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- 1 - Murielle Bolle : une adolescente comme les autres ?
- 2 - Murielle Bolle, le témoin-clé et l'audition qui bouleverse l'enquête
- 3 - Murielle Bolle, victime d'un lynchage familial ?
- 4 - Les autres témoignages qui ont marqué l'affaire Murielle Bolle
- 5 - Chômage, harcèlement, amours… La vie brisée de Murielle Bolle
- 6 - Murielle Bolle, victime du système judiciaire
- 7 - L'affaire Grégory, un "naufrage judiciaire"
Une frimousse rousse que l'on reconnaîtrait entre mille. Du haut de ses 15 ans, Murielle Bolle passe précipitamment du statut d'adolescente tout ce qu'il y a de plus normale à celui de témoin-clé dans une affaire d'assassinat. Du jour au lendemain, la jeune femme au visage parsemé de tâches de rousseurs se retrouve confrontée à la violence de la presse, à la négligence de la justice et à la déréliction de sa famille.
Avant le drame, survenu le 16 octobre 1984, son quotidien était celui de n'importe quelle personne de son âge. "Elle passait sa journée au collège, rentrait le soir et regardait la télévision en préparant ses devoirs", nous assure Me Jean-Paul Teissonnière, son avocat. Fan de Johnny Hallyday, elle a une chèvre, rousse comme elle, et un chien gris, qui répond au nom de "Tout p'tit".
Murielle Bolle : une adolescente comme les autres ?
Ensemble, ses parents Jeanine Lavalée et Lucien Bolle ont eu pas moins de onze enfants, dont Marie-Ange, grande sœur de Murielle. En 1984, es deux frangines vivent ensemble avec Bernard, l'époux de Marie-Ange, et Sébastien, leur fils. "De mémoire, c'était pour garder le petit : ils avaient un problème car Bernard travaillait la nuit à son usine et Marie-Ange travaillait le jour, donc la garde de Sébastien était assez compliquée", explique Me Teissonnière.
Sur le procès-verbal d'audition de Murielle Bolle du 2 novembre 1984, que Planet a pu se procurer, l'adolescente est interrogée sur son lieu de vie. Elle confie alors : "Depuis fin juin 1984, je reste avec ma soeur Marie-Ange qui demeure à La Fosse à Aumontzey. Du fait que son mari travaille en équipe de nuit, elle ne veut pas rester seule, je lui tiens compagnie".
Marie-Ange et Murielle s'entendaient très bien selon l'homme de loi, "mais surtout, Murielle adorait son beau-frère Bernard Laroche".
"Contrairement à ce que l'on a dit, il était quelqu'un qui avait une parfaite réputation, il était considéré comme généreux et d'une très grande bonté, poursuit le conseil de Murielle Bolle. C'est une famille unie qui ne pose pas de problème particulier".
Patricia Tourancheau, journaliste et autrice de Grégory - La machination familiale (Ed. Seuil), décrit quant à elle Marie-Ange comme "la maîtresse femme", qui "mène à la baguette" sa cadette comme son époux.
Une mère protectrice et un père violent
Seule ombre au tableau à l'époque : le patriarche avait "quelques faiblesses pour l'alcool et ne se comportait pas toujours très bien", se laissant parfois aller à des accès deviolences. La mère, elle, était très protectrice envers ses chérubins.
À l'époque, Murielle est surnommée "Bouboule" par ses pairs, ou encore "Mumu", "poil de carotte"... "C'est exact. Ce surnom de Bouboule, c'est Bernard qui me l'a donné à l'occasion de la visite d'un cirque au cours de laquelle un singe qui s'appelait Bouboule m'avait pris mon écharpe", confie-t-elle plusieurs années plus tard lors d'une confrontation avec un cousin.
Murielle Bolle connaissait-elle la famille Villemin ?
Au sujet du clan Villemin, son avocat est formel : "Murielle ne les connaissait pas. Elle a dû les croiser, elle les a peut-être rencontrés deux ou trois fois dans sa vie. Ce qui est vrai, c'est que les Villemin et les Laroche sont les descendants d'une famille commune, en tout cas des ancêtres communs, et qu'il y avait des fréquentations familiales à une époque qui se sont très rapidement distendues".
L'assassinat de Grégory, Murielle l'apprend "comme tous les gens de la Vologne", par la presse. Elle l'aurait vécu comme on vit un fait divers arrivé à dix kilomètres du lieu où elle habite. "Le type d'émotion collective que l'on peut ressentir quand on n'est pas en lien direct avec la personne concernée", résume Me Teissonnière.
Murielle Bolle, le témoin-clé et l'audition qui bouleverse l'enquête
Pour elle, tout commence vraiment le 31 octobre 1984. Le soir, les gendarmes sont passés au domicile des parents de Murielle Bolle et ont demandé à l'entendre. Le lendemain, ils reviennent pour l'emmener avec eux à la gendarmerie afin de l'interroger sur son emploi du temps le jour de la disparition de Grégory Villemin.
"Elle répond invariablement ce qui est toujours sa thèse à l'heure actuelle : elle est montée dans le bus scolaire en compagnie de son amie Nelly Demange et d'autres collègues de collège. Elle est descendue à Aumontzey, chez sa tante Louisette, où Bernard Laroche était en train de regarder la télévision", énumère Me Teissonnière.
Alors qu'elle faisait ses devoirs, Bernard Laroche se serait absenté pour aller récupérer son gain d'un tiercé gagnant et acheter plusieurs cartons de vin "dans un nombre d'ailleurs assez important" au supermarché Champion, commente l'avocat.
Audition de Murielle Bolle : la version des gendarmes
Du côté des enquêteurs, le discours est tout autre. Étienne Sesmat, le capitaine de la gendarmerie d'Épinal qui dirige l'enquête à l'époque des faits, a interrogé Murielle Bolle lors de sa première audition. Pour Planet, il témoigne : "On s'intéresse donc à elle, à son emploi du temps, on entend le chauffeur de car qui nous dit qu'elle n'était pas dans le bus pour rentrer du collège ce jour-là ; et des amies à elles disent qu'elle n'était pas présente", se rappelle le capitaine.
