INTERVIEW. Suspension de la réforme des retraites : quel impact sur le déficit ?
Mardi 7 octobre, Elisbeth Borne, alors ministre de l'Education nationale démissionnaire, poste auquel elle n'a pas été renouvelée, sortant même du gouvernement Lecornu II, avait évoqué une suspension de la réforme des retraites, la jugeant nécessaire pour faire consensus avec la gauche, éviter la censure, et présenter un budget pour 2026. Elle qui avait porté la mesure en 2023, jusqu'à user du 49.3 pour la faire passer en force à l'Assemblée. Le Premier ministre ne l'avait pas contredite dans son interview donnée au journal télévisé de 20 heures de France 2 deux jours plus tard.
Une suspension qui affole la droite et les économistes
Emmanuel Macron a recadré Sébastien Lecornu, alors que ce dernier recevait jusqu'à dimanche les autres forces politiques, dans le but de nommer de nouveaux ministres après sa "vraie fausse" démission : il s'agirait plutôt de décaler la réforme à 2027, et non de la suspendre. Mais cette suspension est un totem pour la gauche et pourrait bel bien figurer au budget si la censure est évitée. Les Républicains, horrifiés par cette modification de la réforme, ont annoncé que quiconque du parti accepterait un poste de ministre en serait exclu suite à cette annonce (6 LR ont pourtant bravé cette interdiction et sont donc exclus de fait). Nous avons interrogé le célèbre économiste Marc Touati, très inquiet des conséquences d'un tel retour en arrière.
Planet.fr : Comment voyez-vous l'avenir proche du pays au niveau économique ?
Marc Touati : Quoi qu'il arrive, c'est terminé : le déficit va exploser et cette année, et l'an prochain. Il sera proche de 6 % du PIB. Il n'a pas de croissance, tous les projets d'investissements sont bloqués, la consommation va s'effondrer, les taux d'intérêt qui sont en train d'augmenter vont casser l'activité économique. La fin de l'année sera une catastrophe pour la croissance, qui je pense ne dépassera pas 0,5 %, dans le meilleur des cas, en moyenne. En 2026, pareil.
Planet.fr : Une suspension des retraites alourdirait-elle encore le déficit de la France ?
Marc Touati : Si on arrive à ça, c'est la catastrophe. Là les taux d'intérêt montent à 5 %, c'est fini. Ce serait un crash politique, économique, social, sociétal... Ce qui fait peur aujourd'hui, c'est que nous n'avons pas d'issue crédible. Il faut appliquer ce que j'appelle la "thérapie de choc." Il faut commencer d'abord par réduire les dépenses publiques, et une suspension de la réforme des retraites, c'est tout le contraire.
"Il faut baisser les impôts des entreprises et des ménages"
Planet.fr : Ce n'est pas comme ça évidemment qu'on fera des économies mais peut-on les faire ailleurs ?
Marc Touati : Encore une fois il faut réduire les dépenses publiques, les frais de fonctionnement essentiellement, mais même 10 milliards d'économies (François Bayrou en cherchait 40, ndlr) ça ne suffirait pas, il faut en faire 50 ! Et dans le même temps, il faut une baisse des impôts. Si on les augmente on va tuer l'économie. Il faut baisser les impôts pour les entreprises, pour les ménages, avec la CSG par exemple, l'impôt sur la production pour les entreprises et là on redonne de l'espoir.
Planet.fr : Comment réduire les dépenses publiques en commençant par "geler" la reforme des retraites, ce qui va coûter des milliards dès 2026 ?
Marc Touati : Ce que je trouve complètement fou, c'est qu'à droite comme, à gauche, surtout à gauche, on veut augmenter les impôts. Et ce qui est encore plus dangereux c'est la façon dont les dirigeants lorgnent sur l'épargne des Français. L'épargne est privée et a déjà été taxée à de multiples reprises. Sauf le Livret A mais quand même. C'est créer une crise sociale. Voire sociétale. Tout ça parce que les dirigeants n'ont pas le courage de baisser la dépense publique. C'est inacceptable.
"Accuser les Français ça ne passe pas"
Planet.fr : Le problème est qu'aucun bord n'a "le courage" de la réduire.
Marc Touati : Ce n'est même pas du courage en réalité mais du bon sens, que n'ont plus nos dirigeants. Les Français n'ont pas de culture économique et sont dopés à la dépense publique. Il faut leur expliquer. Mais il faut que les politiques commencent par eux-mêmes. C'est l'erreur de François Bayrou qui accuse les Français alors qu'il est là depuis des décennies avec ses acolytes à voir le déficit se creuser... Accuser les Français ça ne passe pas et n'aide pas à réveiller les consciences.
"La dépense publique n'a jamais baissé en France"
Planet.fr : Car la situation ne date pas d'hier on le sait.
