Affaire Grégory : meurtres, suicides, mises en examen… Les dates à retenirAPI/Gamma-Rapho via Getty ImagesService de presse
C'est l'une des affaires judiciaires les plus retentissantes du siècle dernier. Le 16 octobre 1984, le petit Grégory Villemin, 4 ans, était repêché pieds et poings liés dans la rivière de la Vologne, au cœur des Vosges. Depuis, le crime demeure non élucidé, mais les péripéties et les drames se sont enchaînés. Retour sur près de 40 ans d'imbroglio judiciaire et de scandales et d'histoires de famille.
Sommaire

Le drame se passe au cœur de la vallée de la Vologne, dans les Vosges rurales et ouvrières, là où se massent plusieurs familles qui, depuis des générations, vivent peu ou prou le même quotidien.

Docelles, Lépanges, Aumontzey… Dans le triangle formé par ses trois communes naissent, et meurent, bien des secrets. Mais que s'est-il exactement passé, où ?

Affaire Grégory : les lieux au coeur de l’affaire

Lépanges-sur-Vologne :

  • Ancien domicile des parents de Grégory, Jean-Marie et Christine Villemin : 4 rue des Champs
  • Cimetière ou est enterré Grégory en 1984 (sa sépulture sera rapatriée plus tard en Essonne, où déménageront ses parents)

Aumontzey (480 habitants) :

  • Domicile de Marcel et Jacqueline Jacob (grand-oncle et grand-tante) : habitent au 365 chemin de la Coté, ainsi que "Daniel l’indien", le frère de Jaqueline, et Réné Jacob, frère de Marcel (habite au 4 rue Pré Dixit, Granges Aumontzey)
  • Domicile de Michel Villemin et Ginette Villemin (grand-oncle et grand-tante)
  • Domicile de Bernard Laroche et Marie-Ange Laroche
  • Domicile de Albert et Monique Villemin (grands-parents)

Docelles :

  • Endroit où le corps de Grégory est retrouvé le 16 octobre 1984, dans la Vologne. (À 6km de Lépanges-sur-Vologne)

Dijon :

  • L’affaire est dépaysée dès 1987 à la cour d’appel de Dijon, et instruite dès lors par Maurice Simon, jusqu’à son décès en 1994.
  • Le dossier est désormais géré par la magistrate Claire Barbier.
  • C’est aussi le SRPJ de Dijon qui reprend l’enquête des mains des gendarmes en février 1985.

Epinal :

  • C’est là que sera instruit le dossier du 16 octobre 1984 au 17 mars 1987, par le juge Jean-Michel Lambert, surnommé “le petit juge”.

Affaire Grégory : les dates clés à retenir

Dans ce fouillis de noms et de villages, difficile de s’y retrouver, surtout que le dossier trône sur les étagères de la justice depuis maintenant 38 ans… Et que les rebondissements sont allés bon train.

A l’occasion de la publication de notre enquête spéciale, Meurtre du petit Grégory : les affaires dans l’affaire, Planet vous propose de découvrir une infographie exclusive, regroupant les principales dates de l’affaire, et retraçant, de façon sommaire, la trame du drame.

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Voici, plus en détails, la chronologie complète de l’affaire :

1981

La famille Villemin (le couple Jean-Marie et Christine, ainsi que les grands-parents Albert et Monique) reçoit les premiers appels et lettres du « corbeau » : elle en recevra plusieurs centaines jusqu’en mai 1983.

1984

16 octobre 1984

17h : Grégory Villemin, 4 ans, disparait alors qu’il joue devant chez lui.

17h32 : Michel Villemin, l’un des frères de Jean-Marie Villemin, reçoit un appel du « corbeau » l’informant de la mort de Grégory, précisant qu’il a été jeté dans la rivière.

17h50 : Christine Villemin signale la disparition de son fils à la gendarmerie.

21h15 : Il est retrouvé mort, pieds et poings liés, dans la Vologne (Vosges), à Docelles, à 6km du domicile de ces parents à Lépanges-sur-Vologne.

17 octobre : Les parents de Grégory Villemin reçoivent une lettre anonyme d’un "corbeau", "Ton fils est mort. Je me suis vengé". La lettre porte le cachet de la poste de Lépanges-sur-Vologne de la veille à 17h15.

