 11 Septembre, qui les a convaincus que la "géopolitique" pouvait à nouveau rendre le monde instable.
L'or : une sécurité dans un monde instable
Planet.fr : C'est pour ce genre de raisons qu'on parle de l'or à nouveau comme d'une valeur refuge, même en France ?
Jean-François Faure : Globalement, dans ce monde volatil, complexe, voire un peu dangereux, l'or est une réponse. Il apporte de la stabilité, c'est une solution de sécurité financière déjà vue, déjà connue, un peu rassurante. Pourquoi on en est là : comme je le disais, l'or a été une monnaie, avec laquelle on n'a jamais vraiment perdu le lien.
Les Français jusqu'en 1914 utilisaient des Napoléon de 10 ou 20 francs comme une monnaie, certes c'était l'équivalent d'un billet de 500 euros mais ça existait. Le général de Gaulle a réintroduit le sujet de l'or dans les années 50-60, on a une pièce emblématique qui est le Napoléon que tous nos parents et grands-parents ont bien connu et qu'ils ont pu nous donner. Certains pays ne connaissent pas ça. Le Français a un attachement particulier à l'or et à la pièce. L'emblème de leur enfance, c'est pas le lingot, c'est une pièce, un "truc" rond, sur lequel il y a marqué "francs."
Planet.fr : Pourtant on a l'impression que ce n'est pas accessible aux particuliers.
Jean-François Faure : Au contraire, cet exemple montre que ça a un sens monétaire. Et ça tombe bien : la Banque de France, dans ses actifs, a encore 2 400 tonnes d'or, le FMI a de l'or, la FED a de l'or, les grandes banques centrales ont de l'or, et elles ne possèdent pas tant d'actifs que ça. Aujourd'hui le public redécouvre l'or. Regardez ceux qui s'intéressent aux cryptomonnaies : il font forcément à un moment ou autre la comparaison d'un bitcoin maximaliste avec l'or, pour tenter de faire exister ou faire émerger le bitcoin.
On ne peut pas faire dire au bitcoin ce qu'il ne peut pas dire. Donc chaque fois qu'on parle des cryptos on parle de l'or aussi. L'or c'est aujourd'hui cet actif, qui n'est pas une devise d'un Etat, qui est non manipulable. Evidemment si les Américains vendent 30 000 tonnes d'or, son cours est divisé par deux, mais immédiatement les Chinois vont racheter ces 30 000 tonnes. Au XIXe siècle, il y a eu d'énormes découvertes d'or, ça n'a pas fait s'effondrer la monnaie.
L'or : une épargne comme les autres ?
Planet.fr : En somme, quoi qu'il arrive, l'or reste le plus fort ?
Jean-François Faure : La magie de l'or, c'est qu'elle a toujours réussi à faire "matcher" l'offre et la demande, de manière assez naturelle. Aujourd'hui, on en est là.
Planet.fr : Est-ce qu'on peut qualifier l'or de vraie "épargne" ou est-ce "juste" une sécurité ?
Jean-François Faure : Tout dépend de ce que vous sous-entendez par épargne. L'or n'est pas l'ennemi de l'immobilier, ni de l'assurance vie. Ce n'est même pas l'ennemi de vos euros. C'est, par rapport à votre épargne, ce que votre assurance incendie est à votre maison, ou à votre voiture en cas d'accident. C'est une nécessité.
Je vous donne un exemple : quand vous avez une présidente de banque centrale qui vous dit que tout va bien, que l'inflation est à 2 %, ça veut dire qu'une personne d'autorité vous fait comprendre qu'il est acceptable que votre monnaie perde 2 % de valeur tous les ans ! Tous les ans, avec une même somme vous achèterez 2 % en moins de choses... L'or lui est sur un modèle de fonctionnement qui n'est pas associé à la valeur des monnaies, même si son cours fluctue : ce cours représente la transcription en valeur euros ou en valeur dollars de celle intrinsèque de l'or. C'est un peu comme la différence entre le poids et la masse, il ne faut pas confondre les deux.
Planet.fr : Là, cela devient difficile à matérialiser pour un novice... Avez-vous des exemples concrets ?
Jean-François Faure : Pour simplifier, l'or a la même valeur absolue depuis 5 000 ans. Au départ une once d'or permet d'acheter une vache. Depuis 100 ans, l'once d'alors étant plutôt l'équivalent d'un kilo, elle permet d'acheter une belle voiture. Depuis 100 ans, un Napoléon de 20 francs permet d'acheter un beau vélo. L'or est la réconciliation entre un travailleur qui va l'extraire et au autre travailleur qui va s'en servir pour acheter un beau bijou.
