Interview. Le refus d’héritage pour déficit : comment ça marche ?
Il y a quelques mois, nous avons eu connaissance du cas de Michel, bientôt 68 ans. Deuxième d'une fratrie de 5 enfants, son père était décédé depuis plusieurs années, sa mère malheureusement grabataire, placée en Ehpad. L'une de ses soeurs, lourdement handicapée mentale depuis la naissance, venait à son tour de décéder à l'âge de 64 ans, alors qu'elle était depuis longtemps elle-même placée dans un établissement spécialisé. Mais ni Michel, ni sa mère, sous tutelle, ni ses trois frères et soeurs restants, ne s'attendaient à pareille nouvelle au moment de rencontrer le notaire : le passif de la succession était d'environ 95 000 euros, principalement à cause des frais d'hospitalisation. Une somme impossible à régler, tous étant retraités précaires.
Refus d'héritage : jusqu'au plus lointain héritier
Le notaire propose alors une solution simple : le refus d'héritage. Qui n'est en réalité pas si simple, mais alors pas du tout, quand il y d'autres héritiers susceptibles de pouvoir éponger le passif : les enfants, par exemple, les petits-enfants, les neveux et petits-neveux... Ce même quand ils sont mineurs ! C'est pour cette raison que Michel nous a contactés : pour le reste de la famille et leurs enfants majeurs, les démarches sont simples. Il suffit de remplir le formulaire Cerfa 15828*05 "Renonciation à succession par une personne majeure" et de l'envoyer au tribunal d'instance dont dépendait la personne défunte, accompagné de justificatifs bien entendu. Après quelques semaines, si l'héritage présente un passif trop élevé, un courrier est envoyé autorisant sans problème la renonciation. Mais pour les mineurs, ça se complique.
Refus d'héritage : l'absurdité administrative pour les mineurs
Problème. Si Michel a quatre enfants majeurs, il a également deux petits enfants de 12 et 14 ans, derniers héritiers dans la hiérarchie de leur grand-tante. Et pour eux, la justice est beaucoup plus pointilleuse. Il a fallu en premier lieu remplir, pour chacun d'entre eux, le formulaire Cerfa 15811*03 de "Requête en renonciation à la succession au nom d'un enfant mineur" et l'envoyer (recommandé obligatoire !) au tribunal de leur lieu de résidence. Le but : obtenir l'autorisation du juge des tutelles (c'est lui qui estime si l'héritage leur est profitable ou non). Les parents ne peuvent pas décider pour eux ! Même avec un passif, comme ici, de 95 000 euros.
Refus d'héritage : les mineurs doivent être "informés"
Ce que Michel a trouvé franchement ubuesque dans cette requête pour enfants mineurs, c'est qu'il y est clairement demandé si ces derniers ont connaissance et pleine conscience de la situation (en l'occurrence le passif) et qu'ils refusent l'héritage pour ces raisons, ou s'ils désirent eux-mêmes voir le juge des tutelles auparavant ! Qu'ils aient 8 ou 17 ans ! Même à 8 ans, il semble qu'un enfant puisse comprendre que démarrer dans la vie avec une dette aussi élevée n'est pas un choix judicieux. Mais il faut en passer par là. Et attendre l'autorisation du juge des tutelles après avoir joint encore un fois moult justificatifs. Puis, envoyer cette autorisation au tribunal dont dépendait le ou la défunte. Cela part certes de l'intention louable de protéger les mineurs d'adultes qui voudraient profiter de leur naïveté. Mais dans le cas d'une succession déficitaire, et dans un moment délicat pour une famille, l'administration peut être cruelle.
Refus d'héritage : pourquoi ça n'est normalement pas compliqué ?
Ce cas étant particulier, il finit toutefois bien, malgré la longueur de la procédure. Aussi nous avons demandé à Jérôme Leprovaux, responsable du master en gestion de patrimoine et enseignant à l'Université de Caen Normandie, en quoi consistait le refus d'héritage dans sa forme simple :
Planet.fr : Quel est la raison principale d'un refus d'héritage ?
Jérôme Leprovaux : Le cas le plus fréquent, c'est celui de l'existence de beaucoup de dettes. On dit que la succession est déficitaire, il y a plus de passif que d'actif et forcément l'héritier, lorsqu'il hérite, il hérite de tout... Quand il y a trop de passif, les héritiers renoncent à la succession. On appelle ça la renonciation", ils sortent de la succession.
Planet.fr : Dans ce cas, c'est l'Etat qui prend les dettes en charge ?
Jérôme Leprovaux : Quand un héritier renonce à la succession, on "appelle" ensuite à la succession l'héritier qui vient après. Par exemple quand un parent renonce à la succession de son parent ce sont les petits-enfants qui sont appelés à la succession. Si eux-mêmes renoncent, on passe aux frères et soeurs, si eux-mêmes renoncent on passe aux cousins... jusqu'à ce que l'on trouve un héritier. Si tous renoncent, il y a une première procédure qui s'appelle la "succession vacante."