Dans sa déposition, Murielle Bolle décrit le chauffeur de bus comme suit :
"Je ne connais pas son nom mais peut vous le décrire. Il est jeune, porte une moustache noire et une barbe sur le menton. Il est assez grand. Durant tous mes transports, je n'ai eu affaire qu'à ce chauffeur".
Mais cette description ne correspond pas à celle du chauffeur qui conduisait le car le 16 octobre 1984. Une simple erreur, selon Me Teissonnière. Ayant été interrogée plus de deux semaines après les faits, Murielle avait "tout bonnement confondu les deux chauffeurs".
La justification ne convient pas aux enquêteurs. "On se rend compte qu'il y a un loup", lance Étienne Sesmat. Les gendarmes placent l'adolescente en garde à vue afin de la confronter à ce qu'ils appellent ses "contradictions". Selon Étienne Sesmat, elle "craque" et revient sur sa première version des faits. "Je ne vous ai pas dit la vérité, mon beau-frère est venu me chercher, a récupéré un petit garçon avant de le déposer ailleurs, puis on est partis", reprend le gendarme, avant de conclure : "Le 7 novembre, le juge Lambert décide d'interpeller Bernard Laroche, et il est mis en examen et placé en détention provisoire. Le lendemain, Murielle se rétracte".
Le contenu du procès-verbal de Murielle Bolle
Un récit que l'avocat de Murielle Bolle conteste fermement : "À la demande expresse et accompagnée de pressions des gendarmes qui l'interrogent, elle va finalement accepter d'entériner la thèse des gendarmes, encore qu'elle ne le formulera pas", certifie-t-il.
"Si on lit le procès verbal des déclarations de Murielle, il n'y a rien dans ses déclarations qui ne soit déjà dans la tête des gendarmes : elle répond seulement par oui ou par non", continue l'homme de loi, insinuant que ce que l'on a par la suite appelé les "aveux" de Murielle ne sont pas spontanés, mais dictés par les enquêteurs.
À l'époque, les procès verbaux d'audition ne figurent pas les questions, seulement les réponses données par la personne qui est mise en cause. Et donc, on comprend en creux, en lisant l'interrogatoire, les questions qui lui ont été posées. Et ces questions sont toujours des questions dirigées, elle ne prend jamais l'initiative de dire quelque chose d'inattendu. - Me Jean-Paul Teissonnière.
En lisant le contenu du procès-verbal de l'audition, Planet constate que Murielle Bolle raconte, en premier lieu, la version de l'histoire qu'elle maintient toujours aujourd'hui. Elle déclare avoir pris le bus scolaire en direction de chez sa tante Louisette, où elle a retrouvé Bernard Laroche et son fils, pour ensuite faire ses devoirs en regardant la télévision.
Sur ce document, où il est vrai que les questions ne figurent pas, l'adolescente commence en effet certaines déclarations par "Effectivement", "Je reviens sur ce que je dis", "Il est exact que…".
Toujours selon le conseil de celle qui n'était qu'une adolescente à l'époque, c'est un véritable "lavage de cerveau" qui lui a été imposé, les enquêteurs la menaçant de l'envoyer en maison de correction si elle refusait de corroborer leur version des faits. Il dénonce d'ailleurs le fait que Murielle, par moments, utilise des mots qui ne lui ressemblent pas, chose qui prouverait que ses propos sont imposés par les gendarmes.
"On devine encore une fois en creux les questions des gendarmes, car elle répond à un moment donné dans un langage qui n'est pas le sien en disant : 'Je ne peux vous donner aucune indication sur les effets vestimentaires que portait Grégory'. C'est un vocabulaire gendarmesque auquel elle ne comprendrait rien, ce n'est pas la langue de Murielle", s'offense Me Teissonnière.
La jeune femme de 15 ans précise en effet dans son procès-verbal qu'elle "ne peut donner aucune précision vestimentaire sur l'enfant"... "Toutefois, il me semble qu'il portait un bonnet", poursuit-elle.
"Elle fait d'autant moins de phrases puisqu'elle n'a rien dans la tête au moment de répondre aux gendarmes, sinon qu'elle a fait son déplacement comme elle le faisait tous les jours en prenant le bus pour rentrer chez elle", rappelle-t-il.
Le contenu du procès-verbal indique toutefois les deux versions de l'histoire, car Murielle Bolle finit par changer de version en affirmant s'être trouvée avec Bernard Laroche au moment où il a pris avec lui en voiture un enfant "qui correspond effectivement à la photo de Grégory".
Quelle est la seconde version de Murielle Bolle ?
Dans une seconde audition, effectuée quelques heures plus tard le même jour, Murielle Bolle relate les faits ainsi :
"Lorsque Bernard a arrêté la voiture à un carrefour dans les hauts de Lépanges-sur-Vologne (Vosges), il est descendu seul. Il m'a dit 'Fais attention à bibiche'. Il voulait parler de Sébastien, son fils, qui était à l'arrière de la voiture. Il le surnomme comme ça.
Quand il est parti de la voiture, il n'a pas fouillé dans le coffre ni dans le vide-poche. Je ne me souviens plus comme il était habillé ce jour-là.
Une fois que Bernard a eu le petit Grégory et que nous sommes revenus vers Bruyères (88), il me semble si je me souviens bien qu'il y avait une route qui était barrée. Nous nous sommes engagés dans cette rue et il semble qu'il a laissé la voiture sur une place. Bernard est descendu seul et il me semble qu'il n'avait rien dans les mains. Je l'ai vu prendre la route qui va vers Bruyères (88) et après je ne l'ai plus vu. Il a dû s'absenter environ une minute, cela a été rapide. Au retour, il m'a rien dit et je ne lui ai rien demandé.
Au cours du trajet, il me semble que le petit Grégory a parlé à Sébastien. Toutefois je ne peux vous dire ce qu'ils se sont dits. Lorsque Bernard est revenu avec Grégory, je pensais qu'il l'emmenait chez un ami de Jean-Marie. L'ami en question, je ne le connais pas.
Lorsque nous sommes arrivés à Docelles (88), je suis affirmative, Bernard a garé sa voiture sur une place. Il n'a pas fouillé dans sa voiture. Il a ouvert la porte arrière, et a demandé au petit, qu'il a appelé par son nom je veux dire son prénom "Grégory" puis ils sont partis. Je les ai regardés partir mais je ne peux pas vous dire où ils sont allés".
