Quel est le montant moyen du patrimoine des Français ?
Selon les données publiées par l'Insee le 9 décembre, le patrimoine brut médian des ménages français a franchi le seuil symbolique des 205 100 euros au début de l'année 2024. Mais derrière cette statistique d'apparence lisse se cache une réalité sociale bien plus complexe, où la pierre et l'héritage dessinent une frontière de plus en plus marquée.
Loin d'être une simple accumulation d'épargne, ces chiffres mettent en lumière une concentration de la richesse inédite. Le véritable jeu des inégalités dans notre pays ne se joue plus seulement sur la fiche de paye, mais bien sur la capacité à accumuler et transmettre des biens, créant un monde à deux vitesses entre ceux qui possèdent les murs et ceux qui les louent.
205 100 euros : le chiffre en trompe-l’œil qui cache la réalité
Il faut se méfier des moyennes. Si le patrimoine brut moyen avoisine les 375 000 euros, il est artificiellement gonflé par les très grandes fortunes. La véritable ligne de partage se situe à la médiane : la moitié des ménages possède moins de 205 100 euros (148 100 euros de patrimoine net, calcule Le Point), tandis que l'autre moitié dépasse ce montant, d'où le terme de "médian". Mais le fossé se creuse vertigineusement dès que l'on regarde vers le sommet de la pyramide. Les 10 % les mieux dotés détiennent à eux seuls près de la moitié de la masse totale de patrimoine brut, ne laissant que des miettes — environ 7 % du total — à la moitié la plus modeste de la population.
L'accès au club très fermé de l'élite économique est désormais chiffré. L'institut fixe en effet le montant de patrimoine brut pour faire partie des 10 % les plus riches à plus de 858 000 euros. Une somme colossale qui s'explique par la diversification des avoirs de cette catégorie, qui cumule immobilier (61 % du montant à lui seul), patrimoine professionnel et actifs financiers, là où les classes moyennes concentrent l'essentiel de leur effort sur leur résidence principale :
"Leur patrimoine immobilier est essentiellement constitué de leur résidence principale : neuf ménages sur dix sont propriétaires de leur résidence principale et seulement un quart d'un autre logement. Plus globalement, les ménages propriétaires de leur résidence principale affichent un patrimoine brut médian nettement supérieur aux autres ménages (383 300 euros contre 20 800 euros)." Tandis que "Les 30 % des ménages les moins dotés possèdent moins de 40 000 euros de patrimoine brut, essentiellement des comptes courants, des livrets d’épargne et du patrimoine résiduel (voiture, équipement de la maison, etc.)" précise le rapport de l'Insee.
La revanche des seniors : pourquoi la richesse culmine-t-elle si tard ?
C'est un phénomène nouveau qui interpelle les démographes et les économistes. Historiquement, on accumulait jusqu'à la fin de sa carrière active avant de commencer à désépargner. Ce modèle a vécu. L'analyse du patrimoine brut médian des Français par âge montre une trajectoire ascendante qui se prolonge bien au-delà de la retraite. Le patrimoine moyen augmente avec les années pour atteindre son apogée vers 60 ans, mais se maintient à un niveau très élevé ensuite.
Jean-Luc Tavernier, Directeur général de l'Insee, confirmait déjà cette tendance il y a plus d'un an lors d'un entretien accordé au Parisien : "Le pic de patrimoine est désormais à 75 ans", soulignait-t-il, précisant qu'il se situait autrefois autour de 50 ans. Les retraités actuels parviennent à conserver, voire à augmenter leur capital. Les conséquences du pic de patrimoine à 75 ans (avant de commencer à décliner) sont directes pour les jeunes générations : l'accès à la propriété devient un parcours du combattant sans aide familiale, la richesse étant verrouillée par leurs aînés.
Héritage et immobilier : la nouvelle ligne de fracture sociale
Dans ce contexte, la méritocratie économique semble marquer le pas face à la loterie de la naissance. Seulement trois personnes sur dix ont hérité au cours de leur vie, mais pour ces chanceux, la différence est abyssale. Le patrimoine brut moyen des héritiers est deux fois plus important que celui des personnes n'ayant jamais rien reçu. C'est un constat sans appel soulignant le rôle de l'héritage dans les inégalités de richesse, qui agit comme un puissant accélérateur de destinées.
Cette situation crée une société où le capital pèse plus lourd que le travail. C'est d'ailleurs le constat dressé par Jean-Luc Tavernier, expliquant clairement pourquoi le patrimoine est plus inégalitaire que les revenus : "Les inégalités de patrimoine sont nettement plus fortes que les inégalités de niveaux de vie", précise-t-il. Si le système social français parvient à corriger les écarts de salaires via la redistribution, il reste impuissant face à l'accumulation massive d'actifs immobiliers qui sépare désormais la France en deux camps distincts.