Succession : ce cas où vous ne pouvez pas revendre la maison dont vous avez héritéIllustrationIstock
INTERVIEW. Si la loi protège les ayants droits, l'exhérédation est plus courante qu'on ne le pense. Quelles en sont les raisons et comment la mettre en place ? Murielle Cahen, avocate spécialisée en droit successoral nous répond.
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Les héritiers n’ont pas toujours les pleins pouvoirs sur leur succession. En témoigne un litige entre un père et son fils. La Cour de cassation (Cass. Civ 1, 14.4.2021, J 19-21.290) a en effet rappelé qu’un défunt pouvait imposer des conditions en léguant un bien pris sur la quotité disponible de son patrimoine. Cela signifie qu’il peut léguer un bien à qui il le souhaite, rapporte Le Figaro.

Dans cette affaire, le fils reprochait à son père d’avoir vendu la maison léguée par sa mère. Selon le testament édité par sa mère défunte, le bien, donné au mari, devait, à son décès, être transmis à leur fils.

Succession : gare au "legs graduel"

La loi nomme cette situation le "legs graduel". Si le père hérite, son droit de propriété est minimisé par une obligation de transmission à son fils dans l’avenir. Cette contrainte lui interdit de vendre ou de donner ce bien, a indiqué la Cour. Le "legs graduel" ne doit toutefois pas être confondu avec le "legs résiduel", qui permet de léguer à l’un avec l’obligation de transmettre à l’autre ce qui restera lors de son propre décès. Dans ce cas, il est possible qu’il ne reste rien si le bien est vendu.

En vendant la maison, le père a ainsi exercé un droit qu’il ne possédait pas, a jugé la Cour. C’est toutefois le notaire qui a été condamné à indemniser le fils, car il n’a pas souligné ces obligations et interdictions lors du règlement de la succession. Il ne les a pas non plus publiées au service de la publicité foncière, qui aurait interdit la vente du bien.

 Quelles sont les autres situations où les héritiers peuvent être contraints et pourquoi ? Faisons le point avec Me Cahen, spécialisée, entre autres, en droit successoral.

Succession : l’exhérédation est-elle courante ?

Oui, plus qu'on ne le pense. "Il est possible de déshériter son conjoint ou de réduire sa part d’héritage au minimum. En cas de mariage sans enfant, le conjoint survivant ne peut être complètement déshérité, mais sa part peut être fortement réduite par testament", nous explique Me Murielle Cahen, spécialisée, entre autres, dans le droit civil et familial.

"En revanche, en présence d’enfants, on peut déshériter complètement son conjoint par anticipation, en faisant un testament. Toutes les libéralités, qu'elles soient rapportables ou faites hors part successorale, échappent à l'emprise de l'époux survivant. Celui-ci est déshérité par des donations ou des legs qui épuisent la quotité disponible au profit d'autres successibles ou tiers à la succession", poursuit-elle.

Dans tous les cas, le conjoint survivant récupèrera la part des biens du couple qui lui revient de droit en raison de leur régime matrimonial. Aux termes de l'article 758-5 du Code civil, " le conjoint ne pourra exercer son droit que sur les biens dont le prédécédé n'aura disposé ni par acte entre vifs, ni par acte testamentaire, et sans préjudicier ni aux droits de réserve, ni aux droits de retour", détaille l'experte.

Comme le précise l’Alliance expert en patrimoine et finance (Adetef), "l’acte de déshériter un enfant est aussi courant. On parle alors d’exhérédation". Un ou plusieurs enfants peuvent ainsi être retiré de l’héritage. Le parent a la possibilité de retirer un ou plusieurs enfants de son héritage. En cause : des enfants qui ont mieux réussi que d’autres, la présence d’un enfant handicapé que les parents souhaitent privilégier, enfant s’occupant d’un parent malade avantagé en guise de gratitude, dispute familiale, don du patrimoine à une œuvre de charité… Les situations peuvent être multiples.

"Déshériter un enfant est une disposition négative testamentaire par laquelle le testateur écarte une ou plusieurs personnes généralement appelées héritiers présomptifs (Cour d’appel de Paris – Pôle 01 ch. 02 11 février 2021 / n° 20/06654), des biens qu’elles sont censées recueillir en vertu de la loi, au décès de leur auteur", nous indique de son côté Me Cahen. Cela peut se faire par une exhérédation par arrangement familial (article 725 du Code civil) ou par le choix de la loi applicable de l’indignité successorale : "Pour exclure l’application de la loi française, le de cujus peut, tout d’abord, tenter de déclencher l’application d’une loi étrangère qui ignore la réserve héréditaire. Ainsi, lorsqu’un héritier réservataire est condamné comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt, il peut être déshérité", détaille l'experte.

Est-il toutefois possible de déshériter entièrement ses enfants ?

Succession : la loi protège les héritiers à travers la réserve héréditaire

"Le testament pourrait limiter les droits des ayants droits par des actes de disposition en l’occurrence des legs faits à des tiers. En principe, chacun est libre de faire ce qu’il souhaite de son argent, de ses biens, de son patrimoine !", assure l'avocate.

"Toutefois, le testateur peut décider de remettre tous ses biens à une ou plusieurs personnes par legs universel. Dès lors, le légataire universel recevra la totalité des biens du défunt. Néanmoins, en présence d’héritiers réservataires, le legs universel ne portera pas sur l’ensemble du patrimoine. Dans ce cas, le légataire universel ne recevra qu’une fraction de la succession : la quotité disponible"

Comme le stipule l’article 912 du Code Civil, "la réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent. La quotité disponible est la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités."

La loi protège donc les héritiers à travers la réserve héréditaire. Ils ne peuvent ainsi pas être entièrement déshérités. Seule l’intégralité de la quotité disponible peut-être léguée à une tierce personne. "Cela se fait par testament ou par le biais d’une donation. La quotité disponible va dépendre du nombre d’héritiers réservataires", détaille l’Adetef :

  1. Lorsqu’il y a un enfant, "la réserve héréditaire concerne la moitié de l’intégralité du legs, tout comme la quotité disponible représentera l’autre moitié".
  2. Quand il y a deux enfants, "la réserve héréditaire concerne 2/3 du legs et la quotité disponible est d’un tiers".
  3. Dès trois enfants ou plus, "la réserve héréditaire est des 3/4 du legs pour une quotité disponible de ¼".