Macron durcit le ton sur l'Algérie : quels effets sur les relations entre nos deux pays ?
Les relations diplomatiques entre la France et l'Algérie n'ont jamais été au beau fixe. Mais une "bonne entente" régnait ces dernières années, jusqu'à ce qu'Emmanuel Macron décide d'un rapprochement avec le Maroc fin 2024, en affirmant officiellement que le Sahara Occidental faisait partie intégrante du royaume de Mohamed VI. La souveraineté sur ce vaste territoire est revendiquée depuis 1973 par le fameux Front Polisario (le Sahara Occidental était encore sous occupation espagnole), une organisation militaire indépendantiste soutenue par Alger. La position française fut vécue comme un véritable camouflet par le Président Tebboune, membre du FLN, et ses généraux. Depuis, c'est l'escalade.
L'arrestation de Boualem Sansal : la provocation de trop
Un mois après ce camouflet environ, le 16 novembre 2024, l'Algérie, déjà dans le viseur du ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, qu'elle qualifie d'homme d'extrême droite, contre-attaque : l'écrivain algérien récemment naturalisé français Boualem Sansal, est arrêté en se rendant dans son pays natal puis incarcéré.
Cet ancien haut fonctionnaire francophile très critique envers le régime avait remis en cause les frontières entre l'Algérie et le Maroc. Cette arrestation suscita un tollé dans les milieux politiques (sauf à l'extrême gauche, écologistes compris), médiatiques, intellectuels et culturels dans l'Hexagone. Sa libération immédiate est exigée, puisqu'il est Français, souffre d'un cancer et est âgé de 75 ans. Mais rien n'y fait, même la visite optimiste à Alger du ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot, qui ressemblera à une humiliation...
Une condamnation moins sévère que prévu mais pas de grâce
Alors que la France hausse le ton via Bruno Retailleau, toujours, qui évoque des mesures "graduées" en réponse aux provocations du régime du Président Tebboune, celui-ci n'en a cure (l'Algérie souhaitant en réalité que le ministre de l'Intérieur soit démis de ses fonctions).
Boualem Sansal est condamné à 5 ans de prison ferme le 27 mars 2025, alors qu'il risquait la prison à vie : ce pour avoir "nui à l’unité nationale, à l’économie nationale, à la sécurité et la stabilité du pays." Une grâce présidentielle est espérée par la France, comme c'est une de coutume lors de la fête nationale algérienne chaque 5 juillet, mais l'écrivain reste derrière les barreaux : nouvelle humiliation pour l'Elysée.
Une première arrestation dissimulée à l'opinion
Avant cela, on apprenait qu'un autre Français, le journaliste sportif indépendant Christophe Gleizes, 36 ans, collaborateur du magazine So Foot, avait aussi été arrêté, mais avant Boualem Sansal, le 28 mai 2024. Notre gouvernement avait préféré cacher ce fait pendant 1 an, sans doute dans l'espoir d'un dénouement heureux.
Le journaliste, qui a simplement interrogé un entraîneur de foot kabyle "indépendantiste" à Tizi-Ouzou, alors qu'il réalisait une reportage sur le club de foot mythique local, la JS Kabylie, a écopé de 7 ans de prison ferme le 29 juin 2025 après avoir passé 13 mois sous contrôle judiciaire. Les motifs : "apologie du terrorisme" et "possession de publications dans un but de propagande nuisant à l’intérêt national." La presse française est indignée et réclame sa libération, comme les autorités.
Le refus des OQTF : la goutte qui fait déborder le vase
Depuis, la France reste la cible favorite de la propagande d'Etat algérienne via la presse écrite et la télévision, aux ordres. Les attaques sont incessantes. Le pays est aussi accusé d'ingérence sur notre sol, en ayant envoyé des hommes intimider un influenceur algérien anti-régime, et en utilisant des influenceurs algériens ou binationaux pour diffuser des messages anti-français.
Plusieurs ont été arrêtés et l'un a même été expulsé à Alger, qui l'a renvoyé à Paris dans l'avion qui suivait... De plus, il refuse systématiquement d'accueillir ses ressortissants sous OQTF (obligation de quitter le territoire français) alors qu'il doit légalement les accepter, selon les accords passés entre nos deux nations (ce que font le Maroc ou la Tunisie). La colère monte chez les Français et la cote de Bruno Retailleau explose. Emmanuel Macron a fini par réagir.
