INTERVIEW "Accompagner dans la mort sereinement", comment travaillent les doulas de fin de vie

Publié par Clémence Apetogbor
le 03/07/2025
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Le mot "doula" évoque souvent l’accompagnement à la naissance. Pourtant, une nouvelle génération de doulas se consacre à un autre moment-clé de l’existence : la fin de vie.

La crise sanitaire a remis en lumière et de manière brutale le tabou que représente la mort, d'autant plus difficile quand elle est vécue sans présence. Cet accompagnement auprès des mourants, autrefois réalisé par la sphère familiale, n'est aujourd'hui pas toujours possible, pour diverses raisons : fracture familiale, éloignement géographique... 

Depuis la crise du Covid-19, se développe en France, après avoir émergé en Suisse et aux Etats-Unis, un "métier" nouveau, celui de thanadoula (de Thanatos, le dieu grec de la mort, et "doula", qui signifie servante) ou doula de fin de vie. Elles ne sont qu'une centaine à exercer mais les établissements de formations ne désemplissent pas. 

Avec la loi sur la fin de vie attendue sous ce quinquennat, les métiers d’accompagnement (doula, thanadoula, etc.) pourraient enfin être légitimés. Quelques acteurs, comme le think tank Terra Nova, propose notamment de "reconnaître les métiers émergents de l’accompagnement qui participent à la réhumanisation de la fin de vie".

Rencontre avec Marie-Christine Laville, qui a lancé la première formation de doula de fin de vie en France. 

Qu’est ce qu’une doula de fin de vie ?

La doula est une facilitante. Son travail est d’accompagner dans la mort sereinement et assister le mourant dans son cheminement tout en étant auprès de la famille, souvent seule dans ces moments complexes. C'est enfin de compte faire preuve d'humanité. La doula aide la personne à planifier ses dernières volontés ainsi que l’environnement dans lequel elle partira. Elle peut intervenir bien avant le pronostic vital engagé et être présente au long cours sur plusieurs jours, plusieurs semaines.

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Elle est garante du bien-être physique, émotionnel et spirituel quelles que soient les croyances du mourant et sans se substituer aux soignants ou à la famille, quand cette dernière est présente. On recueille souvent les volontés du mourant mais aussi ses confidences, pour qu'il parte plus léger de l'autre côté. 

C’est un métier rémunéré et un accompagnement qui a un coût. 

Comment en êtes-vous arrivé à exercer cette activité ? 

J'ai souvent croisé la mort. Je la perçois comme comme un accouchement, comme un passage d’un monde à l’autre. Il y a la même fragilité au moment de la venue au monde et du départ de celui-ci. Je n'ai que 17 ans à la mort de sa mère, emportée rapidement par la maladie. A ce moment-là, j'ai réalisé combien il est difficile de parler avec ceux que l’on aime de la mort et du départ de cette vie. J'ai vu mon père au-dessous de tout. J'ai aussi perdu mon père, mon mari et une fille (Marie-Christine Laville a trois enfants, NDLR). 

Au décès de ma fille, je n’ai pas été en mesure de l’accompagner. J’ai sombré à ce moment-là et j’ai demandé de l’aide à Rosette Poletti (infirmière en soins généraux et en psychiatrie, figure emblématique de l’accompagnement des malades et de l’approche de la mort, NDLR) que j’avais connu en Suisse. C’est elle qui m’a suggéré d’enseigner l’accompagnement de fin de vie en France. 

Avant ça, j’ai d’abord travaillé comme éducatrice après d’adultes handicapés, puis dans le développement personnel. Je me suis également formée à l’art-thérapie. 

Comment se passe l'accompagnement ? 

Je suis contactée par la personne mourante ou par sa famille. Elle m'expose ses besoins, qu'ils soient spirituels, administratifs. Si je suis en mesure d'y répondre, alors débute l'accompagnement. Je suis là pour donner du temps, apporter une écoute aussi. Ce n'est pas toujours facile de tout dire à ses proches. La doula est là pour recueillir les préoccupations, les questions, les envies de la personne qui va partir. Pour elle aussi, il s'agit de faire le deuil. Parler de la mort, ça ne fait pas mourir. Cela aide même à mieux s'y préparer.

Dans le cadre de l’accompagnement, nous pouvons faire un massage par exemple. Quand on vieillit, qui plus est quand on est malade, le corps se dégrade, on devient pas beau, on a mal partout. Les proches ne sont plus habitués à ce contact là et n'osent pas toujours toucher le malade. La doula fin de vie va pouvoir le faire. C'est important de dire aux gens qu'ils sont beaux, de les toucher, parce qu'ils sont encore là. 

On peut aussi prendre le relai de la famille, notamment la nuit, que j'appelle nuit de répit, que la personne mourante soit chez elle ou a l'hôpital. On vient soulager les proches pour qu'ils soufflent. Le dernier souffle d'un mourant demande à ses proches de reprendre le leur. 

La doula est autant là pour le mourant que pour les personnes endeuillées, parfois même plus pour elles. 

Et qui vous accompagne, vous ?

J’ai un thérapeute pour moi et un pour mon job. On accompagne la vie et la mort et certaines situations peuvent être lourdes. On travaille avec notre présence et notre émotionnel. Ce n’est pas un soin technique que l’on prodigue. C’est donc nécessaire de déposer cet émotionnel à un endroit.  

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