INTERVIEW. Le 1er février 2022, le rendement du livret préféré des Français devrait enfin être revu à la hausse. Au vu de l'inflation actuelle, est-ce vraiment une bonne nouvelle ? Le point avec Philippe Crevel, directeur du Cercle de l'Épargne.
Sommaire

Les Français devraient se réjouir. Depuis le 1er février 2020, le Livret A est au taux plancher de 0,5%. En raison de l’inflation, son rendement devrait enfin augmenter. Au micro de BFMTV/RMC, Bruno Le Maire a déclaré la hausse du taux du livret A augmentera "en janvier". Si le nouveau taux sera connu début 2022, il sera mis en place en février. Le ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance a expliqué que "protéger les français contre la hausse des prix" était "sa priorité absolue", étant lucide sur l'inflation.

Est-ce pour autant réellement de bon augure ? Cette décision va-t-elle permettre d’avantager les personnes aux revenus les plus modestes ? Nous nous sommes entretenus avec Philippe Crevel, économiste et directeur du Cercle de l’Épargne, afin de répondre à ces interrogations.

Augmentation du Livret A : "Toute augmentation du taux est une bonne nouvelle"

Planet. Ce mercredi 8 décembre, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a déclaré au micro de RTL que "le calcul du taux du livret A intégrera l’inflation des six derniers mois". Selon les estimations, il devrait donc augmenter entre 0,75 et 1%. Est-ce vraiment une bonne nouvelle pour les épargnants ?

Philippe Crevel. "Pour les épargnants, toute augmentation du taux est une bonne nouvelle. Même si certains pourraient considérer que le compte n’y est pas, car l’inflation atteint 2%. De fait, même si le Livret A était remonté à 1 point, ce qui reste peu probable, le rendement réel de votre épargne serait encore négatif."

Planet. Quel est pour eux l’intérêt de conserver ce livret d’épargne ?

Philippe Crevel. "Il est toujours plus intéressant d’avoir 0,5%, 0,75% ou 1% plutôt que 0%. Placer votre argent sur le Livret A rapporte ainsi plus que de laisser dormir vos deniers sur votre compte courant.

D’autre part, ce produit bénéficie d’une garantie en capital, et d’une liquidité totale. Vous pouvez y placer de l’argent le lundi, le ressortir le mardi et être sûr de retrouver le même montant, sans aucun prélèvement de frais. Il y a peu de produits qui offrent cet avantage de sécurité et liquidité, sans frais. Compte tenu du taux appliqué, le produit demeure attractif. À titre de comparaison, les autres livrets bancaires fiscalisés offrent des rendements autour de 0,1%, selon la banque de France. Le Livret A reste donc compétitif, et ce, même s’il ne rapporte que peu."

Le livret préféré des Français pourrait-il rapporter plus que les placements à long terme ?

Livret A : gare à la hiérarchie des taux de cohérence

Planet. Vous évoquez un problème de hiérarchie des taux de cohérence. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Philippe Crevel. "Logiquement, le taux d’un produit d’épargne de court terme comme le Livret A est plus faible qu’un produit d’épargne de long terme. Il y a en effet toujours une part de risque lorsque vous placez vos économies sur 3, 5 ou 6 ans : il faut attendre que l’épargne soit mieux rémunérée à 1, 2 ou 3%. Or, si le Livret A est remontée trop fortement, il sera au-dessus des taux proposés par d'autres placements (les obligations par exemple ou l’assurance vie, dont le rendement sans fiscalité se monte à 0,7%). La logique est d’inciter à placer sur le long terme et non sur le court terme. Aujourd’hui, nous sommes près de l’inversion, la hiérarchie s’inverse."

Comment y remédier ?

Épargne : "Je suggère plutôt d’augmenter le rendement du LEP"

Planet. Quelles solutions conseillez-vous ?

Philippe Crevel. "La France est un des rares pays à être dotée de produits d’épargne réglementés. La logique voudrait qu’on n’augmente pas trop le taux. Car ce ne sont pas forcément les plus modestes qui placent leur épargne sur le Livret A.

C’est pourquoi je suggère plutôt au gouvernement d’augmenter le rendement du Livret d’Épargne Populaire (LEP) pour véritablement favoriser les personnes à revenus modestes (essentiellement les non imposables à l’impôt sur le revenu soit la moitié des ménages). Pour cela, il faudrait modifier la formule de calcul de ce dernier, et le placer à 2 % contre 1 % actuellement. Ainsi, l’épargne populaire serait protégée de l’inflation pour un coût relativement réduit ; autour de 200 millions d’euros, contre 1,1 milliard par an du fait de la future hausse du Livret A (banques et Caisse des Dépôts cumulés). Le LEP serait alors plus attractif, car jusqu’ici, seule la moitié des bénéficiaires potentiels y ont souscrit."