A la suite de cette déposition, Murielle Bolle passe la nuit en garde à vue et confirme cette version des faits le lendemain matin, à 8h30. De nouveau interrogée, l'adolescente explique les raisons de son "mensonge". Extrait.
Question - Lors de votre audition du 31 octobre 1984 à 22 heures 30 au domicile de vos parents, pourquoi avez-vous déclaré que vous aviez pris le car le 16.10.84 à 17 heures pour quitter Bruyères et pour vous rendre à Aumontzey ?
Réponse - Je vous ai menti pour ne pas que mon beau-frère et ma soeur soient ennuyés. J'ai été effectivement prise en charge par Laroche Bernard et son automobile.
Question - Pourquoi avez-vous accepté de revenir sur votre déposition et raconter ce qui s'était passé le mardi 16 octobre 1984 ?
Réponse - J'ai réfléchi et j'ai pensé qu'il fallait mieux dire la vérité car c'était une chose trop grave pour la cacher - Je suis soulagée d'avoir tout dit sur cette affaire. Je n'ai aucune précision à apporter sur ma présente déclaration.
Les confidences de Murielle Bolle après son audition devant les gendarmes
Dans son livre, Les Larmes oubliées de la Vologne (ed. L'Archipel), Marie-Ange Laroche rapporte ce que sa petite sœur lui a dit après cette fameuse audition. "Je n'ai rien dit ! Je n'ai pas accusé Bernard… Je te le jure… Ce sont les gendarmes qui ont tout écrit. Ils m'ont fait peur. Ils m'ont dit que j'irais en maison de correction si je ne signais pas les feuilles qu'ils avaient tapées à la machine", aurait bredouillé la gamine.
Au sujet d'un autre gendarme, elle confie également les mots suivants : "Il m'a menacée d'une punition horrible. Il m'a dit d'une voix méchante qu'après la maison de correction, à dix-huit ans, j'irais en prison et que les autres filles me tueraient… Parce qu'en prison les complices des tueurs d'enfant, on leur fait la peau", aurait-elle raconté, écrit la veuve de Laroche.
Pourquoi Murielle Bolle serait-elle montée dans la voiture de Bernard Laroche ?
Un élément agace particulièrement Me Teissonnière : "C'est complètement extravagant. On décide d'aller enlever l'enfant pour l'assassiner. On met dans la voiture Sébastien, le fils de Bernard Laroche, et Murielle Bolle, et on part dans cet équipage pour effectuer cet enlèvement. Rationnellement, ça paraît quand même absolument incompréhensible".
Pourquoi Bernard Laroche se serait-il encombré de Murielle Bolle, s'il avait vraiment l'intention de commettre l'enlèvement d'un enfant, suivi de son abominable assassinat ?
D'après la journaliste Patricia Tourancheau, la réponse est simple : Murielle était à l'avant de la voiture pour garder le petit Sébastien. "Ce jour-là, il ne pouvait pas aller à la piscine à cause de son drain au cerveau. Bernard Laroche avait son gamin sur les bras et s'il a embarqué Murielle, c'était pour le garder", nous éclaire l'autrice.
Une hypothèse confirmée par Murielle Bolle elle-même dans sa déposition du 3 novembre 1984.
Je vous rappelle que c'était la première fois que Bernard venait me chercher à la sortie du collège. J'ai pensé qu'il voulait que nous allions faire des courses. Je précise ce point, à savoir que je pensais qu'il avait été faire des achats et que par la même occasion il était venu me chercher à la sortie du collège. Je pense donc que j'ai été prise en charge pour garder Sébastien car il ne peut pas rester seul. - Murielle Bolle
"Mon beau-frère est innocent", sanglotait Murielle
Le lendemain de l'arrestation de son beau-frère, Murielle Bolle se rétracte. Devant les journalistes, la voix gorgée de larmes, elle bredouille :
Non je n'étais pas dans la voiture de Bernard. Je n'ai jamais été sur Lépanges, où le gosse a été noyé, je n'ai jamais été là. Je ne connais pas Lépanges, ni Docelles. Bernard est innocent. Mon beau-frère est innocent. Je n'ai jamais été avec mon beau-frère. - Murielle Bolle
Des déclarations qui viennent semer la zizanie dans une affaire déjà complexe.
Murielle Bolle, victime d'un lynchage familial ?
Si Bernard Laroche est finalement relâché, puis tué par son cousin Jean-Marie, la piste est pourtant relancée en 2017 avec la mise en examen de Marcel et Jacqueline Jacob, mais aussi de Murielle Bolle. Un rebondissement inattendu, 33 ans après le drame, qui a donné lieu à de nouvelles révélations.
En entendant la nouvelle, Patrick Faivre, un cousin germain de Murielle, alors âgé de 54 ans, appelle les enquêteurs pour leur indiquer qu'il détient des informations de la plus haute importance au sujet du meurtre du petit Grégory.
"Ils sont venus m'auditionner chez moi. J'aurais pu témoigner sous X, sous le régime de l'anonymat. Je l'ai entièrement refusé. Je me sentais coupable pendant 33 ans de n'avoir rien dit et j'avais envie d'aller au bout des choses pour me pardonner à moi-même de mon silence. J'ai ensuite été entendu par Madame Barbier avec son greffier. J'ai été entendu en qualité de témoin. Sans contrainte, ni forcé", se souvient-t-il lors d'un entretien exclusif avec L'Est Républicain.
Le témoignage tardif de Patrick Faivre, le cousin germain de Murielle Bolle
Qui est cet homme dont Murielle Bolle jure ne pas se souvenir ? Qu'a-t-il à raconter de si inédit dans cette affaire où toutes les pistes semblent épuisées ?
Aux enquêteurs, Patrick Faivre livre des éléments très intrigants. Il prétend que, le 5 novembre, soit le jour de la mise en examen de Bernard Laroche, il séjournait chez les Bolle. Pendant la soirée, il assure que l'adolescente a été victime d'un véritable lynchage familial pour avoir dénoncé son beau-frère… Mais aussi qu'elle lui aurait confié "la vérité" sur l'enlèvement de Grégory Villemin. Voici son exposé.
