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Depuis longtemps, religieux et politiques ont tenté de légiférer sur le métier. Entre interdit moral, restrictions, et accommodements, petit rappel historique des moyens mis en œuvre pour endiguer la prostitution.

"Le plus vieux métier au monde". C’est par ces mots généralement que la prostitution est qualifiée comme pour signifier que la pratique a toujours existé dans les sociétés humaines. Sans doute cette formule est-elle exagérée, bien que certains animaux comme le chimpanzé s’échangent de la nourriture en faveur de relations sexuelles et que les hommes préhistoriques livraient le produit de leur chasse aux femmes désirés pour obtenir pareilles réjouissances.

Quoi qu’il en soit, la prostitution existait belle est bien dans l’Antiquité comme l’attestent de nombreux écrits et fresques retrouvés. En Mésopotamie tout d’abord et même jusqu’en Inde, la prostitution n’avait pas cette connotation négative de notre époque, elle était même "sacrée", c’est-à-dire con-sacrée à la déesse de la fertilité. On en trouve trace dans les écrits (p. 199) d’Hérodote (Ve siècle avant J-C) : "Les Babyloniens ont une coutume bien honteuse. Il faut que chaque femme du pays, une fois dans sa vie, s'unisse à un homme étranger dans le temple d'Aphrodite (...). Lorsqu'une femme est assise là, elle doit attendre pour retourner chez elle qu'un étranger lui ait jetée de l'argent sur les genoux et se soit uni à elle à l'intérieur du temple (...). Lorsqu'elle s'est unie à l'homme, elle a acquitté son devoir à l'égard de la déesse et peut revenir chez elle." Selon l’historien Jean Bottéro (dans Mésopotamie), les premières prostituées étaient des femmes stériles qui, ne pouvant féconder le foyer, devenait la femme de tous et trouvaient ainsi une place dans la société.

Les civilisations gréco-romaines encadrent le métier

Dans l’Ancien Testament, au moment où le monothéisme commence à s’affirmer, cette pratique perd de son aura. Ainsi peut-on lire dans le Deutéronome (23,17) : "Il n'y aura pas de prostituée sacrée parmi les filles d'Israël, ni de prostitué sacré parmi les fils d'Israël." Plus loin, le Livre des Rois (23,7) raconte comment le roi Josias "démolit les maisons des prostitués sacrés, qui étaient dans le temple de Yahvé". La prostitution n’est alors pas condamnée moralement mais en tant qu’elle représente une infidélité envers le Dieu d’Israël.

Dans les Évangiles, les prostituées sont toujours mal vues, mais Jésus leur accorde le salut : "En vérité je vous le dis, les publicains et les prostituées arrivent avant vous (les pharisiens qui observent scrupuleusement la Loi) au Royaume de Dieu" (Matthieu, 21, 31). Ainsi, de pécheresse, la prostituée peut en se repentant faire partie des élus. La plus célèbre, Marie-Madeleine, n’est-elle pas la première à qui le Christ apparaît ?

Durant l’antiquité grecque, la prostitution était loin d’être clandestine, elle était seulement encadrée. Ainsi, nombreuses étaient les prostituées (et même prostitués) à déambuler dans les ports des principales cités grecques ou à faire "des passes" dans les ancêtres des maisons closes, instaurées par le législateur Solon. Un texte (p. 122) du IVe siècle attribué au pseudo-Démosthène décrit sans ambages les mœurs de l’époque : "Nous avons les courtisanes en vue du plaisir, les concubines pour nous fournir les soins journaliers, les épouses pour qu'elles nous donnent des enfants légitimes et soient les gardiennes fidèles de notre intérieur".

Pendant l’époque romaine, des lois existent pour empêcher les esclaves d’être prostitués par leur maître (proxénétisme), mais celles-ci sont peu efficaces. Il n’est donc pas rare de trouver des femmes du sexe devant leur demeure ou dans la rue en train de racoler le client qui, s’il veut être discret, peut aussi aller dans des maisons closes échanger un jeton contre une faveur sexuelle. D’ailleurs, dès le IIe siècle avant J-C, les personnes "de mauvaise vie" devaient être munies d’une licence d’exercice, ce qui permis par la suite à l’Empereur de taxer la profession pour renflouer les caisses de l’État.

L'Église considère la prostitution comme un mal nécessaire

Pendant le Moyen-Age christianisé, la prostitution est considérée comme naturelle et comme un moindre mal. Ainsi, le théologien Thomas d'Aquin au XIIIe siècle juge qu’elle est nécessaire et que si on la supprimait, le désir incontrôlable des hommes menacerait la société. Seigneurs laïcs et ecclésiastiques organisent et réglementent la profession tout en tirant profit de la manne financière qu’elle représente. Des maisons pour elles sont ouvertes, mais les prostituées restent la lie de la société et sont appelées à se repentir de leur action pour gagner le salut, à l’instar de Marie-Madeleine. C’est ainsi que le pieux Saint Louis tente, en vain, par une ordonnance de 1254 d’interdire la prostitution au XIIIe siècle. Mais à partir de la Renaissance, et plus particulièrement de la Réforme, la prohibition deviendra la norme poussant les prostituées à plus de clandestinité. Deux phénomènes peuvent expliquer cet état de fait : la syphilis qui fait des ravages à la fin du XVe siècle et le retour à un rigorisme religieux par le protestantisme.

L’époque moderne commence, et le jeune Charles IX fait de la prostitution une activité illicite, avant que Louis XIV, de plus en plus dévot, n’ordonne l’emprisonnement pur et simple des femmes coupables d’exercer le métier. Les sanctions sont parfois barbares : certaines pouvaient avoir le nez et les oreilles coupées ! À sa mort, le Régent Philippe d’Orléans et Louis XV se montreront plus libertins, préférant encadrer les bordels que réprimer les actes. Mais Louis XVI revient aux méthodes répressives en interdisant le racolage : celles qui sont prises sont envoyées soit à l’hôpital soit en prison.

D'une politique réglementariste à abolitionniste

À partir de la Révolution, l’époque contemporaine affiche une tolérance à l’égard de la prostitution, qui est de plus en plus encadrée : visites médicales, inscriptions à la préfecture. Le racolage étant interdit, les "filles de joie" sont confinées dans des maisons closes. Une situation qui durera jusqu’à la sortie de la guerre, en 1946, et la fameuse loi "Marthe Richard". Cette loi revient sur le régime de tolérance mis en place depuis le Consulat en 1804, en fermant les maisons closes. En creux, est reproché au milieu de la prostitution de s’être compromis avec l’occupant nazi et le vainqueur américain. D’une politique réglementariste et sanitaire, la France passe à une politique abolitionniste. Une ordonnance de 1958 fait ainsi passer le racolage du statut de délit à celui de contravention, plus facile à réprimer pour la police.

Dans les années 2000, la prohibition s’intensifie avec la "loi Sarkozy" qui crée un nouveau délit : le racolage passif. Les prostituées sont alors de plus en plus nombreuses à proposer leurs services sur internet ou clandestinement dans les rues. En 2013, un nouveau palier est franchi dans la répression avec l’adoption par l’Assemblée nationale d’une proposition de loi visant à pénaliser le client d’une prostituée. Une première dans l’histoire de la répression de la prostitution. Cette semaine, le Sénat a cependant supprimé l’article relatif à la pénalisation des clients dans l’exposé de la loi tout en rétablissant le délit de racolage. Mais la ministre en charge des Droits des Femmes a dit vouloir "clairement" réintroduire la pénalisation des clients de prostituée.

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