Ce qu'a écrit Emmanuel Macron dans son courrier
Dans sa lettre à François Bayrou, il écrit entre autres que son gouvernement allait devoir "prendre des décisions supplémentaires" pour "agir avec plus de fermeté et de détermination" envers Alger. Au quotidien qui a eu vent de la correspondance, il déclarait jeudi matin : "Les autorités algériennes ont fait le choix délibéré de ne pas répondre à nos appels répétés au cours des derniers mois à travailler ensemble dans l’intérêt de nos deux nations. Il aurait pu en être autrement. Désormais, nous n’avons pas d’autre choix que d’adopter une approche de plus grande fermeté." Qui ne s'appliquerait pour le moment qu'aux visas diplomatiques...
Nous avons demandé son analyse au politologue et éditorialiste Christophe Boutin sur ce changement de position tardif.
Planet.fr : D'après-vous, ce durcissement de ton va-t-il avoir un effet sur les relations franco-algériennes ?
Christophe Boutin : Les rapports sont très conflictuels et le pouvoir algérien n'hésite pas à aller jusqu'au bout du conflit. La demande d'Emmanuel Macron vise essentiellement un accord (de 2013, sur les exemptions de visas, ndlr) qui est destiné à l'élite, pour ne pas dire de l'oligarchie algérienne. Je ne pense pas que cela va suffire à bouleverser cette classe politique, qui s'est enfermée dans un discours à destination de son peuple qu'elle ne peut pas transformer du jour au lendemain.
Planet.fr : L'Algérie va rester sourde à cette "menace" ?
Christophe Boutin : Après tout ce qu'elle a dit et fait ces derniers temps, même si ce sont les hommes du régime qui sont directement visés, elle ne peut pas donner l'air de céder devant son peuple juste pour ce problème de visas.
Macron veut-il se refaire une santé en suivant Bruno Retailleau ?
Planet.fr : Ce durcissement du Président a-t-il une arrière-pensée politique, celle de se mettre à la hauteur de Bruno Retailleau, dont les prises de position fermes font monter la cote ?
Christophe Boutin : Par rapport à Bruno Retailleau oui, mais aussi par rapport à l'opinion publique. Ces derniers temps les sondages étaient très clairs sur le sujet : les Français voulaient un durcissement de notre position vis-à-vis de l'Algérie. Dans ce sens, Emmanuel Macron s'attaque à l'un des accords, qui est celui qui a le moins d'impact puisqu'encore une fois, il ne vie que l'oligarchie au pouvoir.
Planet.fr : Cela a d'autant moins d'impact, sachant que le pays est en réalité dirigé par l'armée et que ça n'affecterait que les oligarques et politiques algériens ?
Christophe Boutin : Les passeports diplomatiques, qui pouvaient être généreusement distribués, l'étaient aussi aux forces militaires qui souhaitaient venir en France. Ils ne concernent pas que les diplomates mais toutes les personnes qui en font la demande. Et à qui ont veut bien les attribuer.
La "réponse graduée", enfin ?
Planet.fr : Du coup, ce durcissement n'est-il qu'un simple coup d'épée dans l'eau ?
Christophe Boutin : La caution est donnée par le président de la République lui-même. Mais elle a été proposée, lancée, par le ministère de l'Intérieur. Les tiraillements, les divergences qui pouvaient exister avec l'Elysée sont terminés.
Même avec le Quai d'Orsay, alors que Jean-Noël Barrot restait sur une position beaucoup moins ferme ces derniers temps et émettait des réserves sur ce type de sanction. On va avoir une cohérence gouvernementale qui va permettre d'agir et qui donne les coudées franches à Bruno Retailleau au ministère de l'Intérieur.
Planet.fr : Est-ce là un point de départ pour la fameuse "réponse graduée" évoquée depuis un moment déjà mais jamais appliquée ?
Christophe Boutin : Le Président s'est exprimé, le ministre de l'Intérieur s'est exprimé, il y a encore un fois un très fort soutien de l'opinion. La position de la France est désormais actée, et claire.
Planet.fr : Le régime algérien finira-t-il finalement par céder ?
Christophe Boutin : Je crains que non. Le régime tient un discours qui légitime son gouvernement aux yeux du peuple. Il se sert aussi de ce discours anti-France pour légitimer ses échecs qui sont nombreux dans tous les domaines. S'il cédait, il risquerait un nouveau soulèvement comme le Hirak (en 2019, ndlr).