"Les charognards" : le livre qui dénonce les dérives des Pompes Funèbres

Publié par Matthieu Chauvin
le 21/11/2025
Pompes funèbres
Istock
C'est un livre-enquête qui a fait beaucoup de bruit depuis sa parution en octobre. "Les charognards" dénonce les dérives des pompes funèbres en France, dont celles de deux grands groupes qui se partagent ce que les auteurs appellent "le business de la mort." On tombe parfois de sa chaise en parcourant les 208 pages de cet ouvrage choc. Nous avons pu nous entretenir avec Brianne Huguerre-Cousin, sa co-autrice.

Nous vous avions relayé les abus pratiqués sur les contrats obsèques. Puis le coût parfois très différent de ces dernières en fonction des régions. Tout cela ne pèse pas bien lourd face au livre-enquête écrit par Brianne Huguerre-Cousin et Matthieu Slisse, deux journalistes lillois qui dénoncent les dérives qu'ils ont pu constater chez deux grands groupes français.

 Son titre : "Les Charognards." Son sous-titre : "Pompes funèbres : enquête sur le business de la mort." Paru le 17 octobre dernier aux éditions du Seuil, l'ouvrage a provoqué une déflagration dans le secteur et stupéfié le monde médiatique. Il est le fruit d'investigations qui ont duré 2 ans. Un travail qui a permis de recueillir de nombreux témoignages édifiants, et de découvrir des pratiques parfois honteuses.

Les Charognards

Le "pactole" du "business de la mort"

Dans l'avant-propos, on peut lire : "Le pactole annuel, partagé entre 4 000 entreprises, s'élève aujourd'hui à 3 milliards d'euros. Il est appelé à grossir au fil du vieillissement de la population [...] Cette croissance assurée, une rareté dans le monde économique, suscite l'intérêt - croissant lui aussi - d'entrepreneurs, businessmen et financiers." Mais aussi la définition du mot "charognard" selon Le Robert : des personnes qui "exploite[nt] impitoyablement les malheurs des autres." Nous nous sommes entretenus avec Brianne Huguerre-Cousin, co-autrice de ce livre choc.

 

Planet.fr : Qu'est-ce qui vous a menés (avec Matthieu Slisse) à investiguer sur ce sujet ?

Brianne Huguerre-Cousin : J'avais d'abord été confrontée personnellement au secteur en 2023, en aidant ma mère à organiser les funérailles de ma grand-mère. Ensuite, quelques mois après et par hasard, quand j'étais encore journaliste à temps plein pour Médiacités, nous avons été contactés par deux profs d'histoire-géo qui portent le projet d'une "Sécurité sociale de la mort." C'est d'ailleurs le nom de leur collectif. Nous avons discuté avec eux et avons découvert la face cachée du secteur des pompes funèbres, ce qui a donné une série de quatre enquêtes parues dans notre média.

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Planet.fr : Comment avez-vous identifié les deux groupes que vous mettez principalement en cause, Funecap (Roc Eclerc) et OFG (PFG) parmi tant d'autres ?

Brianne Huguerre-Cousin : Tout simplement car ce sont les deux principaux. Mais pas uniquement : quand on s'intéresse à ce milieu, leur nom revient assez rapidement. D'autant qu'on a vite vu que leurs pratiques étaient globalement similaires. Il y a des pompes funèbres indépendantes et des groupes locaux mais au niveau national les dérives se concentrent sur ces deux acteurs.

Des conseillers funéraires à la fibre très commerciale

Planet.fr : Justement, quelles sont ces dérives, et celles qui vous ont le plus marquée tout au long de votre enquête ?

Brianne Huguerre-Cousin : Assez paradoxalement, celles qui m'ont le plus dérangée ne sont pas les plus graves, comme les maltraitances sur les corps ou les corps échangés. C'est plutôt ce qui se fait "automatiquement."

Planet.fr : C'est-à-dire "automatiquement" ?

