Thierry Ardisson : derrière l’homme en noir, un homme complexe, de hippie à royaliste
En 2005 paraissait aux éditions Flammarion une biographie de Thierry Ardisson, composée d'échanges avec son co-auteur Philippe Kieffer : Confessions d'un babyboomer. L'homme en noir y évoquait sa jeunesse et ses débuts, principalement, jusqu'à ses derniers succès, il y a déjà 20 ans. Il avait alors 56 ans et une vie bien remplie derrière lui, marquée tant par ses expériences personnelles que par des évènements historiques qui allaient façonner en partie celui qu'il deviendra.
Un fils de prolétaires provençaux
Il est né le 6 janvier 1949 à Bourganeuf dans la Creuse, alors que ses parents étaient originaires de la Côte-d'Azur : le paternel, ouvrier dans le bâtiment, faisait déménager la famille au gré des chantiers, quand il fallait "reconstruire le pays". De son enfance et de son adolescence, Thierry Ardisson garde le souvenir d'un "climat très lourd, très sombre." Rajoutez un grand-père maternel communiste à la maison et on imagine sans peine les sujets politiques abordés. Mais il est alors bien trop jeune pour être influencé. Direction ensuite l'Algérie quelques années avant un retour en métropole, en Savoie, plus exactement, car son père, selon lui, avait pressenti ce qui allait se passer dans ce qui était encore un département français.
Une éducation catholique qui a forgé sa foi
A 10 ans, en 1959, ses parents l'inscrivent en internat au collège Saint-Michel d'Annecy. La religion, il connaissait déjà : "Je baignais dedans depuis mon premier jour. Elle imprégnait toute ma famille. Sans en être conscient, je grandissait dans un milieu catho, avec tout ce que ça comporte de mystères, de superstitions et de rites. Mon père, tous les soirs avant de se coucher, s'agenouillait pour faire la prière." Il poursuit : "Dieu, c'est une sensation très étrange. Etrange mais pas négative." Si sa scolarité - de bon élève mais rebelle - n'est pas jalonnée que de bons souvenirs, il reconnait : "J'ai eu finalement beaucoup de chance d'être éduqué dans un catholicisme un peu dur [...] Malgré ma haine du système, j'aimais le décorum de l'Eglise, le théâtre de la religion. J'aimais l'encens, les ostensoirs, l'harmonium, les lis immaculés et le charme de la messe en latin." Il restera croyant jusqu'au bout comme le démontre la façon dont il a organisé ses obsèques.
Mai 68 à Clermont-Ferrand puis période hippie
Thierry Ardisson habite Clermont-Ferrand quand les évènements de mai 68 éclatent. Il y "joue" avec des amis au révolutionnaire. Et descend à Montpellier de temps en temps pour, comme tous les étudiants, entonner le fameux "CRS = SS." Mais le soir, il finit en discothèque, la révolution, ce n'est pas son truc. Il tente sa chance à Paris à peine majeur dans la publicité. En 1974 démarre sa période hippie. Il part en Asie, à Bali, voulant se poser "sur un coin de plage, dans un endroit peinard, pour écrire, fumer des pétard et goûter à plus fort si possible." Il y passe moins d'un an (à Bangkok, puis Vientiane) mais consomme beaucoup de produits interdits, puis rentre à Paris retrouver le monde de la publicité.
Fin des années 70 : le début de la maturité
Après un nouveau road trip aux USA cette fois, où il parvient à "décrocher" de l'héroïne, les choses sérieuses commencent. L'homme en noir se sépare de sa première femme Christiane, restée trop "baba", se passionne pour l'univers de la presse et travaille pour le magazine Façade en 1977 où il apprend le métier. La vague punk déferle sur la France, quand Thierry Ardisson restait féru de rock. "Les punks arrivaient comme nous 10 ans plus tôt, pour foutre le bordel. Ils avaient 18 ans. Moi j'allais vers la trentaine. Et ces mecs nous disaient, en gros, qu'on était des séniles hippies de merde avec nos joints, qu'on écoutait de la musique de vieux [...] Bref, d'un coup, la jeune génération, c'était plus nous."
Changement de classe sociale et anticommunisme
Au début des années 80, Thierry Ardisson comprend que son monde a changé : "Je suis né, j'ai grandi près des chantiers, avec des ouvriers. La classe ouvrière, je connais, et j'ai même tout fait pour en sortir [...] Sur le plan politique à l'époque, j'ai quitté ma classe sociale, je me suis désolidarisé des pauvres, je suis en plein égotisme. Je ne crois à aucune idéologie [...] Pas de vision sociétale, encore moins sociale, pas beaucoup de compassion non plus, faut bien le dire [...] La seule chose dont je sois sûr, c'est d'être libertaire, antitotalitaire. Donc à l'époque anticommuniste." Il avait pourtant fricoté avec cette gauche fascinée par l'URSS, Hô Chi Minh et Pol Pot. Jusqu'à la découverte de l'existence des premiers goulags. L'élection de François Mitterrand en 1981 passe mal, comme la nomination de ministres communistes au gouvernement. Mais Thierry Ardisson poursuit son petit bonhomme de chemin.