Le soir du 5 novembre 1984, Murielle Bolle aurait été battue par sa mère, Jeanine, mais aussi par sa sœur, Marie-Ange.Son père, Lucien, l'aurait insultée de "salope" ou encore de "putain". Des violences interrompues par Me Paul Prompt, avocat de Bernard Laroche, qui aurait tenté de les calmer, en avançant notamment : "On s'en fout du chauffeur de bus, il peut très bien avoir oublié une tête".
Me Paul Prompt était-il chez les Bolle le soir du 5 novembre 1984 ?
Une première composante dont la véracité est remise en doute par le simple fait que, ce fameux soir, Me Prompt n'était pas encore le conseil de Bernard Laroche et ne savait pas qu'il allait intervenir dans le dossier, comme l'assure Me Teissonnière.
Ce à quoi Patrick Faivre rétorque invariablement comme suit : "Me Prompt était présent. Qu'on ne vienne pas me dire qu'il a seulement pris l'affaire le 7. Je l'ai identifié sur une photo parmi une dizaine de personnes. C'est ce monsieur qui a calmé la harde qui se passait sur Murielle".
Dans Les larmes oubliées de la Vologne, Marie-Ange Bolle jure ne pas avoir levé la main sur sa cadette : "Je ne la giflai pas. Je me réfugiai dans ma chambre pour que personne ne me vît pleurer", rapporte-t-elle.
Les confidences supposées de Murielle à Patrick
Toujours est-il que le récit de Patrick Faivre ne s'arrête pas là. Alors âgé d'une petite vingtaine d'années, il dit avoir trouvé la jeune fille rousse "recroquevillée sur elle-même, en bas, dans la véranda". Là, elle se serait épanchée, lui avouant qu'elle n'a jamais menti et qu'elle avait effectivement assisté au rapt de Grégory Villemin par Bernard Laroche.
Elle se serait livrée en ces mots : " On a pris l'enfant devant le tas de sable. On a pris l'enfant chez Jean-Marie Villemin pour le conduire vers un point B". Là, ils auraient laissé le petit entre les mains de deux personnes que Murielle était alors incapable d'identifier.
Le cousin germain de la concernée assure également avoir participé à chasser les journalistes qui campaient devant le domicile familial, à Laveline-les-Bruyères.
Patrick Faivre, un "très grand mythomane" selon Me Jean-Paul Teissonnière
Pour Jean-Paul Teissonnière, cela ne fait aucun doute : "Patrick Faivre est indiscutablement un très grand mythomane qui a inventé des scènes qui n'ont jamais existé. Il s'est réveillé en 2017 pour, tout d'un coup, épouser la thèse de la culpabilité de Bernard Laroche, accabler Bernard Laroche, sa famille et accessoirement Murielle Bolle".
Me Thomas Hellenbrand, avocat de Patrick Faivre, a également accepté de répondre à nos questions. "Mon client affirme qu'il n'a pas menti et que les propos de Mme Bolle sont diffamatoires à son égard. De la façon la plus formelle, il confirme la véracité de ses déclarations", maintient-il.
Patricia Tourancheau, elle, tempère. La journaliste explique que Marie-Ange aurait été très en colère ce soir-là, ne comprenant pas la déposition de Murielle. "Elle s'est pris des baffes, elle s'est pris une rouste, mais en revanche, il faut relativiser, parce que quand Murielle va au Palais de justice avec sa mère et ses frères pour retirer son témoignage et raconter autre chose, elle n'a pas de traces de coups sur le visage", nous relate celle qui suit l'affaire de près depuis des années.
"Je crois que Marie-Ange a dû faire u ne crise de nerfs ce soir-là, le médecin de famille est d'ailleurs venu, et à ce moment-là Murielle Bolle est encore là, et personne ne constate de coups ou ne se plaint de coups. Il n'y a pas eu de violence. Il y a simplement Marie-Ange qui, je crois, a fait un malaise dans la soirée", nous assure de son côté Me Teissonnière.
La tentative de suicide de Murielle Bolle
Peu importe qui a raison, une chose est sûre : cette nuit-là, l'existence de Murielle Bolle déraille. Prise d'une crise d'hystérie, son corps ne semble pas supporter la culpabilité d'avoir envoyé son beau-frère derrière les barreaux. Elle hurle, trépigne, pleure, et sort en trombe de la maison.
En quelques secondes, la tête rousse se volatilise et sa mère, inquiète, signale la disparition aux autres membres de la fratrie. Toute la famille part à la recherche de l'adolescente de 15 ans.
Deux heures plus tard, un voisin des Bolle vient à leur rencontre pour les alerter : il a aperçu Murielle sur la voie ferrée entre Épinal et Saint-Dié-des-Vosges. Prise d'effroi, Jeanine en est persuadée : sa fille veut se suicider. Quand elle revient à la maison, aux bras de son père et de ses frères, la jeune femme a le visage figé et les vêtements salis par la terre.
"Je ne veux plus vivre… C'est ma faute si Bernard est en prison. Pourquoi y'a plus de train à cette heure-là ?", sanglote-t-elle. Le médecin de la famille a été averti de la tentative de Murielle de mettre fin à ses jours.
Peur, recherche de gloire… Pourquoi Patrick Faivre a-t-il témoigné plus de 30 ans après les faits ?
Revenons à Patrick Faivre. C'est une question qui lui a souvent été posée : pourquoi se réveille-t-il, 35 ans après les faits ?
"C'est un épisode qui a fait énormément de bruit au moment où les faits se sont déclarés. Patrick Faivre a écumé les plateaux de télévision pour reprendre dans tous les sens les accusations contre les membres de la famille Laroche, les avocats des Laroche et tout cela a fait pschitt. Il faut considérer que cet épisode malheureux est définitivement clos", nous dit Me Teissonnière.
Dans les colonnes de l'Est Républicain, le principal intéressé invoque la peur.