Brianne Huguerre-Cousin : Les dérives commencent dès lors que les personnes endeuillées poussent la porte d'une agence de pompes funèbres. Il y a tout ce qui ressort de l'incitation à l'achat, du chantage affectif auprès des familles. J'ai été très choquée par ça. Les familles sont dans une démarche d'achat contraint et ne savent pas comment organiser des obsèques. Nous vivons dans une société où l'on ne pense pas à ça en amont...

Planet.fr : Comment se concrétisent ces pratiques ?

Brianne Huguerre-Cousin : Les familles s'en remettent au conseiller funéraire qu'elles ont en face sans savoir que ces conseillers, que nous considérons aussi comme des victimes du système, ont des objectifs de vente comme n'importe quels commerciaux, qui vendraient des voitures. Par exemple après la parution du livre on nous a fait parvenir des documents de formation (d'OGF) qui expliquent clairement quels contre-arguments il faut utiliser face aux objections des familles. Si des proches choisissent la crémation et optent logiquement pour un cercueil par cher car mécaniquement, il va brûler, le conseiller va jouer sur la corde sensible : "vous êtes sûrs, ce sera la dernière demeure du défunt", "son dernier écrin..." Je trouve ça moralement très questionnable.

Planet.fr : C'est juste un manque d'éthique de la part de ces grands groupes ?

Brianne Huguerre-Cousin : Cela va plus loin. Tout ce système de commercialisation, de marchandisation de la mort va créer un mal être pour les employés et les familles, qui vont se sentir lésées, surtout si les obsèques se sont mal déroulées. Nous évoquons des cas dans le livre. 

Elles se retrouvent à la cérémonie sans cercueil ! 

Planet.fr : Vous pouvez les détailler ?

Brianne Huguerre-Cousin : J'ai passé un après-midi à recueillir le témoignage de deux soeurs qui ont passé 3 heures à pleurer. Leur deuil  ne sera jamais fait car les obsèques ont été ratées, et il n'y a pas de retour en arrière possible. Elles n'ont pas été victimes d'arnaque et avaient de tout façon peu de moyens. Elles sont passées par les Pompes funèbres générales (PFG). C'est un groupe où il y a une telle pression et une telle course à la rentabilité que forcément, le système engendre des erreurs. 

Planet.fr : Telles que ?

Brianne Huguerre-Cousin : La personne en charge de leur dossier avait carrément oublié de commander le cercueil. Quand la famille est arrivée à la cérémonie pour la mise en bière, le personnel du funérarium, paniqué, leur a dit qu'il n'était pas arrivé... Pas de cercueil : pas d'obsèques ! Finalement après avoir eu un autre conseiller de l'agence le cercueil arrive une heure après mais ce n'est pas le bon, il est mal conçu, les deux soeurs soupçonnent qu'il a été choisi au hasard car à la bonne taille. Résultat elles n'ont pas eu le temps de se recueillir devant leur maman. Le convoi au départ ne pouvait partir sans cercueil donc la police n'était pas là pour le sceller ce qui est illégal, puis il est parti avec du retard et la cérémonie a dû se faire à la va-vite...

Planet.fr : Ce sont en fait les pratiques commerciales qui entraînent des incidents, au détriment même des employés, tant tout doit aller vite une fois que tout est signé ?

Brianne Huguerre-Cousin : Ce qu'on dénonce, c'est le système de rentabilité "à mort." Nous sommes dans une société capitaliste et nous ne sommes pas non plus naïfs avec Matthieu, on sait que les entreprises doivent faire du chiffre. Mais il y a rentabilité et rentabilité. Il y a des entreprises de pompes funèbres qui arrivent parfaitement à être éthiques tout en restant des commerces. Là on est vraiment dans un système qui n'est voué qu'à gagner le plus d'argent possible et comme vous l'avez dit, qui entraîne des dérives qui sont parfois dramatiques.

Des asticots sur les corps des défunts

Planet.fr : Vous avez noté des choses très graves ?

