Suspension des retraites : la "lettre rectificative" qui peut tout changer

Publié par Matthieu Chauvin
le 21/10/2025
Sébastien Lecornu
abacapress
© Lafargue Raphaël/ABACA
Pour garantir la suspension de la réforme des retraites, qui ne figurait pas dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale déposé à l'Assemblée nationale le 14 octobre par Sébastien Sébastien Lecornu, il existe une arme méconnue : la "lettre rectificative." Mieux qu'un amendement, elle permet de modifier ou compléter un texte après coup. Explications.
 

Afin d’éviter la censure, le Premier ministre Sébastien Lecornu avait "promis" aux socialistes de suspendre la très contestée réforme des retraites de 2023, bloquant l'âge de départ à 62 ans et 9 mois. Mais comment inscrire cet engagement dans la loi sans risquer un nouveau blocage parlementaire ? Face à cette complexité, une procédure peu connue du grand public a refait surface par la voix du constitutionnaliste Benjamin Morel : la lettre rectificative. Méconnue car elle est issue, rapporte Le Point, d'une note de novembre 2024 publiée à l'époque par le secrétariat général du gouvernement (SGG). Cette note précise aussi que son usage doit rester "exceptionnel", et il est de fait très rare. Mais l'occasion était trop belle.

Une "troisième voie" pour sécuriser la promesse

L'option initiale du gouvernement était de tenter de faire passer la mesure en ajoutant un simple amendement au Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), présenté au Conseil des ministres et déposé à l'Assemblée le 14 octobre dernier. En effet, ce PLFSS n'incluait pas la suspension de la réforme, car elle n'avait été proposée que deux jours plus tard aux socialistes par Sébastien Lecornu... Une solution jugée risquée par de nombreux juristes, qui ont alerté sur la possibilité pour le Sénat, majoritairement favorable à la réforme de 2023, de rejeter cet amendement et ainsi condamner la suspension.

Benjamin Morel a ainsi suggéré une "troisième voie" : la lettre rectificative permet en effet de modifier ou compléter un texte même après l'avoir déposé devant une assemblée parlementaire. "Ce n’est pas prévu par la Constitution, c’est davantage une pratique validée par le Conseil constitutionnel" assure-t-il. Cette information n'a pas échappé aux oppositions favorables à l'abrogation pure et simple de la réforme. Comme le rapportent Le Parisien et Libération, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont ainsi demandé au Premier ministre de "déposer en urgence une lettre rectificative" pour garantir la viabilité juridique de la suspension des retraites. 

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L'article 47-1, un risque pour la suspension de la réforme ?

Si, par un heureux hasard, l'amendement était adopté, l'article 47-1 de la Constitution imposerait au Parlement un délai de 50 jours maximum pour voter le PLFSS dans son intégralité. Si ce délai était dépassé, le gouvernement pourrait appliquer son budget par ordonnances. Mais il pourrait en profiter pour retirer ensuite l'amendement au nez et à la barbe des socialistes et des oppositions. 

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La lettre rectificative change la donne. La suspension redeviendrait alors partie intégrante du projet, avant son examen qui était à l'origine prévu en séance publique prévu le 4 novembre. "Si le PLFSS originel était appliqué par ordonnance, il comprendrait alors la suspension de la réforme des retraites", résume ainsi Benjamin Morel, cité par La Croix. Eric Coquerel, député LFI et président de la Commission des Finances à l'Assemblée nationale voyait aussi dans cette lettre rectificative une opportunité.

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La suspension examinée jeudi en Conseil des ministres

Tout s'est accéléré d'un coup. Mardi 21 octobre, Sébastien Lecornu, en réponse au député PS Boris Vallaud à l'Assemblée nationale, a déclaré que "Le Conseil d’État a été saisi cette nuit d’une lettre rectificative et un Conseil des ministres aura lieu jeudi matin pour l’adopter" relate Le Figaro. Une demande... d'Eric Coquerel.

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Toujours à Boris Vallaud, le Premier ministre a affirmé : "Le débat doit avoir lieu ici même à l’Assemblée nationale, soit par un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale, mais je comprends qu’un doute s’empare de ces bancs."  Et confirmé que la suspension concernerait tant l'âge de départ que le nombre de trimestres.

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