Succession : qu'est-ce que la "grande transmission" prévue en France d'ici 2040 ?

Publié par Matthieu Chauvin
le 25/08/2025
Testament
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Le changement démographique de la population française va entraîner un phénomène de très grande ampleur en moins de 15 ans. Les économistes l'appellent "la grande transmission." Entre 2026 et 2 040, environ 9 000 milliards d'euros vont être transmis lors de successions, la moitié du patrimoine de nos concitoyens ! Quelles en seront les conséquences ?
 

En juillet 2025, la nouvelle tombait : en France, sur un an à la même période, il y avait eu, de peu certes, plus de décès que de naissances. Une première depuis 1945 : 651 000 tristes départs contre 650 000 heureux évènements d'après l'Insee. Le phénomène est mondial, notamment en Europe, où notre pays fait paradoxalement figure d'exception, puisque la fécondité, avec 1,6 enfant par femme, y reste la plus élevée. 

Mais cela ne va pas durer. Une autre bascule liée à ce phénomène démographique est en train de se produire, nous apprennent Les Dernières Nouvelles d'Alsace. Et elle va, comme la baisse de la natalité, entraîner des problèmes économiques.

Le début de la fin de la génération des boomers

La génération du baby-boom est en effet en train de s'effacer progressivement. L'Ined, l'Institut national des étude démographiques, a publié en mars 2025 une étude qui montrait que le nombre de décès annuel entre 1970 et 2010 se situait aux alentours de 540 000. En 2017, il est brusquement passé au-dessus des 600 000 pour atteindre donc 651 000 et quelques en 2025. 

La "grande transmission" : une bascule "historique"

L'Institut prévoyait alors que la bascule entre les décès et les naissances se ferait en 2027. Il a eu lieu presque 2 ans plus tôt. Cela va entraîner une autre bascule "historique", nommée "la grande transmission" par les économistes, révèlent nos confrères. Et elle être de grande ampleur : l'Ined prévoit qu'en 2040, la France dépassera les 800 000 décès par an. La conséquence : le nombre de successions va exploser.

Plus de 9 000 milliards d'euros en moins de 15 ans

Les DNA citent une autre étude, de la Fondation Jean-Jaurès : selon cette dernière, le montant total des successions qui vont comme expliqué, devenir plus nombreuses avec la fin d'une génération, devrait dépasser les 9 000 milliards d'euros entre 2026 et 2040, soit 677 milliards d'euros par an. C'est colossal. Cela représente trois fois le montant de la dette du pays ! Et la moitié du patrimoine de nos concitoyens. Une somme qui serait gonflée notamment par "la hausse des prix de l'immobilier et des valeurs boursières."

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Les seniors : le facteur clé de la grande transmission

Nos confrères citent André Masson, directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS* : "Le poids du patrimoine représente aujourd’hui six fois le produit intérieur brut (PIB), contre trois fois dans les années 1970 [...] Le patrimoine est également de plus en plus détenu par les seniors : les plus de 60 ans possèdent 60 % des patrimoines immobilier et financier." Et font remarquer que les plus de 60 ans ne représentent qu'un tiers de la population.

La grande transmission : nouveau facteur d'inégalités sociales ?

C'est un des problèmes économiques que risque d'engendrer la grande transmission. Les Dernières Nouvelles d'Alsace rappellent qu'en 2024, le ministère de l'Economie et des finances a perçu 21 milliards d'euros au titre des droits de donation et de succession, contre 8 à 9 milliards jusqu'en 2010 (ce qui correspond au début de l'augmentation de la mortalité annuelle calculé par l'Ined). Le risque ? Une société à deux vitesses, encore plus qu'elle ne l'est aujourd'hui. 

Une société de rentiers contre une société de roturiers ?

Il y a quatre ans, le Conseil d’analyse économique (CAE), rattaché à Matignon, constatait : "L’héritage redevient un facteur déterminant dans la constitution du patrimoine. En France, la part de la fortune héritée dans le patrimoine total représente désormais 60 % contre 35 % au début des années 1970." Nos confrères reprennent les inquiétudes exprimées par la Cour des comptes en 2024 : si la courbe ne s'inverse pas, "ce ratio pourrait atteindre une hauteur proche du pic atteint au début du XXe siècle." Soit 80 % contre 20 %. Conséquence, pour le CAE : "Pour parvenir tout en haut de la distribution des niveaux de vie, il devient quasiment impératif d’avoir la chance d’hériter."

"Une remise en cause du mérite et du travail ?"

Les mots sont forts et viennent encore du chercheur André Masson*. Il évoque ainsi une nouvelle "société d’héritiers" qui  pourrait mener à "une remise en cause du mérite" avec pour résultat l'avènement d'une "gérontocratie patrimoniale." Un statu quo qui serait une "bombe sociale". Une de ses pistes : "redynamiser l’épargne des seniors pour financer les investissements d’avenir (numérique, écologique, sociaux)." Une manne en matière de taxes qui nous épargnerait un durcissement fiscal.

Réformer l'imposition sur les successions ?

Ce sont les options privilégiées par le CEA et la Fondation Jean-Jaurès nous apprennent les DNA. Il y a déjà eu le plafonnement des frais bancaires sur la succession. Mais ça ne suffit pas. Les droits de succession eux, n'ont plus fait l'objet de réforme depuis 2012. Or, d'après un sondage Odoxa pour Challenges, 77 % des Français les jugent injustifiés

Un économiste, Guillaume Allègre, analysait en 2021 : ces derniers "surestiment le poids de cet impôt et la probabilité d’être eux-mêmes soumis" par simple manque d'information. Or, "les individus trouvent juste de pouvoir léguer leur patrimoine à leurs enfants."  Conclusion, pour que ces 9 000 milliards d'euros soient un minimum injectés dans une économie qui en a bien besoin d'ici 2040 au lieu de dormir sur des comptes et livrets, il va falloir inciter les Français à consommer et leur redonner le moral. Ce qui est mal parti après la conférence de presse donnée par François Bayrou lundi 25 août...

*L’héritage au XXIe  siècle, aux éditions Odile Jacob

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