Interview. Et si François Bayrou restait Premier ministre ?

Publié par Matthieu Chauvin
le 27/08/2025
François Bayrou
abacapress
© Abdullah Firas/ABACA
Pour la plupart des observateurs, en ne lâchant pas de lest quant à ses propositions d'économies sur le projet de loi de finances 2026 et en invoquant l'article 49.1 dans l'espoir d'obtenir un vote de confiance, François Bayrou aurait plus de 99 % de chances d'être censuré le 8 septembre. Mais si plutôt que de l'entêtement, il faisait preuve d'un stratégie plus subtile ? Nous avons posé la question au politologue Christophe Boutin.
 

Et si ? Et si ni la censure du gouvernement de François Bayrou ni la dissolution de l'Assemblée nationale, encore une, n'étaient pas une fatalité ? Pour la plupart des observateurs, commentateurs, éditorialistes, opposants politiques, c'est joué à 99 % et plus. Et s'ils avaient tort, et que le Premier ministre usait d'une stratégie, avec son vote de confiance, qui ne serait pas un "suicide", mais un moyen de faire passer une partie de ses mesures d'économies drastiques ? Nous avons posé la question au politologue Christophe Boutin, dont le point de vue mérite d''être entendu même s'il détonne.

Un vote de confiance pour mieux négocier ?

Planet.fr : D'après vous, François Bayrou sera-t-il automatiquement censuré le 8 septembre lors du vote de confiance ?

Christophe Boutin : Ce n'est pas évident. Dans les motions de censure, on ne l'est qu'en tenant compte uniquement du nombre de votes favorables, calculé sur le nombre d'inscrits. Il suffit de ne pas être présent ou il suffit de s'abstenir pour faire en sorte de "soutenir sans soutenir", de façon à ne pas conduire à la censure...

Planet.fr : Plus de députés qu'on ne le croit, penseraient donc en conscience que ces mesures d'économies sont nécessaires ?

Christophe Boutin : Il y a ceux qui pensent qu'elles sont nécessaires et il y a ceux qui ne veulent pas censurer maintenant, espérant qu'il y a encore une possibilité de peser sur Bayrou pour que son budget évolue. Plutôt que de voter cette censure, une des solutions est donc de s'abstenir : on est ni dans la confiance, ni dans la défiance, on s'abstient, mais avec l'idée d'une renégociation d'ici la présentation du budget.

Planet.fr : Mais le temps ne joue-t-il pas contre François Bayrou ?

Christophe Boutin : L'avantage, pour le Premier ministre, d'avoir obtenu cette session avancée par rapport à la date de rentrée prévue fin septembre, c'est qu'elle lui laisse une marge de manoeuvre supplémentaire pour négocier son budget

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Les abstentionnistes au secours de Bayrou, vraiment ?

Planet.fr : Ce serait un coup de poker ?

Christophe Boutin : Oui ça peut être un coup de poker. Dans l'hypothèse où il n'est pas sanctionné le 8 septembre et que les abstentionnistes lui permettent de survivre encore quelques temps, chacun va interpréter ce fait différemment. Bayrou va leur dire "vous ne m'avez pas sanctionné malgré mon discours alarmiste, c'est donc que vous pensez qu'il faut des réformes dures, vous êtes forcés d'adhérer à mon budget". Et inversement, les abstentionnistes lui diront "on ne t'a pas sanctionné pour laisser le temps à la négociation, puisqu'il n'y en a pas eu, on te censure maintenant sur le budget."

Planet.fr : Quand vous parlez d'abstentionnistes, vous pensez aux députés socialistes ? Car Olivier Faure a déclaré que Bayrou s'était "suicidé" politiquement et qu'il ne voterait pas la confiance (avant d'affirmer voter contre un peu plus tard, ndlr).

Christophe Boutin :  Je pense qu'il y aura abstention du PS, avec pour but une négociation ultime des points sociaux sur le budget. Oui, Olivier Faure à déclaré que c'était un suicide mais nous ne sommes pas encore au jour du vote et il va certainement avoir le même raisonnement que le mien. Lui ou d'autres vont dire clairement à Bayrou "la solution pour qu'on ne censure pas, c'est qu'il y ait un accord de principe de négociation du budget."

Cette stratégie peut-elle fonctionner à l'heure de rendre des comptes ?

Planet.fr : Vous pensez que cette hypothèse d'un PS abstentionniste volontaire peut fonctionner ?

Christophe Boutin : Est-ce que ça marchera, je ne sais pas. Mais s'il y a une sorte d'accord potentiel sur le sujet, si Bayrou annonce que des points du budget peuvent être revus (comme il l'a évoqué pour les niches fiscales et l'imposition des plus riches, ndlr) le PS peut y aller. Encore un fois Olivier Faure a dans un premier temps affirmé ne pas voter la confiance. S'abstenir, c'est ne pas voter la confiance, justement ! Et le gouvernement passera quand même.

Planet.fr : Vous nous dites qu'en réalité rien n'est joué ?

Christophe Boutin :  Oui ce n'est pas si clair. Je ne vois pas l'intérêt qu'auraient le PS et d'autres à sanctionner Bayrou au moment où les agences de notation, le FMI ou la BPCE vont se pencher sur notre budget. C'est justement maintenant qu'il faut lui mettre la pression pour l'inciter à mener des négociations (pour le RN, sur un budget qui prenne en compte l'immigration, pour le PS, sur un budget qui prenne en compte le social). C'est loin d'être impossible à mon avis.

Planet.fr : Le PS marquerait là une vrai rupture avec LFI ?

Christophe Boutin : Oui, mais pas totale, le PS ne basculerait pas dans la coalition gouvernementale. Il ferait entendre sa voix, indépendante. Puis, cela fait longtemps qu'une bonne partie du PS, à part peut-être Olivier Faure, souhaite que le parti soit plus autonome vis-à-vis de LFI, notamment ceux qui sont sur la ligne socio-démocrate comme Bernard Cazeneuve par exemple. C'est l'occasion de le faire sans se rallier, grâce à l'abstention, à la politique gouvernementale.

Planet.fr :  Et si François Bayrou est quand même censuré, quelle sera la suite ?

Christophe Boutin : Eh bien il donnera sa démission à Emmanuel qui peut soit l'accepter, soit la refuser, je rappelle que rien n'empêche le Président de renommer François Bayrou. La censure n'implique pas automatiquement une dissolution. Elle peut avoir lieu ou pas, les cartes sont dans la main du Président, qui autrement devra choisir un nouveau Premier ministre, etc.

Gérald Darmanin sur "la même ligne" que Marine Le Pen

Planet.fr : Gérald Darmanin a pourtant déclaré qu'il voyait la dissolution comme seule solution.

Christophe Boutin : Je suis étonné de voir que Gérald Darmanin et Marine Le Pen sont sur la même ligne... Gérald Darmanin est membre du du parti présidentiel qui n'est pas au mieux de sa forme et s'il y a dissolution, il se retrouvera dans un bateau qui coulera un peu plus... Il sera perdant, comme Gabriel Attal, Elisabeth Borne à qui les Français ne donneront certainement pas les clés.

Planet.fr : Dissolution ou nouveau gouvernement ? De quel côté penchez-vous ?

Christophe Boutin : Très sincèrement avec Emmanuel Macron... Je n'en sais rien. Déjà, la première dissolution, je ne l'avais pas vue venir...

Planet.fr : Et une démission d'Emmanuel Macron ?

Christophe Boutin :  Jamais, il ne démissionnera jamais. Je n'y crois pas une seule seconde.

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