Refus d'héritage : l'Etat en dernier recours ?
Planet.fr : Donc l'Etat n'intervient pas tout de suite ?
Jérôme Leprovaux : Souvent, les créanciers vont d'abord demander au juge la désignation d'un liquidateur. C'est l'Administration des domaines qui va l'être. Le passif est réglé en parti avec l'argent qui est disponible dans la succession et généralement il y une clôture de cette dernière pour "insuffisance d'actif." Donc l'Etat n'intervient pas directement. Il ne le fera après cette succession vacante que s'il reste plus actif que de passif et que toutes les dettes sont payées. Il appréhendera ce reliquat puisqu'il n'y a personne d'autre pour le réclamer. C'est vraiment dans l'hypothèse où on ne trouve pas d'héritier. Pour les successions déficitaires avec clôture pour insuffisance d'actif, les créanciers ne sont tout simplement pas payés.
Planet.fr : Quel autre cas peut motiver un refus ?
Jérôme Leprovaux : Il arrive qu'un héritier ne veuille pas de la succession de son parent, même s'il y a du patrimoine. Pour des raisons affectives le plus souvent. C'est rare mais ça arrive. La troisième raison c'est lorsqu'un héritier veut faire profiter ses propres enfants plus rapidement de la succession du grand-parent. On appelle ça "la représentation" en droit des successions. Cela permet d'accélérer la transmission du patrimoine.
Planet.fr : Concrètement cela se passe comment ?
Jérôme Leprovaux : Plutôt que de recueillir le patrimoine directement et de le retransmettre aussitôt aux petits-enfants du défunt, le parent "s'efface" au profit de ses propres enfants. C'est fréquent quand le parent a déjà beaucoup de patrimoine : plutôt que d'en avoir encore plus, il renonce pour qu'en profitent ses propres enfants.
Planet.fr : Et quand les enfants sont mineurs, comme évoqué en introduction ?
Jérôme Leprovaux : Passer par le juge des tutelles est obligatoire quand les enfants sont mineurs. Ils ne peuvent décider eux-mêmes d'accepter ou non une succession, à 2 ans comme à 17 ans. Si elle est avantageuse, c'est une formalité, le juge va donner son autorisation. Si elle est déficitaire, le notaire va établir un actif/passif et demander la renonciation.
Planet.fr : Rencontrez-vous des cas de renonciation pour des questions de conflits entre héritiers (frères et soeurs...) ?
Jérôme Leprovaux : Oui ça peut arriver quand il y un patrimoine compliqué à gérer. Mais en réalité ces problèmes arrivent après la succession. Pour pouvoir gérer une succession il faut l'accepter. Ils faut attendre que tous l'aient fait et en général c'est après que les problèmes surviennent. Or, quand on accepté une succession on dit qu'elle est "irrévocable." Il faut aller jusqu'au bout dans son partage.
Refus d'héritage : les successions déficitaires sont nombreuses en France
Planet.fr : Trouvez-vous qu'il y a beaucoup de renonciations en France à cause de successions déficitaires ?
Jérôme Leprovaux : Oui c'est une réalité mais on rencontre cette situation fréquemment. Ce ne sont pas forcément de gros déficits mais il y a quelques dettes à payer, des remboursements d'aides sociales... Si le notaire constate que c'est le cas il conseille la renonciation, qui consiste en une déclaration au greffe du tribunal d'instance. C'est en fait très simple. Elle est importante car elle fait office de la publicité à l'égard des tiers. Si un créancier, quand un débiteur décède, s'il se tourne vers l'héritier, celui-ci ne lui devra rien.
Planet.fr : Quel genre de dette motive ces renonciations : l'immobilier ?
Jérôme Leprovaux : Ce ne sont pas ces prêts ou crédits car ils sont assurés mais plutôt des frais d'hébergement en Ehpad, des prêts à la consommation, des loyers impayés... Les dettes s'accumulent et les personnes ne sont pas forcément bien accompagnées dans leur fin de vie donc ce sont les héritiers qui se retrouvent devant le fait accompli. Il peut y avoir des passifs de 15 000, 20 000 euros, qui ne sont pas énormes, mais il n'y "rien en face" pour payer...
Planet.fr : Il suffit de faire les démarches sérieusement pour être protégé au final ?
Jérôme Leprovaux : Exactement. Attention toutefois : il ne faut pas que les héritiers acceptent la succession sans le vouloir, ce qu'on appelle "l'acceptation tacite." Il arrive qu'un héritier se dise "tiens je vais vendre la voiture, ou je vais vendre un bien parce que c'est une bonne affaire" : c'est considéré comme une acceptation tacite. On se retrouve alors "acceptant" sans l'avoir vraiment voulu... Et il n'y a plus de recours. C'est pourquoi il faut voir un notaire dont le conseil est très important pour savoir ce que l'on peut ou ne pas faire.