Quelques jours plus tard, Jean-Marie Villemin reçoit une nouvelle lettre "J’espère que tu mourras de chagrin, le chef. Voilà ma vengeance"

L’autopsie de Grégory affirme qu’il est mort noyé, mais ne permet pas de conclure s’il a été noyé dans les eaux de la Vologne ou dans une baignoire, et s’il a été ligoté avant ou après sa mort. Le corps ne présente pas d’hématome, de lésions ou de traces de défense : seule une ecchymose est observée au niveau du décollement du cuir chevelu.

Le 3 novembre : Murielle Bolle, 15 ans, belle-sœur de Bernard Laroche, le cousin de JM Villemin, est entendue en garde à vue. Elle dit aux gendarmes qu’elle était dans la voiture avec Bernard le jour où Grégory a disparu : que ce dernier est allé chercher le petit devant chez lui, puis est sorti de la voiture un peu plus loin avec Grégory « le gosse », pour revenir tout seul quelques instants plus tard.

Le père de Murielle Bolle, Lucien, signe le PV de la déposition de sa fille le même jour.

5 novembre : Bernard Laroche, cousin de Jean-Marie Villemin, est inculpé d’assassinat après le témoignage de sa belle-sœur, Murielle Bolle. Sa jalousie pour la réussite de son cousin est mise en avant comme éventuel mobile.

Le même soir, selon un cousin de Murielle, cette dernière se serait faite sérieusement lyncher par sa famille.

7 novembre : Murielle Bolle se rétracte et revient sur son témoignage devant les journalistes : elle assure avoir inventé son histoire face à la pression des gendarmes, qui, selon ses dires, lui promettait la maison de correction si elle ne parlait pas. « Bernard est innocent » clame-t-elle. Les expertises sont annulées pour vice de forme.

9 novembre : à Docelles, un garde champêtre découvre sur les berges d’un bras de la Vologne une ampoule d’insuline vide, son emballage, ainsi qu’une seringue. L’emplacement de la découverte est aussi l’endroit désigné par Murielle Bolle comme étant l’endroit où Bernard Laroche serait descendu de voiture avec Grégory. L’injection d’insuline sur un non-diabétique peut entraîner un coma profond, mais est presque impossible à détecter lors d’une autopsie. La présence d’insuline dans le corps de Grégory n’a pas été prouvée et ne reste qu’une supposition. Aucune analyse toxicologique n’est venue conforter cette hypothèse.

1985 à 1987

4 février1985 : Bernard Laroche est remis en liberté. La gendarmerie est dessaisie de l’enquête : c’est la SRPJ de Nancy qui reprend toutes les investigations depuis le début.

29 mars1985 : Jean-Marie Villemin abat Bernard Laroche d’un coup de fusil de chasse, à son domicile à Aumotnzey. Il est convaincu de la culpabilité de son cousin.

5 juillet 1985 : Christine Villemin, mère de Grégory, alors enceinte de six mois, est désignée comme possible corbeau de la lettre anonyme par des graphologues (à 80% de probabilité), des témoins disent l’avoir croisée à la Poste le jour du drame et des cordelettes semblables à celles retrouvées sur Grégory sont trouvées au domicile familial ; elle est inculpée et écrouée pendant 10 jours.

16 juillet 1985 : Christine Villemin est libérée et placée sous surveillance judiciaire.

17 juillet1985 : Publication d’un texte controversé de Marguerite Duras dans Libération, où elle défend à la fois le geste de Christine Villemin tout en l’accusant d’avoir commis l’infanticide.

24 juillet1985 : les grands-parents Villemin reçoivent une nouvelle lettre du corbeau « Je vous ferez à nouveau la peau. Prochaine victime : Monique ».

22 juillet 1986 : Jean-Marie Villemin est renvoyé aux assises pour le meurtre de Bernard Laroche.

9 décembre 1986 : Christine Villemin est renvoyée aux assises pour le meurtre de Grégory.

17 mars1987 : Cassation de l’arrêt de renvoi de Christine Villemin. La cour d’appel de Dijon reprend l’enquête.

24 décembre 1987 : Jean-Marie Villemin est libéré, placé sous contrôle judiciaire, assigné à résidence dans l’Essonne (à Etampes), où le couple s’est installé avec ses trois enfants.

1993

3 février : Christine Villemin bénéficie d’un non-lieu pour « absence totale de charges ».