C'est la réconciliation non pas, d'une valeur devise, mais d'une valeur travail. La réconciliation entre ces deux travailleurs qui ont le même style de travail sauf qui ne l'exercent pas dans le même pays, ça représente l'offre et la demande et ça fixe le cours de l'or. Et c'est la même valeur depuis que l'Homme travaille avec ses mains.
"L'or, moins vous êtes riche, plus il faut en avoir"
Planet.fr : Donc la fluctuation n'impacte pas vraiment la valeur "réelle" de l'or ?
Jean-François Faure : Ces fluctuations se transcrivent en euros, en dollars, en bitcoins ou autres, mais l'or repose sur ce genre d'équilibre, que je viens d'évoquer. L'or, moins vous êtes riche et plus il faut en avoir. Pourquoi ? Quand on n'a pas une énorme surface financière, ce qui généralement signifie qu'elle est peu diversifiée, cela veut dire qu'en bon français que se respecte, vous avez votre compte à vue, en espérant qu'il ne soit pas trop à découvert, et, même si vous êtes au SMIC, un livret d'épargne. Sauf qu'il vous faut de l'or, car vous pensez que votre livret d'épargne vous rapporte alors qu'il vous fait perdre de l'argent tous les ans.
Planet.fr : Pour quelle raison ?
Jean-François Faure : Parce qu'aujourd'hui les intérêts réels sont inférieurs à la valorisation du coût des choses (sic). Si vous avez une enveloppe de 100, c'est acceptable quand vous n'êtes pas trop fortuné d'avoir 80 sous forme d'euros, et 20 % en or.
Planet.fr : Pour un particulier, acheter tous les mois 20 ou 30 euros d'or plutôt que de les mettre sur un livret, ça vaut le coup ?
Jean-François Faure : Oui, et ça marche très bien. L'or (et les Indiens nous le prouvent tous les jours), n'est pas à la base pensé pour les riches, il est pensé pour le gens les moins fortunés, qui seraient très vite eux les plus agressés par des fluctuations monétaires. Quelqu'un qui a une fortune, qui est nécessairement diversifiée, que l'euro parte à la baisse n'est pas catastrophique : il va avoir du franc suisse, du dollar, des obligations américaines et européennes, du bitcoin... S'il y en a un qui tombe il va y en avoir un pour le relever.
Le Français moyen, qui n'est peut-être même pas encore propriétaire, et qui commence à mettre un peu de liquidités sur son compte parce qu'il voudrait contracter un prêt et aller voir son banquier pour acheter un bien immobilier, il est en train de perdre, de manière nette, entre 0,5 et 1 % tous les ans parce que son livret ne lui rapporte rien ou pas assez. L'or est là pour contrebalancer ça.
Planet.fr : L'or n'est donc pas l'investissement le plus prisé des élites ?
Jean-François Faure : Quand on est fortuné, on a été normalement été éduqué pour avoir une épargne diversifiée. On a son propre bien immobilier, un second qu'on met en location, car, c'est bête à dire, mais l'argent appelle l'argent, donc le banquier devient plus à même de vous prêter. On vous a ensuite conseillé de ne pas acheter que de l'immobilier donc vous investissez sur des actions, si vous vous y connaissez sur des obligations, etc. Vous avez un portefeuille équilibré et à la fin, l'or n'a pas besoin d'être là, de se battre sur tous les fronts en même temps. Quand la monnaie va perdre de la valeur, ce ne sera peut-être pas le cas de l'immobilier par exemple. Dans ce cas, 5 % d'or en patrimoine, c'est suffisant.
Planet.fr : Quel argument peut-on opposer au Français moyen qui a peur d'acheter et de voir ensuite le cours de l'or baisser ?
Jean-François Faure : Quand j'ai fondé AuCoffre en 2009, les gens, avec la crise, me disaient "le cours de l'or est à 700-900 euros, c'est trop haut, je ne vais pas en acheter car il va retomber." Aujourd'hui on est à 3 600 euros. Après, on a eu une période calme de 2011, la crise de l'euro étant finie, à 2018. Même le Brexit ou la première élection de Trump n'ont pas eu d'effet. En revanche à partir de 2019, ont commencé les tensions sino-américaines, les gens ont eu peur et le cours de l'or a battu son record de 2011. Et il y a eu le Covid...
Planet.fr : Justement, cette période mémorable peut-elle être un bon exemple pour démontrer l'intérêt de faire confiance à l'or ?