Il y avait un gros manque de sérieux des enquêteurs, car ils n'ont enquêté que d'un côté de la famille. De l'autre côté, il y avait moi et d'autres, mais je ne vous dirai pas qui. Car je ne veux pas rentrer dans les secrets de la procédure. Quand ils ont arrêté les Jacob en juin, j'ai eu un déclic. J'ai aussitôt appelé ma femme pour lui expliquer. Ma femme m'a dit de vider mon sac et d'appeler Dijon. Elle savait que ce secret, je l'avais sur l'estomac. - Patrick Faivre
Me Hellenbrand, son avocat, nous explique : "Savoir si à une époque il aurait dû aller témoigner, vous savez, il y a des démarches qui se font et qui se font pas, des communautés dans lesquelles les choses se font et d'autres se font pas… Ce n'est pas la première fois que je vois ce genre de choses".
Il ajoute : "Comme tout citoyen il a espoir, qu'on résolve un jour une énigme judiciaire qui a abouti à un drame comme la mort d'un gamin, il est humain comme nous tous et s'il peut y contribuer d'une façon quelconque… Lui, si on lui pose des questions, il donne des réponses".
Plainte pour diffamation : la bataille judiciaire entre Murielle Bolle et Patrick Faivre
La bataille entre les deux cousins ne s'arrête pas là.
Dans son livre, Briser le silence (éd. Michel Lafon), Murielle Bolle accuse, en consacrant un chapitre entier au "témoignage du cousin Patrick", Patrick Faivre de mentir, entre autres pour jouir de la notoriété de l'affaire.
"Ce qu'elle raconte, c'est de la salade. La réalité, c'est que je connais bien mon client, c'est un drôle de type, original, qui n'a pas une vie comme vous et moi, mais le jour où il vient me voir, je ne sais même pas s'il m'avait déjà parlé du fait qu'il connaissait l'affaire Grégory, il n'en faisait pas grand cas, ni une cause de vantardise", nous affirme Me Thomas Hellenbrand.
Ce n'est pas la seule raison pour laquelle Patrick Faivre a porté plainte.
Il a estimé qu'en révélant son identité (ndlr ; dans son livre), Murielle Bolle le mettait lui et sa famille en danger dans une famille où il y a eu des morts pour des histoires rapportées, déformées… Il est toujours resté dans l'ombre et a seulement été mis dans la lumière par le chapitre entier du bouquin de Murielle Bolle qui lui a été consacré - Me Thomas Hellenbrand
D'après Me Teissonnière, l'avocat de Murielle Bolle, Patrick Faivre a fini par se "prendre les pieds dans la procédure" et "tout cela s'est terminé par un non-lieu".
En désaccord, Me Hellenbrand répond : "Pour l'instant, Murielle Bolle n'a échappé à une condamnation que pour des raisons de pure procédure, liées aux mauvaises convocations délivrées par le magistrat instructeur, qui a modifié les articles que j'avais initialement visé dans le cas de ma plainte". Aujourd'hui, l'avocat et son client n'ont plus de recours.
Les autres témoignages qui ont marqué l'affaire Murielle Bolle
Au témoignage de Patrick Faivre préexistaient toutefois ceux de voisins, qui auraient entendu des cris ce fameux soir du 5 novembre 1984. Selon l'avocat de Murielle, quand on a essayé de retrouver les voisins en question, seul un riverain est intervenu devant la cour d'assises de Dijon, lors du procès de Jean-Marie Villemin en 1993, pour dire qu'il était absent à ce moment-là, et qu'il n'avait donc rien pu entendre.
Le changement de version inattendu de Murielle Bolle est loin d'être le seul revirement de l'affaire.
Jacqueline Golbain a-t-elle changé son témoignage au gré de son aventure avec Jacques Corazzi, chef du SRPJ ?
Lors d'un entretien avec Planet, Me Teissonnière a porté à notre connaissance une aventure très troublante entre Jacques Corazzi, chef de la section criminelle au SRPJ de Nancy ouvertement partisan de la piste Christine Villemin, et Jacqueline Golbain, l'infirmière de la famille Bolle.
"C'est un dossier effrayant, parce qu'il y a des personnages qui jouent un rôle très particulier comme l'infirmière Golbain, qui est aujourd'hui décédée. Elle était la maîtresse du commissaire Corazzi du SRPJ, le rival de la gendarmerie dans cette affaire", commence l'avocat, précisant qu'il ne s'agit pas de ragots, ces éléments se trouvant dans le dossier.
Au départ, l'infirmière Golbain déclare qu'elle n'a assisté à aucun lynchage envers Murielle Bolle le soir du 5 novembre 1984. "Elle explique très clairement d'ailleurs, en indiquant les horaires, qu'elle était présente à un moment de la soirée, que l'ambiance n'était pas bonne au sein de la famille, mais qu'elle n'avait jamais assisté à une scène de violence", nous apprend Me Teissonnière.
Seulement voilà : après un certain temps, Golbain et Corazzi se séparent, fâchés, et la version de l'infirmière change du tout au tout.
Quelques années plus tard, entendue exactement sur les mêmes questions, elle va dire avoir assisté à des scènes d'une violence inouïe à l'égard de Murielle. "On l'a frappée au visage, son visage était tuméfié à la suite des coups qu'elle a reçus", aurait déclaré Jacqueline Golbain.
"C'est presque plus du faux témoignage, il y a quelque chose de pathologique dans ce dossier, mais ce n'est pas la seule à faire ce genre d'exercice, à dire de façon très précise quelque chose et quelques années plus tard adopter une thèse complètement inverse", soupire Jean-Paul Teissonnière.
Dans les colonnes de Paris Match, en 1990, Jacqueline Golbain persiste et signe.
Jacqueline Golbain. Je pense que Marie-Ange et son père, Lucien Bolle, l'ont sévèrement corrigée. Il est évident que Murielle a pris des coups.
Paris Match. Comment pouvez-vous en être sûre ?
Jacqueline Golbain. Pour ce qui est de Lucien Bolle, parce que Jeanine me l'a dit. Quant à la participation de Marie-Ange à la correction, je l'ai apprise plus tard, par une gaffe faite par certains membres de la famille.
Le Bûcher des innocents, un livre à charge contre Bernard Laroche ?
D'après l'avocat, Jacqueline Golbain était également l'amie intime de Laurence Lacour, journaliste et autrice du Bûcher des innocents (Ed. Les Arènes)... Qui était elle-même la maîtresse du président Maurice Simon, le juge qui a repris l'instruction de l'affaire Grégory en 1987.
