Que va-t-il arriver aux bijoux volés au Louvre : l'avis d'un criminologue
Le cambriolage survenu dimanche 19 octobre au matin mais en plein jour au musée du Louvre, devant des centaines de touristes ahuris, a sidéré le monde entier, les Etats-Unis étant les premiers à se moquer de notre conception de la sécurité d'un patrimoine à la valeur inestimable (le "préjudice" a tout de même été évalué à environ 88 millions d'euros). Pour l'observateur lambda, cette rafle éclair semble particulièrement professionnelle dans son mode opératoire. Mais pour un criminologue comme Éric Phelippot, honoré par la Médaille de la Sécurité Intérieure et auteur du livre Alerte Interne, le regard est tout autre. Entretien.
"Des cambrioleurs opportunistes"
Planet.fr : On évoque un "cambriolage" de la part d'un commando "professionnel." Or celui-ci a laissé des indices derrière-lui, comme un gant, un casque, a laissé tomber (volontairement ?) une couronne à la valeur inestimable et n'a pas réussi à mettre le feu au monte-charge pour effacer ses traces (ce qui paraît peu professionnel justement) : qu'en pensez-vous ?
Éric Phelippot : Je ne pense pas que ce soit un commando professionnel, mais plutôt des cambrioleurs opportunistes, des délinquants sans spécialité artistique. Ils ne sont pas des cerveaux du crime ni des passionnés d’art. Ils ont profité d’une faille de sécurité certainement dévoilée par une complicité interne (80 à 90 % des cas). Les gestes n’ont pas la précision du professionnel. La motivation principale est le profit immédiat sans grande planification et peut-être peu de repérage. Ils volent ce qui est à portée de main, souvent sans mesurer la valeur réelle des objets.
Planet.fr : Pourtant, leur méthode pour pénétrer dans le musée, leur sang-froid et la durée très courte de leur rafle semble élaborée, voire spectaculaire ?
Éric Phelippot : Un vol opportuniste de musée n’a rien de spectaculaire. Pas de lasers, pas de corde, pas de plan dessiné sur une nappe de café. Il se résume souvent à un geste simple : une porte mal verrouillée, une vitrine fragile, un gardien distrait, une faille de fenêtre non sécurisée. L’opportuniste agit dans le vide laissé par la sécurité ou l’autorité. Contrairement aux clichés hollywoodiens, le vol opportuniste est souvent malhabile : objets brisés lors du transport, œuvres endommagées faute de savoir les manipuler, vols captés par des caméras de surveillance.
Planet.fr : Ils ont juste profité de failles qui leur ont été signalées de l'intérieur ?
Éric Phelippot : Le cambrioleur opportuniste agit comme un révélateur des failles structurelles, une sécurité défaillante, absence d’alarme, un manque de moyens humains, des musées oubliés des budgets publics. Son geste interroge la valeur qu’une société accorde à son patrimoine : si voler une œuvre est si facile, est-ce qu’on la protège vraiment ? L’opportuniste, malgré lui, expose la vulnérabilité des lieux de mémoire, il met à nu la fragilité de la culture lorsqu’elle n’est plus surveillée.
Que vont devenir les bijoux volés au Louvre ?
Planet.fr : Peut-il vraiment s'agir d'une "commande" d'un pseudo collectionneur ou cela relève-t-il du fantasme ?
Éric Phelippot : Il y a peu de chances que ce soit une commande d’un collectionneur. Les objets n’auraient aucune valeur économique, et cette personne prendrait des risques juridiques et de crédibilité. De plus, il n’existe pas de "marché noir" des objets d’arts structuré.
Planet.fr : Les pierres seront-elles retaillées pour la revente, les métaux (bien qu'il y en ait peu) fondus pour prendre le même chemin ? Ce qui ferait perdre de la valeur au butin au vu des 88 millions de préjudice évoqués ?
Éric Phelippot : Cette éventualité est fort possible, si ce sont des voleurs opportunistes, n’ayant pas les filières de l’art. Je ne suis pas sûr que ces personnes aient la fibre pour le patrimoine et l’histoire.
Une garantie pour le grand banditisme ?
Planet.fr : Les bijoux peuvent-ils vraiment servir, comme ça a été évoqué, de garantie lors de transactions entre bandes criminelles ?
Éric Phelippot : Oui, les bijoux peuvent faire de bons gages pour les criminels par leurs valeurs importantes, leur petit volume, facile à transporter et à dissimuler, et par la facilité de stockage. Dans certaines cultures, les bijoux ou l’or sont reconnus comme un moyen d’épargne hors système. Ils peuvent être employés comme gage physique remis à un intermédiaire ou à la partie adverse jusqu’à réalisation d’un accord (livraison de drogue, paiements, libération d’otage, etc.).
Planet.fr : Pensez-vous que les auteurs du cambriolage seront retrouvés ?
Éric Phelippot : La récupération des bijoux existe et peut être spectaculaire lorsqu’elle est le résultat d’enquêtes internationales coordonnées, mais globalement la probabilité de retrouver une œuvre de musée volée reste faible, surtout si l’objet est célèbre, rapidement déplacé, ou fondu et transformé. Les estimations officielles et policières varient, mais les autorités et experts évoquent souvent des taux de récupération très bas (2 à 10 % selon les méthodes de calcul). Le temps est important et il est urgent de confondre la complicité interne plus que probable.