16 décembre : Au terme de quatre semaines de procès, Jean-Marie Villemin est condamné à cinq ans de prison ferme pour le meurtre de Bernard Laroche dont un avec sursis ; il est libéré quelques jours après, ayant purgé l’essentiel de sa peine en détention préventive depuis 1987 (34 mois).

2000 à 2006

14 juin2000 : Brève réouverture de l’enquête pour une recherche d’ADN sur un timbre d’une lettre du « corbeau » datant de 1983, à la demande des époux Villemin : finalement qualifiée inexploitable en octobre de la même année.

2001 : Clôture de l’instruction.

30 juin2004 : L’état est condamné à verser 35 000 euros à chacune des parents de Grégory pour « faute lourde » ; sous entendant le dysfonctionnement de la justice.

Avril 2005 : Jean-Marie Villemin demande sa réhabilitation.

2006 : Le colonel de gendarmerie Etienne Sesmat, qui a dirigé l’enquête dans les premiers temps, publie un livre Les deux affaires Grégory, dans lequel il laisse entendre que de lourds soupçons pèsent encore sur Bernard Laroche.

25 octobre 2006 : Murielle Bolle demande la réouverture de l’enquête, demande rejetée le 9 janvier 2007.

2007 à 2010

26 juin 2007 : Le parquet général indique ne pas s’opposer à la réhabilitation demandée par Jean-Marie Villemin en vue d’effacer sa condamnation prononcée en 1993 pour le meurtre de Bernard Laroche.

3 juillet 2007 : La chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris rejette finalement la demande de réhabilitation de Jean-Marie Villemin.

5 juillet 2007 : Jean-Marie Villemin renonce à un pourvoi en cassation.

9 juillet 2008 : Des traces d’ADN sont prélevées sur le pantalon, le pull-over et l’anorak de Grégory. Saisi par les époux Villemin, le procureur de la République de Dijon demande la réouverture de l’instruction.

3 décembre 2008 : La cour d’appel de Dijon réouvre l’enquête.

22 octobre 2009 : Le procureur général de Dijon annonce la découverte de deux ADN identifiables, un masculin et un féminin, récupérés sur les lettres anonymes adressées à la famille, et sur les cordelettes qui avaient servi à entraver Grégory.

17 novembre 2009 : une cellule de 12 gendarmes est activée pour reprendre l’enquête.

11 décembre 2009 : Tous les acteurs du dossier dans l’affaire sont soumis à des prélèvements d’ADN.

21 janvier 2010 : le président de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Dijon renonce à exhumer le corps de Bernard Laroche pour des identifications d’ADN ; la justice dispose d’autres moyens.

5 mai 2010 : Les prélèvements ADN sur des scellés de 1984 sont exploitables, mais ne correspondent à aucun profil parmi les 150 proches sondés.

L’instruction annonce de futures analyses vocales sur les appels téléphoniques du « corbeau ». Infructueuses aussi.

2011 à 2013

4 janvier2011 : la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté définitivement la demande de constitution de partie civile de Marie-Ange Laroche, veuve de Bernard Laroche.

24 avril2013 : les analyses des traces ADN relevées sur les vêtements de Grégory ne donnent rien.

2017

14 juin : Marcel Jacob, 71 ans, l'oncle maternel de Jean-Marie Villemin et sa femme Jacqueline, 72 ans, sont placés en garde à vue ainsi que la belle-sœur de Jean-Marie Villemin, Ginette Villemin (femme de Michel).

Depuis plus d’un an, deux analystes criminels ont relu les 12000 pièces du dossier Grégory : chaque protagoniste a été « positionné » dans le laps de temps fatal (une demi-heure) de la mort de Grégory, grâce au logiciel Anacrim.

Parmi les nombreuses expertises graphologues du dossier, certaines seraient compatibles avec l’écriture de plusieurs suspects.

15 juin : Ginette Villemin est remise en liberté en fin d’après-midi.

Les grands-parents de Grégory, Albert et Monique Villemin, ainsi que Murielle Bolle sont entendus comme témoins lors d’auditions libres.

Les expertises en écriture ont confondu Monique : elle a envoyé des courriers de menace au juge d'instruction de 1993, le juge Simon. Elle serait donc l'un des autres corbeaux de cette histoire.

Le 16 juin, le procureur Jean-Jacques Bosc annonce la mise en examen de Marcel et Jacqueline Jacob pour « arrestation, séquestration, enlèvement suivi de mort ». Ils sont incarcérés provisoirement. Les analyses graphologiques incriminent Jacqueline Thuriot épouse Jacob, et l’enquête établit un lien entre ces lettres et les appels de menaces, probablement lancés par son époux Marcel.

