Mort d'Elisa Pilarski : à qui la faute ?Istock
Le 16 novembre 2019, Elisa Pilarski part pour sa dernière balade avec le chien de son compagnon. Un peu plus d'une heure après son départ, son corps est retrouvé sans vie, mordu à mort. Deux ans se sont écoulés et la vérité n'a toujours pas été prononcée. Témoignages exclusifs, scénario minute par minute… Planet a mené l'enquête sur ces 24 mois de mystère. Troisième épisode de notre série : à qui la faute ?
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Le couperet est tombé. Le 5 novembre 2020, nouveau bouleversement dans l'affaire Pilarski. Un rapport épais de 46 pages, établi par les docteurs Alain Mayer et Christian Diaz, incrimine Curtis comme étant responsable de la mort de la femme enceinte. Après étude des lésions retrouvées sur le corps de la victime, des mâchoires des différents canidés impliqués dans l'affaire, et des comportements du Pitbull de Christophe Ellul, les vétérinaires sont formels. Compte tenu de la puissance et de l'entraînement au mordant de l'animal, "le chien Curtis doit être considéré comme parfaitement capable, à lui seul, de l'avoir mordu à plusieurs reprises jusqu'à son décès". 

Le document complet, relayé par Oise Hebdo, fait état de plusieurs facteurs de vulnérabilité chez Elisa Pilarski. D'abord, la passionnée de chiens était un petit gabarit d'1m52 pour 56 kilos, ce qui n'est pas suffisant pour contrôler ou repousser un animal comme Curtis. De plus, la victime était enceinte de six mois : malgré sa "parfaite forme physique", elle était indéniablement moins réactive et agile qu'une personne qui ne serait pas enceinte. Enfin, le rapport toxicologique a établi que la future maman était sous l'emprise de stupéfiants au moment de sa mort, "facteur aggravant par la confusion mentale et l'incohérence de la communication qui peut en découler". 

Curtis, pour le meilleur et pour le pire

Julie Faure, 33 ans, éducatrice et comportementaliste canin, est passionnée par le monde animalier depuis sa plus tendre enfance. Pour Planet, cette spécialiste a accepté de nous aider à comprendre pourquoi Curtis serait coupable, et pas un autre chien. "Curtis est né dans un élevage d'American Pitbull Terrier situé aux Pays-Bas, race autorisée là-bas, et a été introduit illégalement en France, sur la base de documents falsifiés", commence par expliquer l'éducatrice. Que sait-on de cette race interdite sur notre territoire ? "C'est un chien puissant, courageux, très sportif et très proche de son maître, auquel il fera aveuglément confiance, pour le meilleur et pour le pire…" énumère-t-elle. Si ce chien fait aujourd'hui office de compagnon éduqué et social, il a toutefois longtemps été entraîné pour le combat. 

Les Pitbull, une race montrée du doigt et stigmatisée

C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles cette race est strictement interdite en France. "Au milieu des années 1990 (...) la détention des Pitbull était un phénomène essentiellement urbain avec une concentration accrue dans les banlieues et cités. Utilisés pour les combats de chien ou comme arme de dissuasion pour les dealeurs, les Pitbull ont été de plus en plus montrés du doigt et malheureusement stigmatisés", rapporte Julie Faure. Un phénomène qui poussera le gouvernement français à promulguer une loi relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux le 6 janvier 1999.

La possession de races de chien non réglementées est-elle pour autant punie par la loi ? "Depuis le 1er janvier 2010, tout détenteur d'un chien de catégorie 1 ou 2 doit posséder un permis de détention", note la comportementaliste. En outre, le propriétaire de l'animal doit être capable de présenter des documents justifiant l'identité de son chien, sa vaccination contre la rage, sa stérilisation et l'attestation d'assurance responsabilité civile. "Le chien doit être tenu en laisse par une personne majeure et muselé sur la voie publique, ainsi que dans les parties communes des immeubles collectifs", termine l'experte. Enfin, la détention non autorisée d'un chien catégorisé est passible de trois mois d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende ainsi que le risque de saisie de l'animal. Selon les experts qui ont examiné Curtis, ce dernier n'aurait pas su identifier les signes qu'il était temps d'arrêter de mordre.

