Interview. Les cartes météo exagèrent-elles la hausse des températures ?

Publié par Matthieu Chauvin
le 10/07/2025
Carte météo Canicule
Istock
© TF1
Depuis le début des épisodes de canicule survenus en France depuis juin 2025, un phénomène explose sur les réseaux sociaux. Complotistes et climatosceptiques s'échinent à démontrer que les cartes proposées par les médias aux téléspectateurs, avec la complicité des différents organismes météo, sont colorées de manière à effrayer la population. Patrick Marlière, référence incontournable en matière de climat et fondateur de Médias-weather, nous explique pourquoi cela relève du délire.

Le phénomène ne serait pas nouveau, d'après TF1, qui a réalisé une démonstration remarquable dans son journal de 20 heures du 5 juillet. Désormais, chaque année, à chaque épisode de canicule, des Internautes climatosceptiques, et dans leur sillon des complotistes, accusent les médias d'accentuer les couleurs des cartes météo en les fonçant le plus possible (en rouge et noir comme, le chantait Jeanne Mas...). Le but serait de volontairement "dramatiser" la situation. Sous-entendu : faire peur, et avaler coûte que coûte à ceux qui ne veulent pas l'entendre, qu'il y a bien un réchauffement climatique et qu'il touche aussi notre pays. Sur le plateau d'Anne-Claire Coudray, le journaliste Alexandre Capron, chargé de démonter cette théorie du complot, révèle que cela devient une lubie pour certains : plus de 6 000 messages* ont été échangés à ce propos sur le réseau social X (ex-Twitter) rien que la semaine dernière ! 

Aucun changement de couleur en 25 ans ! 

Ce sont les moyennes de saison qui dictent les couleurs et dégradés de couleurs. Bien entendu, elles augmentent constamment ou presque depuis 25 ans. Mais les couleurs elles, n'ont pas changé de ton sur les cartes météo de la chaîne "depuis le début des années 2000" affirme Alexandre Capron, exemples à l'appui. Et fort logiquement, avec l'évolution des moyennes de saison constatées "plus les températures sont au-dessus [...] plus les couleurs chaudes seront donc marquées." CQFD. 

Des comparaisons malhonnêtes ?

Mais ça n'empêche pas les climatosceptiques d'avancer leurs théories fumeuses (les températures seraient les mêmes d'une année sur l'autre mais les couleurs chaque fois plus foncées sur les infographies), et parfois d'être carrément malhonnêtes, en comparant côte à côte des cartes de chaînes de télévision différentes. Sauf que chacune a son propre code couleur. Comparaison n'est pas raison ! Déjà en 2022, François Asselineau, président du parti UPR (Union populaire républicaine), petit candidat régulier à l'élection présidentielle et star du mouvement climatosceptique, utilisait cette méthode.

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La mise au point de Patrick Marlière

Patrick Marlière, fondateur du site Médias-weather, météorologue de référence avec qui nous échangeons régulièrement, et dont la parole porte sur les plateaux de télévision où on lui demande très souvent son avis (il a réussi à convaincre Pascal Praud sur Cnews d'un réchauffement accéléré en France ces dernières années, c'est dire !), nous a accordé un entretien. Histoire de mettre les choses au clair.

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Planet.fr : Que vous inspire cette théorie des "couleurs" de la part des climatosceptiques ?

Patrick Marlière : Cela fait 50 ans que je fais de la météo. J'ai vécu la canicule de l'été 76, j'étais à l'école, et tous les autres épisodes depuis. Si j'avais annoncé dans mes premières prévisions tous les phénomènes qui se passent, pas seulement en France mais sur toute la planète, on m'aurait traité de fou. Pourtant, nous sommes souvent au-dessous de la réalité, par exemple pour les précipitations, orages ou même quand il s'agit de prédire la taille des grêlons. Cette idée de manipulation des couleurs est un pur fantasme.

Planet.fr : Comment les définissez-vous chez Medias-weather ?

Patrick Marlière : Cela fait trois fois en 10 ans que l'on modifie toutes les couleurs de nos systèmes d'infographies. Tout simplement parce qu'autrefois sur nos cartes, quand on dépassait 40 °C c'était exceptionnel. Les dégradés de couleurs allaient de 35 à 40 °C. Aujourd'hui on est obligé de monter les curseurs jusqu'à 50 °C, si besoin. On a déjà eu 46,5 °C dans le sud, ou 41 °C dans le nord en 2019. Le nouvel étalonnage de couleurs va du bleu pour le frais au rouge ou violet pour les phénomènes extrêmes. C'est important d'interpeller les gens sur des couleurs, pour un phénomène qui les met en danger, ainsi que leur santé, et celle de leurs proches. 

Planet.fr : L'adaptation des couleurs aux nouveaux phénomènes est donc indispensable ?

Patrick Marlière : Oui, il ne faut pas se laisser prendre par cette escroquerie qui dit "ben oui il va faire chaud." C'est le discours que tiennent ces gens. Or le phénomène est multiplié par deux ces dernières années. Mais j'arrive à convaincre de cette réalité grâce à mon vécu et mon expérience (en référence à notre collègue Pascal Praud, ndlr)

Planet.fr : Les médias ont-ils une part de responsabilité dans ce complotisme ?

Patrick Marlière : Non, le but, quand j'interviens auprès de journalistes quels qu'ils soient, c'est de trouver ensemble l'axe qui nous paraît le plus cohérent afin d'échanger en bonne intelligence. Par exemple à Paris la moyenne au-dessus de 30 °C est de 14 jours par an. En juin, on était déjà à 12 jours et l'été vient de commencer. Donc les journalistes tiennent forcément compte des évolutions que nous constatons. On va se retrouver en septembre avec un bilan de jours à plus de 30 et 35 °C à Paris qui va être exceptionnel. C'est un constat. Il n'existe aucun météorologue qui va prendre plaisir à alerter les gens pour leur faire peur, jamais ! J'ai travaillé 30 ans chez Météo-France, personne ne s'amusait à ça. En 2003, il y a eu 15 à 20 000 morts. Nous n'étions pas prêts. Après cet évènement, on a lancé les cartes de vigilance canicule et d'autres dispositifs. Cela évite des milliers de victimes à chaque épisode. 

*Source : Visibrain

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