INTERVIEW. Squat : les propriétaires seniors sont-ils bien protégés ?

Publié par Matthieu Chauvin
le 19/09/2025
Manifestation contre la loi anti-squat
abacapress
© Villette Pierrick/ABACA
Malgré le renforcement de la loi anti-squat en 2025, les cas de propriétaires spoliés font régulièrement la Une, notamment quand il s'agit de seniors. Entre le total de loyers et charges impayés ou les appartements retrouvés dévastés, la note est souvent salée. Qu'en est-il réellement ? Cette loi est-elle efficace ? Nous avons demandé l'avis d'un commissaire de justice rôdé à ce genre d'affaires.
 

Quels effets a eu la loi du 27 juillet 2023 "visant à protéger les logements contre l'occupation illicite", autrement appelée "loi anti-squat"' ou encore "loi Kasbarian-Bergé", du nom des deux députés - Renaissance - qui en sont à l'origine ? Une loi qui a été "durcie" pour ses détracteurs, "simplifiée" pour ses promoteurs, en juillet dernier. 

Les squats surmédiatisés quand ils touchent les seniors ?

Car, tout l'été cette année encore, de nombreux cas de propriétaires lésés, qu'ils soient bailleurs ou non, ont fait la une des médias. Souvent à propos de seniors désemparés devant les difficultés administratives et juridiques pour dans un premier temps récupérer leur bien, ou encore confrontés à des travaux coûteux après que leur maison ou appartement aient été saccagés. Mais, bien évidemment, toutes les classes d'âges de la population française sont touchées tant les logements manquent.

Ne rien tenter soi-même reste la règle numéro un

Comme le rappelle le service public, il n'est absolument pas permis aux propriétaires squattés de "forcer" eux-mêmes ces invités indésirables à quitter les lieux. Il faut respecter un protocole bien précis détaillé sur son site. Parmi les possibilités qui s'offrent à vous pour faire valoir vos droits, obtenir une expulsion en toute légalité et retrouver la jouissance de votre bien, il y a celle de faire appel à un commissaire de justice. Qu'on appelait encore avant 2022 un "huissier." Vous aider à déloger des squatteurs fait partie des ses prérogatives, parmi toutes celles détaillées là aussi, sur le site du service public.

Un commissaire de justice dijonnais, habitué à ce genre de missions et qui a préféré rester anonyme, nous explique tout ce qu'il faut savoir sur ce que permet ou pas la loi anti-squat, ses effets et ses conséquences. Nous l'appellerons "Maître D.", pour "Dijon".

Le squat : un cas d'occupation parmi d'autres

Planet.fr : Quel est le rôle du commissaire du justice quand on fait appel à lui en cas de squat ?

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Maître D. : Il faut déjà savoir qu'il y a plusieurs cas de figure qui se présentent. D'abord, le squat, qui impose une procédure très spécifique. Et il y a les autres procédures, qui peuvent être multiples : occuper le logement de quelqu'un quand on en a plus le droit peut arriver dans différents contextes. Par exemple le bien a été loué, et le locataire se comporte mal ou ne paye plus ses loyers, ce parfois même depuis le début. Dans ce cas on est dans le cadre d'un "contentieux locatif." 

Autre cas : j'héberge quelqu'un chez moi, notamment un conjoint, et je demande son départ. Là aussi différentes procédures existent, des classiques pour récupérer son bien, ou même des procédures d'urgence et dérogatoires dans le cas où le conjoint se montre violent. Et puis, dernier cas de figure, le plus emblématique : le squat. Beaucoup de seniors en sont victimes.

Planet.fr : Et donc, concrètement, qu'est-ce qu'un "squat" ?

Maître D. : Il faut déjà qu'il y ait quelqu'un qui rentre dans un bien qui ne lui appartient pas, par ce qu'on appelle une "voie de fait." Juridiquement, cela veut dire qu'au moment où elle y pénètre, elle a pleinement conscience qu'elle enfreint la loi (alors que celle qui a un contrat de bail a un titre d'occupation). Ce, même sans effraction, tant qu'elle sait qu'elle n'a pas le droit d'y être. Le squat implique aussi un autre élément : c'est qu'on s'y maintienne. Il faut y établir un lieu de résidence.

Les victimes de squatteurs ont besoin d'assistance

Planet.fr : Dans ce cas, comment agir ?

Maître D. : Il y a 5 ans, une procédure a été mise en place (renforcée par la loi Kasbarian-Bergé et le décret de juillet 2025, ndlr), et elle marche plutôt très bien. Nous, commissaires de justices, somme sollicités par les victimes de squat et nous pouvons faire deux choses pour elles. La première est de les aider, de les accompagner dans les démarches, même si ces démarches ne passent pas par le tribunal mais uniquement par les services de l'Etat, en fait par le préfet. 

Ce qui nous est demandé par la loi est de dresser un constat, sur place, qui établisse que les conditions légales de la procédure de squat soient réunies : entrée par voie de fait dans le bien, occupation du bien. On doit aussi essayer de déterminer l'identité des occupants. Puis nous remettons ces éléments au préfet qui lui, au regard du dossier, va ou non ordonner l'expulsion forcée immédiate.

Planet.fr : On ne passe donc pas en premier par une plainte, un tribunal ?

Maître D. : C'est le principe de la loi qui a été votée il y a 5 ans et qui facilite la procédure, en évitant de passer par la case judiciaire, mais uniquement par les services du préfet. Et ça marche. C'est une procédure très bien équilibrée. Le justiciable saisit directement le préfet par courrier, et c'est là notamment qu'on peut l'aider (en rédigeant le courrier pour le compte du client par exemple). On ne va pas le représenter mais on peut l'accompagner, lui expliquer la procédure, lui indiquer les démarches à faire...