Jean-François Faure : L'imprévu total : le Covid. Les marchés s'écroulent de 40 %, le dollar est passé en négatif, le baril de pétrole a perdu 30 dollars, on était dans une période hors-normes. Les taux étaient négatifs : on vous donnait de l'argent pour emprunter de l'argent. Même un cancre comme la France était plus riche qu'avant... Puis il y a eu l'inflation due à la pandémie, l'inflation due à la guerre en Ukraine, celle due au 7 octobre 2023, celle due aux annonces de Trump... Globalement, tous les deux mois ou tous les six mois on a un évènement qui ne fait que renforcer l'or.
Planet.fr : Il reste donc sensible à la géopolitique ?
Jean-François Faure : Oui, mais systématiquement il se positionne sur une forme de plateau assez élevé. Et dès qu'il y a un évènement de ce genre, on rebat tout de suite un record. C'est vrai qu'en ce moment il plus sous la pressions des marchés financiers. Si demain le monde se calme, l'or va se consolider, car les monnaies vont reprendre de la valeur. Mais l'avenir est très incertain, Taïwan, ça peut être demain ou après-demain. On nous parle de guerre de haute intnsité en Europe... Moi j'ai l'impression d'être en 1912-1913... Ca c'est porteur pour l'or. Il n'y a pas véritablement de signal d'apaisement.
Planet.fr : Et ce phénomène, vous le constatez sur votre plateforme, au niveau des particuliers ?
Jean-François Faure : On le voit au niveau des dépôts comme des achats. Quand il y a eu la forte inflation en 2023, la hausse des taux, on a plutôt eu des gens vendeurs, car le cours était élevé, c'étaient des gens qui avaient besoin par exemple d'aider leurs enfants (le profil type du client d'AuCoffre est en majorité un homme de 55 ans, plutôt CSP+). Ils nous disaient "on aide nos enfants à s'acheter leur premier bien immobilier et mettre le pied à l'étrier, parce que c'est maintenant ou jamais et les banquiers refusent si on ne le fait pas."
Il me le disaient : "c'est le seul actif que je peux avoir aussi facilement, à un niveau aussi élevé, et je reviendrai plus tard." Et c'est ce qu'ils ont fait. Ils ont aidé les enfants et 6 moins ou 1 an plus tard il revenaient racheter de l'or. Car en 2024-2025, il y eu un retour de l'inquiétude, mais pour eux-mêmes. La dissolution a eu un effet dévastateur dans l'esprit des Français. En plein été nous avons vu des transactions se faire chez nous x 2, x 3, x 4 !
Planet.fr : Ce n'est donc pas fini vu l'incertitude qui perdure depuis ?
Jean-François Faure : En fait à chaque fois qu'il y avait une nouvelle annonce, comme "on a une Assemblée, on a un Premier ministre qui ressemble à quelque chose", ça se calmait un peu.. et ça repartait. Nous l'avons bien senti. C'est déconnecté du cours de l'or mais ça a un impact sur ce qu'on appelle la "prime des pièces." La valeur des pièces, au-delà de celle de l'or avait tendance à augmenter. Les gens étaient prêts à mettre plus cher pour acheter une pièce, à poids égal.
Une épargne moins intéressante : une aubaine pour l'or
Planet.fr : D'autant plus après les rumeurs qui circulaient quand à la tentation de l'exécutif de piocher dans l'épargne des Français. Ils se sont dit que l'or c'était du "solide" qu'on ne peut ponctionner ?
Jean-François Faure : C'est drôle, car notre nom AuCoffre, est un peu contre-intuitif à ce niveau-là : c'est nous le coffre. Quelque part nous sommes la "banque centrale" de nos clients. Mais ils ont compris que nous n'étions pas une banque et qu'en France, ça c'est nous qui leur rappelons mais c'est une réalité, l'or n'est pas un produit financier.
C'est la loi, et elle dit que l'or est libre d'achat, de commerce et de transport. C'est un bien meuble. Mais sans frontière, reconnu partout dans le monde. Aussi ils acceptent que leur or reste chez nous. C'est un peu particulier, ce n'est pas simple à saisir, ce n'est pas une assurance vie, qui elle l'est facilement. Aucune loi n'indique que l'or est saisissable ou alors il faudrait en créer une nouvelle.
Planet.fr : Avec la baisse des taux des livrets, des intérêts incertains sur les assurances vie justement, vous voyez des particulier changer d'habitude et délaisser ces produits pour l'or ?
Jean-François Faure : Oui clairement. On l'a vu avec l'assurance vie en effet, la décollecte arrive par vagues, on l'a vu aussi avec le Livret A en fonction des annonces. Les gens se disent alors "j'ai de de l'argent j'en fais quoi ? Il faut bien que je l'investisse quelque part si ce n'est pas à la banque." De manière naturelle, il se tournent vers l'or et viennent chez nous.