20 juin : Le parquet général requiert le maintien en détention de Marcel et Jacqueline Jacob. Jacqueline Jacob a écrit une lettre expliquant qu’elle n’y était « pour rien ». Son époux, Marcel, a lui « hurlé son innocence », selon son avocat.

La chambre de l’instruction décide pourtant de libérer les époux Jacob le même jour, tout en les maintenant sous contrôle judiciaire et en interdisant le contact entre eux.

28 juin : la belle-sœur de Bernard Laroche, Murielle Bolle, 48 ans, est interpellée à son domicile. Les gendarmes disposent en effet encore de 25 heures sur la garde à vue que Murielle avait entamée en novembre 1984 pour « des faits de complicité d’assassinat, non dénonciation de crime ».

29 juin : Murielle Bolle sort de garde à vue. Elle est déférée pour être présentée au juge d’instruction, et sera ensuite soit mise en examen ou placée sous le statut de témoin assisté. Elle quitte cependant la cour d’appel de Dijon en début d’après-midi, avant son audience, sur un fauteuil roulant, après avoir fait un malaise.

Elle est finalement mise en examen dans la soirée pour « enlèvement de mineur suivi de mort » et incarcérée.

5 juillet : plusieurs éléments recueillis par Le Figaro fragilisent le témoignage du cousin de Murielle. Ce dernier affirmait que le 5 novembre au soir, l’avocat Pau Prompt était au domicile des Bolle, empêchant la diffusion d’une interview de Murielle à la TV et mettant déjà en scène sa rétractation le lendemain.

Or, selon le journal, Me Prompt n’est arrivé en Vologne que le 8 novembre, saisi du dossier en tant qu’avocat de Laroche le 6.

6 juillet : Selon son avocat Christophe Ballorin, Murielle Bolle entame une grève de la faim en prison. Elle exige l’organisation rapide d’une confrontation avec son cousin témoin de violences le 5 novembre 1984.

Selon Christophe Ballorin. Murielle Bolle vit des conditions de détention terribles (isolement, menaces) et aurait des pensées suicidaires.

10 juillet : Marie-Ange Laroche, veuve de Bernard Laroche et sœur de Murielle Bolle s’exprime devant plusieurs médias, assurant qu’elle ou sa famille n’ont jamais violenté Murielle. Elle adresse également une lettre au président de la République, dans laquelle elle dénonce le contenu des carnets d’instruction du Juge Simon (entre 1987 et 1990), qui sont divulgués dans la presse le jour même et qui s’en prennent au clan Laroche.

11 juillet : le juge Jean-Michel Lambert, surnommé le petit juge, qui a instruit l’affaire de 1984 à 1986, est retrouvé mort, un sac plastique sur la tête, à son domicile du Mans.

De son côté, Murielle Bolle arrête sa grève de la faim, afin de préparer la confrontation, fixée le 28 juillet, avec son cousin.

17 juillet : Murielle Bolle dépose une demande de remise en liberté par le biais de ses avocats.

19 juillet : Des lettres de suicide du juge Lambert sont dévoilées : il y réitère que Bernard Laroche est innocent.

28 juillet : La confrontation entre Murielle Bolle et son cousin a lieu en présence de la juge d’instruction de Dijon, Claire Barbier.

4 août : Murielle Bolle est libérée sous surveillance judiciaire.

2018 et après

16 mai 2018 : les mises en examen de Murielle Bolle, Marcel et Jacqueline Jacob sont annulées pour vice de forme.

Novembre 2018 : Murielle Bolle publie Briser le silence aux éditions Michel Lafon, un livre-témoignage où elle accuse le “cousin Patrick” de mentir

Dans la foulée, Patrick Faivre porte plainte pour “diffamation”.

Juin 2019 : Murielle Bolle est mise en examen pour “diffamation aggravée"

La procédure se soldera toutefois par un non-lieu à cause d’une erreur de procédure.

16 janvier 2020 : La Cour de cassation annule la garde à vue de Murielle Bolle en 1984, jugée anticonstitutionnelle

Avril 2021 : une expertise stylométrique versée au dossier désigne Jacqueline Jacob comme étant le corbeau, révèle 20 Minutes.