Protéger les propriétaires comme les occupants légitimes

Planet.fr : Tout est millimétré comme pour une procédure judiciaire ?

Maître D. : Oui, par exemple aller faire ce constat d'occupation est très important. Le constat doit protéger les victimes mais il nous permet aussi de nous assurer qu'une personne ne tente pas de détourner la procédure et d'en abuser.

Planet.fr : Qu'entendez-vous par "détourner" ?

Maître D. : Par exemple une personne héberge quelqu'un, l'installe même, puis vient me voir en me disant "je souhaite l'expulser, il squatte chez moi." C'est pour cela qu'il faut un équilibre dans la loi, et que l'on doit s'assurer que tout est bien sincère. D'ailleurs dans la loi, il est prévu que le préfet envoie une mise en demeure à l'occupant, mais ce dernier a aussi la possibilité de saisir le tribunal pour prouver qu'il n'entre pas dans les conditions du squat. Ce constat est encore une fois essentiel pour établir la vérité. Il peut aussi être fait par un policier. C'est le choix du judiciable.

Planet.fr : Quand il y a expulsion, vous êtes présent ?

Maître D. : Non, quand on est uniquement dans la procédure de squat - d'ailleurs on ne parle pas d'expulsion mais "d'évacuation" - nous n'intervenons pas, c'est le rôle de l'Etat. Par contre, il arrive que le préfet refuse une expulsion immédiate ou qu'elle soit contestée devant le tribunal administratif et dans ce cas, un commissaire de justice sera requis : il va s'occuper de toute la procédure et procédera à l'expulsion avec la police.

Ces cas aux procédures "beaucoup trop longues"

Planet.fr : Nous sommes donc dans des procédures raccourcies grâce à la loi. Mais dans les autres cas comme les loyers impayés, elles peuvent être longues ?

Maître D. : C'est là que ça devient problématique. Quand on est hors cadre de la procédure de squat mais dans celle des loyers impayés, ou d'autres qui sont un peu ambigües comme par exemple un "margoulin" qui repère le propriétaire un peu âgé d'un bien et qui sous couvert d'un contrat de location va s'installer et ne jamais payer le moindre loyer. Là pour le coup, la procédure est très longue. Et pour tous les autres cas où les locataires ne payent pas et que le bien constitue la retraite du propriétaire, les procédures deviennent beaucoup, beaucoup trop longues. C'est de plus en plus fréquent. 

Le mal logement et la misère au centre du problème

Maître D. :  Et c'est long pour les deux parties. Bien évidemment pour le propriétaire mais aussi pour le locataire. Parce qu'il va se retrouver avec une dette exponentielle. Tous les mois, il va rajouter à ce qu'il doit l'équivalent d'un mois de loyer, et cette dette va le suivre toute sa vie. On retrouve souvent les logements en mauvais état, mais pourquoi ? Par le mode de vie de gens qui ont de très grosses difficultés : addictions, pathologies médicales... Et le fait de les laisser dans cette situation pendant très longtemps c'est aussi mauvais pour eux. Est-ce qu'il ne faudrait pas qu'on les expulse plus vite ?

Planet.fr : C'est-à-dire ? Cela les mettrait à la rue ?

Maître D. : Non, car les expulser c'est les prendre en charge. Quoi qu'il arrive, à chaque fois qu'il y a expulsion, les services de l'Etat sont présents. Les forces de l'ordre mais aussi tout ce qui gravite autour, comme les services sociaux. Il n'est pas rare non plus que les personnes expulsées soient placées dans un environnement médical, pour les protéger. Beaucoup d'expulsions sont salvatrices pour elles, c'est pour ça que les procédures sont trop longues. 

Ce que je vais dire n'est pas politiquement correct mais ce n'est pas aux bailleurs particuliers privés de supporter les carences d'une tierce personne et de la loger. C'est à l'Etat. Et à un moment si une personne n'a simplement plus les moyens de payer, il faut la sortir du parc privé et qu'elle bascule dans celui de l'Etat.

Planet.fr : Pour en revenir au squat, vous trouvez donc la procédure efficace ?

Maître D. : Oui. Et si elle ne fonctionne pas j'encourage toujours à s'interroger : pourquoi ? Est-ce qu'on sait tout, est-ce qu'on nous a tout dit ? Si le préfet considère que l'évacuation n'est pas justifiée, c'est qu'il y a une raison. J'ai eu un cas où il a dit "oui, ok on y va", il a pris les garanties nécessaires, fait ce qu'il fallait pour évacuer et le dossier a été réglé dans un délai très raisonnable. Pas immédiat parce qu'il fallait laisser le temps au propriétaire de faire les démarches mais aussi aux services de l'Etat et au commissaire de justice de s'assurer que la procédure était utilisée à bon escient. L'occupation a duré 3/4 semaines maximum. On prend le temps, et on on prend une décision, mais c'est tout de même rapide. 

De plus, dans cette procédure de squat il y a quelque chose de très intéressant : pour pouvoir saisir le le préfet, le propriétaire doit pouvoir justifier qu'il l'est réellement. Souvent, certains l'oublient et ne comprennent pas pourquoi on le leur demande... Et si le propriétaire n'est pas capable de le prouver via ses actes notariés, le préfet demande aux services fiscaux si le demandeur est bien propriétaire. Ils ont 72 heures pour répondre. Ce n'est pas pour compliquer la vie des propriétaires, c'est juste du bon sens.

Planet.fr : Pour finir, est-ce que les seniors ont la bonne réaction quand ils sont confrontés à un squat ?

Maître D. : La bonne réaction, c'est de consulter un "huissier" et on va leur dire ce qu'il faut faire ! 

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