13 novembre 2015 : comment les attentats ont marqué les mémoires ?

Publié par Suruthi Srikumar
le 12/11/2025
13 Novembre : comment les attentats ont marqué nos mémoires ?
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Urman Lionel/ABACA
Dix ans après les attentats du 13 novembre, le neuropsychologue Francis Eustache, de l’université de Caen, analyse la manière dont ces événements ont marqué la mémoire individuelle, collective et nationale.

C’était il y a dix ans. Mais ce drame reste encore profondément ancré dans la mémoire collective. Chacun se souvient où il se trouvait ce soir du 13 novembre 2015, entre 21 h 20 et 22 h. "97 % des Français ont eu un souvenir flash des événements, ils se souviennent parfaitement de ce qu’ils faisaient, ou du moins, ils ont l’impression subjective de le savoir", explique Francis Eustache, neuropsychologue à l’université de Caen et responsable du Programme 13 Novembre (CNRS / Inserm / Université de Caen Normandie / HESAM).

"Ces intrusions sont vécues au présent"

Pour ceux qui ont été directement exposés, les traces du traumatisme sont plus vives. "Une personne confrontée à un événement aussi violent peut développer un trouble de stress post-traumatique. Elle ne mémorise pas forcément le contexte, mais certains éléments sensoriels, des odeurs, des sons, des images, ressurgissent ensuite sous forme d’intrusions. Ces intrusions sont vécues au présent, comme si l’événement se produisait au présent."

Le chercheur souligne la diversité des trajectoires. Certaines personnes parviennent à dépasser l’épreuve, d’autres restent prisonnières du souvenir. "Le temps est souvent bénéfique, surtout s’il s’accompagne de soutien social. Mais l’évitement, s’il protège à court terme, peut aussi isoler et aggraver la détresse."

Du souvenir personnel à la mémoire nationale

Avec le temps, la mémoire se transforme. "Les lieux du 13 novembre, comme le Bataclan, sont devenus des symboles. Mais d’autres sites, moins médiatisés, s’effacent peu à peu." Francis Eustache évoque ces hiérarchies mémorielles propres à la société : "Les mémoires, individuelles ou collectives, font des choix. Certains événements sont mis en avant, le plus meurtrier, le plus emblématique, pendant que d’autres, comme l’attentat de Nice en 2016, déclinent plus vite."

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Ces inégalités mémorielles touchent aussi les victimes. "Certains rescapés se reconnaissent dans la mémoire nationale, d’autres non. Ils vivent une double peine : avoir été pris dans l’attentat, avoir perdu un proche, et ne pas se sentir pleinement reconnus."

Les commémorations, elles, jouent un rôle ambivalent. "Elles peuvent raviver la douleur, mais elles sont essentielles pour maintenir le lien collectif. C’est un moment redouté, mais attendu : il permet de partager une histoire commune, de transformer le souvenir en mémoire sociale."

Le passage de la mémoire à l’histoire

Dix ans après, le 13 novembre s’est imposé dans la mémoire nationale, aux côtés d’autres tragédies. "Quand on interroge les Français sur les attentats qui les ont marqués, le 13 novembre 2015 ressort presque toujours, aux côtés du 11 septembre 2001 ou de Charlie Hebdo. Ces dates symbolisent des valeurs et un mode de vie à la française, touchés en plein cœur."

Mais la mémoire n’est pas figée. Elle évolue selon les générations. "Les plus jeunes, qui étaient adolescents à l’époque, en ont une représentation différente, plus médiatisée, plus lointaine. Avec le temps, on assiste à un passage de la mémoire vécue au passage à l'histoire."

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