20% du comportement d'un chien est dû à l'hérédité, 80% à l'éducation

D'après les recherches de Bernard Denis, professeur de zootechnie à l'ENVN, 20% du comportement du chien est dû à l'hérédité et 80% à l'éducation. "On en conclut donc que selon la race, les chiens sont plus ou moins aptes à un certain type d'éducation ou de dressage", note Julie Faure. Dans le cas de l'affaire Pilarski, c'est bien l'éducation de l'animal de Christophe Ellul qui ferait de lui un chien plus dangereux d'un autre. "Curtis a été dressé au mordant, pratique très réglementée en France, interdite pour les Pitbulls, mais vraisemblablement pas dans un contexte d'agression qui viserait à mettre à distance un protagoniste", résume la comportementaliste. "Il a par ailleurs participé à un concours de mordant en Belgique organisé par l'ABDA (American Dog Breeders Association), une association belge d'éleveurs de Pitbull, dans lequel il a affiché d'excellents résultats", achève-t-elle.

Curtis ne connaît pas l'inhibition de la morsure sur les humains

Le rapport évoque "un dressage mal conduit avec perte de contrôle du chien", ainsi que le fait que "Curtis, en état d'excitation, peut mordre une personne proche, sans signal d'arrêt, en dehors de tout contexte agressif (...) le chien Curtis est obnubilé par le fait de mordre, quel que soit l'objet, et ne connaît pas l'inhibition de la morsure sur les humains, mêmes familiers".

L'inhibition de morsure est un comportement que les chiens sont supposés avoir adopté aux alentours de leurs cinq premières semaines de vie. "Pour faire simple, il apprend à contrôler l'intensité de sa morsure, et à l'arrêter en fonction de stimuli extérieurs : cri du partenaire mordu, punition par la mère du chien…", indique Julie Faure. "Si Curtis a bel et bien été entraîné uniquement pour mordre dès son plus jeune âge, on peut parler d'insuffisance d'inhibition pouvant être à la base de syndrômes impulsifs", poursuit-elle. À noter que le rapport des deux vétérinaires souligne que ce conditionnement doit être considéré comme un acte de maltraitance animale. Selon différents témoignages, ce ne serait pas la première fois que Curtis n'était pas capable de contrôler ses impulsions.

Curtis pouvait-il s'attaquer à une personne aimée ?

L'incapacité de Curtis à contrôler ses morsures a déjà été prouvée de nombreuses fois par le passé. Dans le précédent épisode, nous évoquions le soir où le Pitbull a saisi la manche du manteau de la sœur de Christophe Ellul. L'animal refusait de lâcher, si bien que la jeune femme a été dans l'obligation de se dévêtir. Un événement qui a eu lieu quelques heures à peine après la mort d'Elisa Pilarski, et qui invalide l'hypothèse selon laquelle Curtis serait incapable de s'en prendre à une personne à laquelle il est attaché. Par ailleurs, le rapport que nous avons consulté indique que le Pitbull a également tenté de mordre son propre maître le 16 novembre 2019.

Quelques jours plus tard, le 21 novembre, Curtis était accompagné par une bénévole de la fourrière de Beauvais (Oise) jusqu'au cabinet d'un vétérinaire de Crèvecœur-le-Grand (Oise). Seulement voilà : le personnel n'avait, à priori, pas été informé des suspicions qui pesaient alors sur le Pitbull, et de l'éventuel danger qu'il représentait. Selon le témoignage du docteur au sein du rapport, présent lors de l'agression, la victime est entrée dans sa salle d'examen accompagnée d'un chien agité. "Très rapidement après l'arrivée dans la salle (moins de 2 minutes) et avant tout examen ou soin, il s'est mis à mordre Mme …", explique le professionnel de la santé animale. Après une brève morsure au bras, Curtis s'est attaqué à sa jambe, sans lâcher la morsure. "Mes nombreux coups de pieds et de chaises n'ont pas suffit à le faire lâcher prise de façon durable, il aura fallu tirer de façon brusque sur la laisse pour le lâcher", poursuit-il. 

Un épisode qui n'a pas eu l'air de perturber l'animal de Christophe Ellul. "Le chien s'est montré apaisé comme après un jeu ou un travail bien accompli (...) j'attire l'attention sur le fait que le chien ne semblait ni agressif ni apeuré, qu'il n'a jamais montré de signes précurseurs de morsures", conclut le docteur. Contacté par Planet, le vétérinaire n'a pas souhaité répondre à nos sollicitations. 

