Louer des places de prison à l’étranger "si besoin", une mesure viable ?

Publié par Matthieu Chauvin
le 15/05/2025
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5 minutes
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Comme le font d'autres pays, Emmanuel Macron a évoqué, suite à une question de Robert Ménard, la possibilité de louer des places de prison à l'étranger face à la surpopulation des nôtres. Une option inenvisageable selon Damien Tripenne, responsable de la CGT pénitentiaire.

Lors de l'interminable émission (environ 3h10 quand elle devait durer 2 heures) "Les défis de la France" démarrée à 20h et des poussières sur TF1 mardi 13 mai, Emmanuel Macron a beaucoup déçu, sur beaucoup de sujets, auxquels il n'a apporté aucune solution. Il a même été plusieurs fois poussé dans ses retranchements. Notamment par Robert Ménard, le maire de Béziers, sur les questions de l'immigration, de l'insécurité et des prisons. Face à leur taux d'occupation record dans notre pays ("82 921 détenus pour 62 358 places, soit une densité carcérale globale de 133 %" au 1er avril 2025 rapporte Cnews), ce dernier a questionné le Président sur la possibilité d'en louer des places à l'étranger comme le font d'autres pays européens (le Danemark louerait 300 places de prison au Kosovo pendant dix ans pour un montant de 210 millions d'euros).

Un proche voisin a déjà abandonné cette méthode

La Belgique a procédé ainsi un temps en envoyant des prisonniers aux Pays-bas, apprenait-on hier sur France 2, mais cela n'a pas duré, car ce fut un gouffre financier. Une spécialiste du plat pays expliquait au JT de 20 heures du service public que rien que la prise en charge du coût des nombreux transferts de détenus d'un pays à l'autre, à la charge des contribuables belges, était prohibitive...

Une mesure impossible selon ce surveillant 

Le chef de L'Etat n'a pas écarté cette hypothèse, bien qu'un de ses proches aurait ensuite confié à nos confrères qu'il avait répondu "sans réfléchir."  Nous avons demandé l'opinion de Damien Tripenne, responsable de la CGT pénitentiaire, sur ce sujet : 

Planet.fr : Que pensez vous après l'évocation de cette mesure ?

Damien Tripenne : C'est une réponse irréfléchie. Honnêtement, c'est juste improbable sachant que la plupart des personnes détenues dans nos prisons ne sont pas solvables et sont considérées comme indigentes. C'est même l'Etat qui leur donne un pécule pour pouvoir survivre.

Planet.fr : Cette délocalisation n'est pas possible, il faut des places en plus en France ?

Damien Tripenne : Pour pallier les problèmes de surpopulation, il ne suffit pas de construire des prisons, comme celles "en kit" (Emmanuel Macron a parlé d'un projet de 5 000 nouvelles places, dans "des structures plus légères et beaucoup plus rapides à construire", ndlr) avec des préfabriqués... C'est de la communication. Il faut déjà des terrains, que les communes acceptent d'accueillir des prisons...

Planet.fr : Quelle est alors la solution ?

Damien Tripenne : En tout cas ce n'est d'envoyer nos prisonniers à l'étranger. Il faut une réforme totale de la politique pénale en France.

Planet.fr : Et si la mesure aboutissait vous seriez sans doute pénalisés : gel des embauches de surveillants et des salaires puisque ces prisonniers ne seraient plus pris en charge par la pénitentiaire française ?

Les places libres seront vite remplies

Damien Tripenne : Déjà, quoi qu'il arrive, on sera toujours en situation de surpopulation carcérale. Il faut savoir qu'il y a énormément de peines de prison qui sont statuées et prononcées mais qui ne sont pas appliquées faute de place. Si on envoyait des détenus à l'étranger, ces places seraient immédiatement prises. Plusieurs années après le COVID, alors que la garde des Sceaux d'alors Nicole Belloubet avait fait libérer plusieurs milliers de prisonniers (pour raisons sanitaires, environ 6 600, des fins de peine et libérations anticipées, ndlr), on continue pourtant de battre des records. Ca n'arrête jamais. On ne pourra jamais libérer de places de prison.

Planet.fr : Faute d'investissements que l'on ne peut pas faire vu le manque de budget ?

Damien Tripenne : Il faut surtout penser à des peines alternatives. La "dernière mode" est de dire qu'un gamin, même condamné à seulement 15 jours de prison, doit les passer derrière les barreaux. C'est à l'heure actuelle inenvisageable. C'est un effet d'annonce. C'est impossible vu l'état d'engorgement auquel nous faisons face.

Planet.fr : Qu'est-ce qui explique que d'autres pays soient prêts à louer leurs places de prison ?

Damien Tripenne : Eux n'ont pas ces problèmes de surpopulation parce que leurs politiques alternatives à l'incarcération sont plus compétentes.

Planet.fr : La Belgique a décidé d'arrêter d'envoyer ses prisonniers à l'étranger à cause du coût. Le problème serait le même chez nous ?

Damien Tripenne : Imaginez la location d'une cellule, plus les transferts, plus le coût de la vie au quotidien de la personne incarcérée (nourriture, hygiène, correspondance)... Et il y a aussi l'éloignement familial, les droits humains qui peuvent être différents.

Planet.fr : Cette idée vient de la droite, qui est pourtant critique sur les dépenses publiques. Gérald Darmanin avait d'ailleurs déjà proposé une telle mesure mais concernant nos détenus de nationalité étrangère...

Damien Tripenne : La droite est en mode "sécurité" pour pouvoir exister. Si les bonnes mesures ne sont pas prises, c'est parce qu'il n'y a pas de volonté. Moi je trouve indadmissible qu'un pays puisse envoyer ses détenus à l'étranger parce qu'il n'est pas capable de les assumer. Nous avons la plus grande prison d'Europe qui est Fleury-Mérogis, plus d'autres très grosses structures, et même les personnels des services d'insertion et de probation chargés de surveiller les peines alternatives (bracelets électroniques, suivis judiciaires, travaux d'intérêts général...) manquent de moyens.

Planet.fr : Et pourtant, à droite encore (c'est un constat et non une opinion, ndlr), on estime que les juges sont trop laxistes, les peines pas assez sévères.

Damien Tripenne : Mais c'est complètement faux. La preuve est le taux d'occupation de nos prisons (la France est régulièrement interpellée par l'Union européenne à ce sujet et a déjà été condamnée, ndlr). Encore une fois les peines prononcées ne peuvent être appliquées puisqu'il n'y a pas de place. Et en louer à l'étranger ne résoudra rien. 

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