Marc Touati : En France, il y a 700 ODAC (Organismes divers d'administration centrale). Cela coûte 150 milliards d'euros par an. Ce sont les chiffres de l'Insee. Je ne dis pas qu'il faut leur enlever 150 milliards mais on peut bien en trouver 50 ! Quand vous voyez que depuis 2021 la dépense de fonctionnement de toute la force publique a augmenté de quasiment 100 milliards d'euros, + 22 %, c'est un scandale. A la rigueur si c'était pour le social, les hôpitaux... Mais c'est uniquement pour le fonctionnement.
Planet.fr : Vous assimilez ça à une gabegie ?
Marc Touati : C'est inadmissible. Je pense que nos dirigeants n'ont pas la volonté de réduire ces dépenses de fonctionnement. Y compris Macron. Mais même Sarkozy a été élu en disant qu'il allait réduire la dépense publique, il ne l'a jamais fait. La dépense publique n'a jamais baissé en France. Et quand Bayrou disait vouloir faire 40 milliards d'économies, oui, mais c'était sur une augmentation prévue de la dépense publique de 30 milliards. Aucun gouvernement n'a baissé la dépense publique depuis la Seconde Guerre mondiale, soit depuis qu'on a des statistiques modernes.
Planet.fr : Et ça s'est aggravé quand ?
"La seule solution c'est la démission de Macron"
Marc Touati : Dans les années 60 mais le point de bascule, ce sont les années 80. Alors quand on voit aujourd'hui qu'Emmanuel Macron veut encore donner le pouvoir à des gens qui veulent augmenter les dépenses publiques avec le gel de la réforme des retraites et augmenter les impôts, c'est de la folie, ça n'a pas de sens.
Planet.fr : Vous êtes donc plus que pessimiste sur une possible amélioration ?
Marc Touati : En 30 ans de carrière, je n'ai jamais connu ça. Nous sommes la risée du monde. Je n'arrête pas de répondre à des investisseurs étrangers qui me disent "qu'est-ce qu'il se passe en France ?" Alors ils n'ont pas les "subtilités de notre modèle" mais quand ils voient qu'après heurs un Premier ministre démissionne ils se disent "c'est quoi cette affaire ?"
Planet.fr : Comment doit se passer la suite selon vous ?
Marc Touati : La seule solution c'est la démission de Macron. Pas du jour au lendemain. Qu'il donne 6 mois le temps de faire un débat, que les forces vives montent au créneau et qu'on puisse avoir un vrai débat public sur l'économie française ce qui n'est jamais arrivé. Macron doit partir.
Planet.fr : Il est seul responsable de la situation ?
Marc Touati : Vous vous rendez compte de l'état dans lequel il a mis la France ? Déjà depuis 2017 mais ces six dernières années c'est une catastrophe. Il a osé dire que sa politique avait généré une croissance forte de 10 % depuis sa première élection alors qu'elle est boostée à la dépense publique... J'ai calculé la croissance hors déficit primaire : nous sommes en réalité en récession en France depuis 2017. Si vous enlevez le déficit primaire, c'est-à-dire hors les intérêts de la dette, nous sommes en récession !
"Même les pays en guerre n'ont pas fait ça !"
Planet.fr : Comment en est-on arrivé là ?
Marc Touati : On met la faute sur le coronavirus mais tout le monde l'a eu. Aucun pays ne dérape autant que nous en terme de dette publique et de déficit public.
Planet.fr : Mais on peut vous rétorquer que personne n'a mis autant d'argent pour aider les entreprises par exemple.
Marc Touati : Oui, mais tout ça pour se retrouver avec une croissance en lambeaux. Si on avait un croissance à 5 % ce ne serait pas grave, au diable l'avarice, mais depuis l'arrivée on est à 1,2 % de croissance, ça n'est pas grand chose... Moi ce qui m'inquiète le plus aujourd'hui ce sont toutes ces entreprises qui mettent la clé sous la porte. On bat des records.
Planet.fr : Beaucoup n'arrivent pas à rembourser le PGE (prêt garanti par l'Etat) accordé pendant le COVID ?
Marc Touati : Ca, c'est encore 25 milliards d'euros à payer par l'Etat... Il y a aussi tous les jeunes diplômés qui veulent quitter la France, ce n'est pas normal. Tous les pays on besoin d'une direction, d'un chef, dune vision du monde. Encore une fois, les ratages de notre dette publique, aucun pays n'a connu ça ces dernières années, même les pays en guerre !
Planet.fr : Qu'est-ce qui pourrait réveiller les consciences, des politiques comme des Français ?
Marc Touati : Il faut un électrochoc, soit la dissolution, soit la démission de Macron. Et encore les taux d'intérêt n'ont pas explosé depuis la démission de Lecornu mais je pense que la BCE intervient pour calmer le jeu. Mais si ça continue elle peut très bien les monter sur 10 ans à 4,5 ou 5 % dans les prochains mois. La note de la France peut encore être dégradée, gravement. Si demain on décide de la suspension de la réforme des retraites, on peut très bien voir notre note dégradée hors étude normale.