Quid des chiens de vénerie ? Avons-nous la certitude que ces animaux ne sont pas impliqués dans le drame ? Dans son rapport, Alain Mayer exclut toute responsabilité du rallye la Passion dans la mort de la femme enceinte. Mesure des crocs, étude des comportements… Le verdict est sans appel : "Ces éléments indiquent qu'aucun des chiens appartenant à Mr Van Den Berghe n'est susceptible d'avoir laissé des traces de morsure sur le cadavre de Mme Pilarski". Voici ce qu'il se serait passé dès 13 heures le 16 novembre 2019.

Curtis excité par les odeurs et les aboiements des chiens du rallye ?

À la lumière de leurs expertises, les docteurs Mayer et Diaz ont proposé une reconstitution des faits. À 13 heures, la victime aurait quitté son domicile avec le chien de son compagnon, Curtis. Ce dernier était muselé et tenu en laisse. Ensemble, ils seraient montés dans le chemin forestier jusqu'à ce que l'animal s'agite, puis se débatte pour retirer sa muselière. "Au même moment, les chiens du Rallye de la Passion se trouvent au carrefour du conservateur, à quelques centaines de mètres, la chasse à courre se met en place", suppose le rapport. Cris, odeurs, aboiements… L'excitation du Pitbull, ainsi que sa perte totale de contrôle, pourrait être mise en relation avec la présence de la meute et d'un éventuel gibier.

Alors qu'il se blesse au visage, Curtis aurait agi comme il a été éduqué à le faire : il aurait mordu la femme enceinte une première fois. A 13h19, cette dernière aurait appelé Christophe Ellul pour lui dire qu'elle est attaquée en des termes qu'il est le seul à connaître. Le chien, une fois la muselière au sol, se serait de nouveau retourné contre la compagne de son maître. Elle aurait alors tenté d'échapper à l'animal en retournant à son véhicule, moment où elle laisse tomber son téléphone. "Elle descend le chemin d'une vingtaine de mètres avant de bifurquer sur la droite dans un creux qui constitue un raccourci pour atteindre directement les voitures. 26 mètres plus bas, dans la combe, elle tombe à terre", précise la reconstitution. Des traces de sang, de scalp, et de matière cérébrale confirment la violence des morsures et des blessures subies par Elisa Pilarski. La victime meurt à 13h30, heure à laquelle les chiens de vénerie ont quitté le carrefour du conservateur. La version de Christophe Ellul est toute autre...

Des incohérences dans la version des faits de Christophe Ellul

Une heure après le décès de la femme enceinte, Christophe Ellul serait arrivé sur les lieux du drame. Lors de son audition, le compagnon de la victime a affirmé avoir rencontré une meute d'une trentaine de chiens courants. Ces déclarations sont contestées par la maître d'équipage ainsi que les participants de la chasse à courre, "selon lesquels les chiens n'ont à aucun moment suivi ce chemin". 

Le quadragénaire affirme avoir découvert le corps froid de la victime juste après avoir croisé les chiens. Dans leur rapport, Alain Mayer et Christian Diaz mettent en évidence le fait qu'un cadavre froid est "compatible avec un décès remontant à plus d'une heure, et non pas provoqué par la meute quelques instants avant". À noter que Christophe Ellul est le seul à avoir vu les animaux du rallye autour de la dépouille de sa compagne, et que l'absence de traces sur le sol ne coïncide pas avec sa version des faits. 

Pour finir, Curtis était près du corps, "sans traces de morsures mais avec des excoriations sur la face, lésions auto-infligées lors du retrait de la muselière retrouvée au sol et non lors d'un conflit avec d'autres chiens".

En attente de la contre-expertise, l'enquête continue

En dépit de ses accusations envers le rallye de la Passion, Christophe Ellul a été mis en examen pour homicide involontaire par agression d'un chien le 4 mars 2021. Bien qu'il reste présumé innocent en l'attente d'un procès, le quadragénaire est tenu responsable de la mort de sa compagne, Elisa Pilarski. Toutefois, l'avocat du suspect, Maître Novion, a demandé de nouvelles expertises sur la mâchoire de Curtis. 

De leur côté, les chiens de la chasse à courre ne sont pas totalement sortis d'affaire. L'avocat de l'équipage a confirmé à Planet que l'instruction n'étant pas terminée, une nouvelle audition du rallye ne pouvait pas être totalement exclue. "Dès que l'on aura le non-lieu, on fera un certain nombre de plaintes en dénonciation calomnieuse", nous a précisé l'homme de loi. Deux ans après les faits, le voile n'est pas encore complètement levé sur cette tragique journée d'automne 2019.