L'avocat de Murielle Bolle accuse cette dernière d'avoir écrit un livre à charge contre Bernard Laroche, un ouvrage "qui n'est pas mal fait d'ailleurs, Laurence Lacour est intelligente, seulement il y a des falsifications du dossier qui sont tout à fait redoutables".
Contactée par Planet, Laurence Lacour n'a pas souhaité répondre à nos sollicitations, désireuse de ne pas discréditer le travail du président Simon.
La lettre de Corinne, un document qui a troublé l'enquête pendant 30 ans
Dans ce dossier où les courriers sont synonymes de mauvais présage, une autre missive vient semer le trouble. Fin 1984, le juge d'instruction Jean-Michel Lambert reçoit une lettre signée par une certaine Corinne. A l'intérieur, les révélations font l'effet d'un tremblement de terre.
Selon celle qui se présente comme "une camarade de collège de Murielle", l'adolescente rousse avait une liaison avec son beau-frère, Bernard, qui détestait Christine Villemin car elle avait refusé ses avances… Ce qui expliquerait que Bernard Laroche ait tué le petit Grégory, avec la complicité de Murielle.
Pendant vingt ans, les enquêteurs vont chercher cette fameuse Corinne qui n'est bizarrement pas dans les listes du collège de Jean Lurçat de Bruyères.
D'après Me Teissonnière, la police découvre en 2017 que cette fameuse lettre de Corinne est un faux. "Il a été écrit par Monique Villemin, la mère de Jean-Marie, qui a inventé cette histoire abracadabrante et ignoble pour coincer Bernard Laroche. On ne sait pas trop pourquoi, car les relations entre Bernard Laroche et Monique n'étaient pas de mauvaises relations, peut-être qu'elle avait une dette à payer à l'égard de Jean-Marie Villemin…", complète-t-il.
Le témoignage de Nelly Demange et la plainte de son père
Revenons à la première version de Murielle Bolle. Quand elle raconte sa journée du 16 octobre 1984, elle insiste sur un point : sa meilleure amie, Nelly Demange, l'accompagne dans le bus scolaire.
"C'est un dossier dans lequel l es témoins ont été entendus au moins quatre fois sur des mêmes faits. Les témoignages des filles du bus sont tous contradictoires les uns par rapport aux autres. Il va falloir qu'on enquête sur les conditions dans lesquelles ces témoignages sont recueillis pour s'apercevoir que quand les témoignages ne correspondaient pas à ce que souhaitaient entendre les gendarmes, on convoquait les témoins à nouveau", s'insurge Me Teissonnière.
D'après l'avocat, les enquêteurs menaçaient les camarades de classe de Murielle Bolle jusqu'à l'obtention d'un témoignage satisfaisant à leurs yeux.
Devant la cour d'assises de Dijon,le père de Nelly Demange, qui est la meilleure amie de Murielle, va témoigner de la violence avec laquelle les gendarmes ont entendu sa fille après qu'elle ait dit des choses qui ne correspondaient pas à ce qu'ils voulaient entendre, toujours selon l'homme de loi.
"Nelly, c'est le témoin absolu qui permet de protéger Murielle et donc les gendarmes n'auront de cesse de la réentendre pour lui demander de modifier son témoignage, la menacer si elle ne le fait pas", s'indigne-t-il.
Chômage, harcèlement, amours… La vie brisée de Murielle Bolle
"Sa vie a été détruite. On peut dire les choses de façon lapidaire mais juste : sa vie a été dévastée par cette affaire". Tels sont les mots de Jean-Paul Teissonnière à l'égard de sa cliente, Murielle, victime collatérale de ce meurtre atroce, de cette enquête ratée, et de l'exclusion de ses pairs.
Naturellement, cette sordide affaire a jeté un froid au sein de la famille Bolle. "Pendant des mois, sinon des années, Marie-Ange n'a pas vraiment pardonné à sa sœur les déclarations qu'elle n'avait pas contredit. C'est sûr que ça a créé une difficulté naturelle entre elles", nous rapporte Me Teissonnière.
Cette mésentente entre les deux femmes a été utilisée pour prouver les scènes de violence contre Murielle. Pourtant, son avocat l'assure : "La mère de Murielle a demandé à Marie-Thérèse, l'une des sœurs de Murielle, de la prendre avec elle et de l'amener chez elle passer quelques jours. Elle habitait un petit village à 10 ou 20 kilomètres du lieu de domicile des Bolle. Donc l'idée c'était de la mettre un peu à l'abri non pas de violences physiques qui n'ont jamais existé, mais du climat qui n'était pas bon".
Arrêt de la scolarité et impossibilité de trouver du travail
Peu de temps après le début de l'affaire, Murielle a dû mettre un terme à sa scolarité. "Elle subissait les injures des collègues voire même des passants. Elle n'a jamais pu trouver de travail", nous raconte son avocat. Malgré sa recherche intense d'emploi, notamment auprès de supermarchés, elle n'arrive qu'à décrocher un job de baby-sitter. C'est l'un des seuls personnages centraux de ce dossier à n'avoir jamais quitté la région : malgré les conseils de Me Teissonnière, elle refuse d'abandonner "son pays".
Aujourd'hui encore, elle subit les humiliations des riverains, la qualifiant de "rouquine", de "grosse" ou encore de "bouboule". C'est en tout cas ce qu'à confié son premier mari, - Martial Jacquel -, à la presse en 2017.
Elle serait toujours très entourée par quelques membres de sa famille, notamment par quelques frères et sœurs. Sur les réseaux sociaux, où elle souhaite conserver son anonymat, Murielle partage en effet son amour pour ses pairs, et notamment pour son frère, René, décédé.
Dans une publication, elle pleure sa joie de vivre, sa niaque, et dit "respecter son choix", laissant penser à un suicide. Il était qualifié de "bringueur" et de "bagarreur de beuverie" par Martial Jacquel, notamment à cause d'une condamnation pour violences.
Murielle Bolle, épouse, mère et grand-mère
"Elle a maintenant trois enfants avec qui elle a de très bonnes relations, c'est quelqu'un d'extrêmement équilibré, seulement elle vit d'aides sociales et de la solidarité de ses proches", soupire Jean-Paul Teissonnière.
