INTERVIEW Emmanuel Macron a-t-il créé un terreau favorable à la survie du macronisme ?
Le 5 juillet, le chef de l’Etat s’est invité à l’anniversaire des dix ans des Jeunes avec Macron. A cette occasion, Emmanuel Macron a affirmé qu'il aurait "besoin d'eux pour dans deux ans, pour dans cinq ans, pour dans dix ans", laissant entendre que le mouvement ne mourrait pas avec lui. Pourtant, le 20 mai dernier, deux jours après l’écrasante victoire de Bruno Retailleau à la tête du parti Les Républicains, la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, avait affirmé que "le macronisme, probablement, trouvera une fin dans les mois qui viennent, avec la fin du deuxième quinquennat du président [de la République, Emmanuel] Macron". De quoi faire grincer les dents des plus fidèles partisans du président.
"Parce que vous serez là, et parce que comptez sur moi, je serai là avec vous. Et ensemble, on ne lâchera rien (...) Merci du fond du cœur pour les dix ans qui sont devant nous", a martelé samedi le chef de l'Etat. Bien que rebaptisé à cette occasion les Jeunes en Marche, ce mouvement, fondé à l’origine pour soutenir l’actuel locataire de l’Elysée et qui a fait naître la macronie, sera-t-il capable de le faire perdurer ?
Pour le savoir, nous avons interrogé Christophe Boutin, politologue et professeur de droit public à l'université de Caen-Normandie.
Le président veut-il voir le macronisme lui survivre après son départ de l’Elysée en 2027 ?
On a toujours envie de laisser une petite trace quelque part. Le président, qui voit qu’il est à la fin de son second mandat, veut voir le macronisme survivre. Même si lui, pour ce qui est de 2027, ne pourra pas se représenter, il aimerait bien que ce qu’il a mis en place perdure.
Mise-t-il sur les Jeunes en Marche pour cela ?
Le problème, c’est que rien ne garantie que ce soit les Jeunes en Marche qui soient à même de faire perdurer ce legs. Ce sont plutôt les équipes qui ont été au pouvoir avec le président qui pourraient le faire. Or, dans la majorité composite actuelle, on a des oppositions claires. Pour l’heure, savoir qui va reprendre le flambeau d’En marche ! après Emmanuel Macron, demande de clarifier les choses, ne serait-ce qu’entre Gabriel Attal et Elisabeth Borne.
Il a toujours eu des mouvements de jeunes, même avec Edouard Balladur (rires) ! Il y a toujours eu cette envie de transmission chez les jeunes mais elle n’a jamais rien donné. Parce que rapidement, les plus brillants d’entre eux sont intégrés au système et voient dans ce mouvement une manière de bénéficier d’une circonscription ou d’être élu. C’est juste un levier pour eux. Les mouvements de jeunes n'ont jamais été, en France comme ailleurs, une force de proposition. C’est uniquement une force de soutien.
Tous les partis politiques ont besoin d’expliquer qu’ils ne sont pas seulement représentés dans les Ehpad. Aujourd’hui le vote Macron est un vote âgé. Le président a besoin d’avoir une légitimité et d’expliquer qu’il ne touche pas uniquement une tranche d’âge particulière mais que sa pensée résonne dans l’ensemble de la nation.
Pourquoi donner rendez-vous aux Jeunes en Marche "pour dans deux ans, pour dans cinq ans, pour dans dix ans" comme l'a fait le président samedi ?
C’est à la fois pour soigner sa sortie et laisser la porte ouverte au prochain. C’est aussi pour voir dans ce mouvement de jeunes qui peut travailler avec son ou sa successeur. Est-ce qu’ils sont plus Attal ? Borne ? Il pose là la question du militantisme futur.
Le mouvement macroniste s’est formé spontanément sur les débris du socialisme en partie et en attirant des personnalités espérant un renouvellement partisan. Mais ça supposerait qu’il y ait une doctrine macroniste. On voit bien qu’elle n’existe pas. Je ne pense pas que le mouvement de jeunes permet de définir une ligne future. Il permet peut-être de se projeter un peu dans l’avenir mais ce sont les élections municipales qui vont être déterminantes en la matière : elles diront si la majorité composite a réussi à s’enraciner ou non.
Existe-t-il aujourd’hui des figures capables de porter cet héritage à partir de 2027 ?
Le président ne peut pas nommer d’héritier parce qu'il il a voulu faire une grande synthèse au centre en dépassant un peu le clivage droite-gauche et en allant d'Edouard Philippe à Gérald Darmanin. Si c’est la ligne Darmanin qui domine, la ligne Borne s’en va et inversement. Si c’est Attal, les deux autres s’en vont. Quatre pour un trône, a minima, c’est peut-être beaucoup.
Par ailleurs, l’image du président a ces derniers temps été très largement écornée. Aussi bien sur la scène nationale qu'internationale. Il a tenté, après l’échec de la dissolution, de jouer sur les pouvoirs spécifiques du président, notamment à l’international. Il a voulu être présent partout. A-t-il réussi à convaincre ? Ce n’est pas évident.
Serait-il tenté de revenir dès 2032 ?
D'une part, tout dépend de l’interprétation que l’on fait des textes. Est-ce qu’on parle de deux mandats point final ou deux mandats consécutifs ? Nous en débattons entre spécialistes. Les termes ne sont pas toujours très tranchés. Quand vous lisez dans la Constitution "le président signe les ordonnances", est-ce que c’est "peut signer" ou "doit signer" ? La réponse est : on n’en sait rien. Jusqu’au jour où François Mitterrand refuse de signer une ordonnance, et là on comprend que c’est "peut signer" mais aussi "peut refuser de signer". Il y a des fois où on a besoin d’être confronté à la réalité pour savoir ce qu’il en est.
D'autre part, le retour d’un président de la République française n’est pas si évident. François Hollande a totalement été désavoué à la fin de son mandat, même chose pour Nicolas Sarkozy. Jacques Chirac ne fait deux mandats que grâce à Jean-Marie Le Pen. Emmanuel Macron fait deux mandats en partie, grâce à Marine Le Pen. Il s'agit là de doubles victoires presque par défaut. Est-ce qu'un retour d'Emmanuel Macron en 2032 est crédible ? Encore faut-il savoir ce qu’il fait entre temps . S’il existe encore sur la scène politique nationale et internationale. On sait qu’il aimerait exister sur la scène européenne mais actuellement il n’y a pas photo, c’est l’Allemagne qui est au premier plan. Et en cas d’échec total du prochain locataire de l’Elysée, les Français seraient-ils amenés à se dire "finalement Emmanuel Macron est la solution" ? J'ai un doute.