La vraie découverte du monarchisme
Presse, télévision, publicité, production. L'homme en noir a déjà réussi quand il se découvre une passion pour la monarchie. Il écrit alors Louis XX, paru chez Gallimard en 1988. "Le monarchisme, je suis né à moitié dedans. Mon grand-père paternel, Marius, était monarchiste." Toujours au début des années 80, il avait découvert l'histoire du comte de Chambord et fait des recherches sur ce qui l'avait fait renoncer au trône de France en 1873, ce qui marquera l'avènement de la République. Il en conclut : "En République, comme de tous temps et sous tous les régimes, il y a des conservateurs, et des progressistes, la droite et la gauche. En République, le leader du parti majoritaire devient président. En Monarchie, il devient Premier ministre. Au-dessus des partis, il y a un arbitre, le roi. La République, c'est comme si, au foot, on élisait arbitre le capitaine d'une des deux équipes [...] A travers le renoncement du comte de Chambord, j'ai compris l'idée monarchique. Je l'ai trouvée évidente. C'est toujours le cas." Comme pour la religion, Thierry Ardisson restera monarchiste jusqu'au bout.
Retrouvons en images les moments marquants qui ont jalonné son parcours spirituel et "politique."
La religion, une tradition familiale
La mairie de Bourganeuf dans la Creuse, lieu de naissance de Thierry Ardisson. A propos de son père, il disait dans sa biographie "Voir le sien se mettre à genoux pour murmurer des choses à Dieu c'est une sensation très étrange [...] Je ne prends jamais sa piété pour de la faiblesse."
Collège Saint-Michel d'Annecy
Le collège (et lycée) privé Saint-Michel d'Annecy où Thierry Ardisson a reçu une éducation catholique sévère lais bénéfique : "Etrangement, je n'en garde pas le mauvais souvenir qu'on pourrait croire. Au début, je supporte très mal la discipline, la rigueur, l'austérité des pères enseignants. Mais, je sens que tout ça n'est pas inutile."
Un mai 68 rock'n roll
Mai 68 n'a pas été très agité pour Thierry Ardisson qu se faisait rare dans les manifestations. Il se souvient, à Montpellier : "Dans la journée, on défile place de la Comédie contre le pouvoir pourri en criant 'CRS = SS' !' Et le soir, dans les boîtes qui donnent de plain-pied sur la route des plages, on voit les mêmes CRS arriver à moto jusqu'au milieu de la piste sous les spots, en faisant vrombir leurs moteurs... Ils viennent boire des Pastis avec les 'Révolutionnaires'..."
La période hippie
A Bali "Parce que Katmandou, c'est ringard. Et Goa, démodé", Thierry Ardisson goûte à touts les drogues. "Ici, la défonce commence au réveil avec les fameuses omelettes aux champignons hallucinogènes."
Le magazine Façade : la révélation
Ici, la fête donnée pour les 40 ans du magazine Façade au VIP Room. "C'est avec Façade que je vais pouvoir approcher les rich and beautiful qui me fascinent. Traduit en name droping ça fait : Andy Warhol, Yves Saint-Laurent, Brian Ferry, Yb=ves Adrien, Jack Nicholson, Salavador Dali, Edwig, Mick Jagger..."
Le changement de classe
"Quand j'ai vu les mecs de Façade, j'ai compris que j'avais l'air d'une cloche [...] J'ai tout de suite adopté le costard. Après toutes ces années passées avec des paillettes, des foulards, des broderies, j'ai décidé de m'habiller définitivement neutre. J'ai acheté des costumes gris anthracite et des polos Lacoste, rouge, vert, leu, jaune..." s'amusait Thierry Ardisson dans sa biographie.
La découverte de la monarchie
Royaliste, Thierry Ardisson le deviendra au fur et à mesure de ses lectures et recherches entamées au début des années 80. "Je sais Philippe, je suis chiant sur la monarchie, mais après deux cents ans de propagande républicaine, les Français n'abordent pas sereinement le sujet. Pour eux la monarchie ça serait le retour à l'Ancien Régime et aux serfs. Ils refusent de voir que la moitié des pays d'Europe, qui sont des monarchies, n'ont rien à envier à la France au chapitre du niveau de vie et des droits sociaux. Au contraire", insistait-il auprès de Philippe Kieffer.