Brianne Huguerre-Cousin : Oui notamment des inversions de corps. La dernière en date cet été, avec l'entreprise Funecap, donc Roc Eclerc. Une dame voulait être inhumée et à été crématisée par erreur. Ces erreurs sont aussi facilitées par ces histoires de scellés. Les employés vont les poser eux-mêmes alors que c'est réservé à la police. Du coup l'identité du défunt ne se fait pas ou se fait mal, et ça peut entrainer des cas d'inversions de corps.

Planet.fr : Et qu'entendiez-vous par "maltraitance sur les corps" ?

Brianne Huguerre-Cousin : L'anecdote du livre qui a le plus marqué les esprits est celle sur les asticots. Un défunt devait être isolé à la morgue d'un funérarium dans une cellule négative parce qu'il était en mauvais état, mais cette cellule n'était pas fonctionnelle donc il a été placé avec les autres. Résultat, il les a contaminés. Et au moment de la présentation d'un des défunts à sa famille, la conseillère funéraire s'est rendu compte qu'il avait des asticots sur lui. Elle n'avait pas eu le temps de le nettoyer... 

Planet.fr : Cela a aussi des répercussions sur les employés ? 

Brianne Huguerre-Cousin : Oui. Il y a aussi des problèmes avec les employés, un non-respect des procédures d'hygiène, notamment de la part des porteurs-chauffeurs de Funecap qui sont très peu équipés (et qui ont des conditions de travail très difficiles), alors qu'ils sont en contact avec des fluides corporels, sans réellement savoir si le défunt avait des maladies. On a eu vent de l'histoire de l'un d'entre eux qui devait aller chercher un corps à domicile, celui d'une personne décédée depuis un moment, et il était seul pour le transporter, avec pour seule protection des gants. Or, il y a plein de germes et de microbes sur un corps comme celui-là. C'est une mise en danger du personnel.

Planet.fr : Avez-vous constaté des pratiques qui peuvent relever de l'arnaque ?

Brianne Huguerre-Cousin : Il existe un grand flou entre les prestations obligatoires et celles dites "optionnelles." Par exemple il n'est pas obligatoire que l'intérieur d'un cercueil soit tapissé d'un capiton, qu'il y ait un oreiller, ce genre de choses. On a découvert sur des devis que Funecap mettait systématiquement l'option Serenicare, un outil de suivi administratif à destination des proches du défunt. Dans des mails, on a pu constater que cette option s'ajoutait automatiquement et que les familles devaient ensuite vérifier le devis, sans quoi il était facturé. Il y a aussi les contrats de prévoyance obsèques des banques et assurances. 

Beaucoup d'établissement redirigent d'office vers Funecap, ce qui est illégal. C'est aussi le cas avec OGF. Or ce n'est absolument pas obligatoire. Le choix de l'opérateur funéraire est libre. Mais quand les familles, quand elles sont mises au courant que le défunt avait souscrit à un contrat d'assurance obsèques, ne s'en préoccupent pas et vont aller chez le partenaire. Il y a des cas où les organismes font plus que rediriger, ils favorisent l'entreprise. C'est le cas d'Unéo, la mutuelle des militaires, qui dit carrément sur sont site, en gros, "si vous allez chez notre partenaire Funecap, vous aurez des avantages comme un drapeau tricolore, une mise en relation avec des anciens combattants..." Ils flirtent avec la limite de la loi.

Planet.fr : Comment cela s'est passé pour vous avec Funecap et OGF ?

Brianne Huguerre-Cousin : Quand on a fait les interviews contradictoires, ça ne s'est pas très bien passé avec Funecap. On a passé quatre heures là-bas, ce n'était pas une partie de plaisir, ils étaient assez véhéments. Avec OGF c'était plus apaisé. Mais nous n'avons eu aucun démenti, et pour le moment, nous n'avons pas de nouvelles de leurs avocats, on touche du bois.

"Les Charognards : Pompes funèbres : enquête sur le business de la mort"
Par Brianne Huguerre-Cousin et Matthieu Slisse
Editions du Seuil
208 pages
19 euros/13,99 euros en version numérique
Date de sortie : 17/10/2025

 

 

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