Elle est également la grand-mère d'une petite fille. Toujours admiratrice du rockeur Johnny Hallyday et véritable supportrice de l'Olympique Marseillais, la femme maintenant âgée de 53 ans partage aussi des photos de ses chiens et chats.
Après son intimité et ses liens familiaux, un autre aspect de la vie de Murielle Bolle a été détruit par l'affaire Grégory : ses amours.
Elle se marie d'abord avec Martial Jacquel, évoqué plus tôt. L'homme est passé au-dessus du passé douloureux de Murielle, et vit avec elle chez le père Bolle. De cette première union sont nés Fabien, en 1989, et Johnny, en 1992. Après quatorze ans de vie commune, le couple se sépare.
Yannick et Murielle, un couple échiné par l'affaire Grégory
Après ce premier divorce, la mère de famille retrouve l'amour avec Yannick Jacquel, rencontré sur les fréquences de la "cibi", radio ouverte à tous que l'on capte sur certaines fréquences.
Ensemble, ils ont un fils, également appelé Yannick. Là, le couple ne résiste pas aux bouleversements et aux vagues de l'enquête sur le meurtre de Grégory. Quand Murielle Bolle est mise en examen et incarcérée en 2017, son mari est "missionné" par la juge pour lui soutirer des aveux, nous assure Me Teissonnière.
Selon l'homme de loi, la justice aurait utilisé son compagnon, et notamment les mises sur écoute des téléphones du couple pour la faire avouer… "Même si ce n'est pas vrai, pour qu'ils soient enfin tranquilles", se rappelle Jean-Paul Teissonnière.
Et Murielle, répondant à chaque fois qu'il était hors de question qu'elle trahisse Bernard Laroche, en tout cas sa mémoire, mettait fin avec véhémence à ses conversations avec Yannick, "qui manifestement étaient guidées par les magistrats", poursuit-il. Des altercations suite auxquelles le second mari de Murielle Bolle la quitte.
Me Teissonnière l'avoue bien volontiers : il a également incité sa cliente à céder aux demandes des gendarmes. Compte tenu de son âge et du fait qu'elle n'avait jamais eu le fin mot de l'histoire, elle aurait, probablement, pu s'en tirer. "Le seul projet des gendarmes est d'instrumentaliser le témoignage de Murielle pour pouvoir accabler Bernard Laroche. Elle n'était pas un enjeu au départ, ce n'est que parce qu'elle a résisté", réprouve-t-il.
Une proposition qui aurait mis Murielle Bolle dans une colère noire, refusant de trahir la mémoire de son beau-frère au profit de son couple ou de son confort personnel. "Tous les désagréments, et le terme est faible, tous les ennuis considérables et les problèmes qu'ont connu Murielle sont dus au fait qu'elle n'a jamais voulu trahir Bernard, notifie Me Teissonnière, elle porte la responsabilité de sa mort".
Murielle Bolle, à jamais fidèle à la mémoire de Bernard Laroche
Un détail qui n'en est pas un, prouvant la fidélité indicible de Murielle Bolle à cet homme. "Elle adorait son beau-frère et toujours à l'heure actuelle elle va, tous les jours fleurir la tombe de sa mère et la tombe de Bernard Laroche", poursuit son conseil.
Ce dernier nous la décrit d'ailleurs comme une femme entière et déterminée, avec une personnalité extrêmement attachante, un mauvais caractère mais toujours le cœur sur la main. "Elle a quelques difficultés pour verbaliser les choses car son niveau d'instruction n'est pas très élevé mais c'est une femme intelligente et extrêmement sensible", ajoute-t-il.
Murielle Bolle, victime du système judiciaire
Malheureusement, l'infortune de Murielle Bolle ne s'arrête pas à sa vie privée. Dès le début, les droits de l'adolescente sont bafoués, les gendarmes ne l'informant pas, entre autres, de son droit à garder le silence. Pire encore, la jeune fille à la crinière rousse semble avoir été comme jetée dans la cage aux lions.
Murielle Bolle : "La justice ne l'a pas protégée"
"Lors d'une conférence de presse, le juge Lambert répond publiquement devant les caméras que l'inculpation de Bernard Laroche reposait sur une expertise en écriture partielle et sur un témoin capital.Le journaliste de RTL, Bezzina, demande 'C'est Murielle Bolle ?', et le juge acquiesce", raconte la journaliste Patricia Tourancheau. Non seulement il dénonce son témoin capital, mais il ne la protège pas et la renvoie dans sa famille, et tout le monde lui tombe dessus à commencer par sa sœur Marie-Ange".
Ce regret est partagé par le capitaine Sesmat, qui nous confie : "L'erreur, c'est qu'elle ait été remise en liberté entre le samedi et le dimanche, elle a donc pu revenir chez elle le dimanche, et pendant ce temps le juge Lambert a donné une conférence de presse en expliquant que c'était grâce à Murielle que Bernard Laroche avait été interpellé".
Du côté de la défense des Laroche et des Bolle, c'est la colère qui continue de régner des années plus tard. "Ils se sont comportés avec Murielle Bolle à la limite du système judiciaire de la Corée du Nord !", fulmine même auprès de Planet Me Frédéric Berna, l'avocat de Jacqueline Jacob.
Aujourd'hui ils sont bien coincés : toute la procédure de Murielle Bolle est annulée parce qu'ils n'ont pas respecté les droits de la gosse, et Sesmat continue à dire la bouche en cœur que Murielle Bolle leur a confirmé la culpabilité de Bernard. Il n'a plus le droit de le dire d'ailleurs, mais il continue à ouvrir sa bouche, il devrait avoir la gentillesse de laisser tout le monde tranquille. - Me Frédéric Berna
Une garde à vue de 33 ans, du jamais vu dans l'histoire judiciaire française
En 2017, comme évoqué plus haut, Murielle Bolle est placée en garde à vue dans les locaux de Remiremont sur le reliquat de sa première détention. Une contre-offensive "tardive et aberrante de l'institution judiciaire", dénonce son avocat. "Je suis venu de Paris immédiatement pour l'assister pendant cette deuxième partie de garde à vue, puisque cette garde à vue a commencé en 1995 et s'est terminée en 2017, ils ne pouvaient exploiter que les trois ou quatre heures qui leur restait par rapport à la première", poursuit-il.
Cela n'existe pas dans l'histoire judiciaire, une garde à vue qui dure 33 ans avec une interruption pareille. - Me Jean-Paul Teissonnière.
"Tous les moyens seront utilisés contre elle", peste son avocat, en nous indiquant que cette mise en examen était basée sur la lettre de la fameuse Corinne, que l'on attribue désormais à la main de Monique Villemin, et sur les déclarations "bis" de Jacqueline Golbain.
Murielle Bolle a donc été transférée puis déférée devant la juge d'instruction Claire Barbier qui, selon les mots de son conseil, aurait "maltraité" la gardée à vue. Une mise en examen qu'il qualifie de changement stratégique face à son refus de revenir sur les accusations envers Bernard Laroche, et qui sera finalement annulée.
La justice a en effet estimé que la garde à vue n'était pas conforme aux droits, chose à laquelle Étienne Sesmat, confiant, rétorque : "On sait qu'elle a subi des pressions dans sa famille, c'est bien devant nous qu'elle a dit la vérité (...) on avait pris toutes les précautions, on avait parfaitement respecté le code de procédure pénale".
En 2002, la cour d'appel de Versailles condamne l'État à verser 15 245 euros de dommages et intérêts à Murielle Bolle en réparation d'une "inaptitude à remplir sa mission" en raison d'un "manque total dans la maîtrise et dans la conduite de l'enquête et de l'instruction".
Et en 2020, la garde à vue de 1984 de la jeune Murielle a tout bonnement été annulée, et donc, retirée du dossier, car jugée anticonstitutionnelle par la Cour de cassation, saisie par les conseils de la témoin malheureuse.
L'affaire Grégory, un "naufrage judiciaire"
"Un naufrage judiciaire", selon Me Teissonnière, "une enquête parasitée par un tas d'illuminés", d'après Me Berna, une "boîte de Pandore" pour Me Giuranna.
C'est bien simple : rares sont ceux qui espèrent encore que cette énigme soit résolue un jour. "Il y a pas, il y a peu d'équivalent, parce que moi, je dois avoir le dossier dans une version papier qui obstrue une partie de mon cabinet, des dizaines de milliers de pièces de procédure qui se sont accumulées avec des strates différentes", nous dit l'avocat de Murielle Bolle.
Étienne Sesmat : "On a pas fait de fautes, mais on a commis quelques erreurs"
"On a pas fait de fautes dans ce qu'on a fait, mais on a commis quelques erreurs. On n'a pas été assez rigoureux dans la protection des indices matériels, notamment la fameuse lettre de revendication du crime", nous livre Étienne Sesmat.
La France avait une vingtaine d'années de retard dans le domaine du traitement des documents, par rapport à ses confrères allemands, entre autres. "La gendarmerie a tiré beaucoup d'enseignements de cette affaire, on a appris à mieux gérer les relations avec les médias également", note toutefois le capitaine.
On a trop fait confiance au juge Lambert, même si on savait que c'était un magistrat 'léger', professionnellement. Il aurait fallu qu'on soit beaucoup plus exigeants avec lui, plus carrés. - Étienne Sesmat
"Le capitaine Sesmat est le premier responsable de l'échec de l'enquête"
Me Berna, lui, a un avis très tranché sur le sujet. "Le capitaine Sesmat est le premier responsable de l'échec de l'enquête. Je vous dis ça avec du recul, parce que tous les protagonistes, eux, règlent leurs comptes. Moi je prends le dossier 35 ans après", nous affirme l'homme de loi au fort caractère.
Au cours de notre entretien, le capitaine Sesmat déplore, quant à lui, le manque de confiance de sa hiérarchie. "La tempête médiatique était tellement dingue que personne ne pouvait penser que ce n'était pas Christine Villemin, on disait que c'était nous les gendarmes qui nous étions plantés, et ça c'était dur, on a même eu des plaintes contre nous, il a fallu qu'on s'explique", raconte-t-il.
On est les seuls à avoir rendu des comptes, alors que nous sommes probablement ceux qui ont commis le moins d'erreurs dans cette affaire. Le juge Lambert lui a repris sa carrière, alors qu'il a été étrillé au procès de Christine Villemin en 1993. On a découvert à quel point il avait fait erreur en misant tout sur sa culpabilité… Quant à la police, qui s'est comportée de manière plus que suspecte, on ne leur a jamais demandé de comptes. - Étienne Sesmat
Près de 40 ans après les faits, Étienne Sesmat juge "difficile de coincer" les auteurs du crime indépendamment de leur volonté. "Mais je pense que tout le monde n'a pas dit tout ce qu'il savait sur cette affaire là, les gens peuvent encore parler", conclut-il.
Prières à la Vierge noire, cierges… Le juge Simon "investi d'une mission divine" ?
Parmi les acteurs de l'enquête qui auraient pu faire flancher les chances de résoudre l'énigme, le président Simon. Ce juge, qui a repris l'instruction à zéro en 1987, a laissé après sa mort des carnets très révélateurs.
Me Teissonnière nous informe notamment que les écrits du magistrat comportaient des insultes envers sa personne, et envers les autres avocats de la défense : "C'est vous dire la neutralité du type…".
Le juge Simon on lui a tressé des lauriers, et quand on a les carnets remis par son fils, on voit qu'il était pro Jean-Marie et Christine Villemin, et qu'en plus il était à la limite de l'antisémitisme. - Me Frédéric Berna.
On y apprend également que Maurice Simon brûlait des cierges tous les soirs à la cathédrale de Dijon à la mémoire de Grégory, qui venait d'ailleurs lui parler dans son sommeil, et qu'il priait la Vierge noire, comme nous l'explique Me Berna. Cette effigie féminine médiévale serait symbole de mort et de régression avant le passage vers une renaissance, voire une prise de conscience supérieure.
À un moment donné il est investi d'une mission divine qui est de parvenir à confondre l'auteur de l'assassinat donc l'intention est bonne mais les missions divines ça se termine rarement bien. - Me Jean-Paul Teissonnière.
Le fiasco retentissant de l'enquête se note également dans l'incapacité de la justice à déterminer, une bonne fois pour toute, l'identité du ou des corbeaux...