Désastre écologique et sanitaire : ce qu'il faut savoir sur la loi Duplomb, fraîchement votée
Ce 8 juillet 2025, l’Assemblée nationale a définitivement adopté une proposition de loi qui fait grincer bien des dents dans les rangs écologistes et syndicaux. Avec 316 députés favorables, 223 opposés et 25 abstentions, le texte porté par les sénateurs Laurent Duplomb (LR) et Franck Menonville (UC) entend "simplifier" le quotidien des agriculteurs. Ses détracteurs (les écologistes et syndicats paysans, notamment) y voient surtout un recul inquiétant en matière de normes environnementales et de protection du vivant. Une réforme qui, malgré ses zones d’ombre, a filé à toute vitesse dans l’hémicycle.
La loi Duplomb, une "bombe sanitaire"
Si le projet de loi promet de lever les contraintes liées au métier d'agriculteur, pour beaucoup, il s'agit d'une véritable bombe sanitaire. Ce texte "risque de fabriquer des cancers et des maladies chroniques à échelle industrielle", présage Camille Etienne, militante écologiste française. "Cette loi est plus qu’écocidaire, elle instaure des mesures qui bousillent l’environnement, notre santé et notre outil de travail", abondait Thomas Gibert, porte-parole de la Confédération Paysanne, en amont de la Commission mixte paritaire, qui s'est tenue le 30 juin dernier. De son côté, l’ONG Greenpeace a dénoncé un "texte toxique", "un retour en arrière brutal", et estime que "l’environnement, la santé publique et les paysans ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel des intérêts de l’agro-industrie".
Un texte soutenu par la droite et le centre
D'un autre côté, le soutien politique à la loi Duplomb est massif parmi les parlementaires de droite et du centre. "Cette loi ne constitue pas un recul environnemental. Sur les huit articles du texte final, sept ont été travaillés avec les parlementaires et avec le ministère chargé de la Transition écologique pour trouver une position équilibrée. C’est la preuve que ce texte est raisonnable", a ainsi défendu la ministre LR de l’Agriculture, Annie Genevard. Arnaud Rousseau, président de la puissante FNSEA, a salué la loi comme un outil indispensable, le désignant comme "le moteur législatif qu'il nous fallait".
Vous avez vu passer toutes les informations à ce propos et souhaitez comprendre les enjeux écologiques et sanitaires de la loi Duplomb ? Voici quelques points à connaître.
Qui est Laurent Duplomb ?
Agriculteur de terrain, né en octobre 1971, Laurent Duplomb se transforme en puissant lobbyiste de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles) avant de conquérir la Haute‑Loire : président de la chambre d’agriculture et du groupe laitier régional Sodiaal/Candia, puis maire (2010‑2017) de Saint‑Paulien, il s’impose comme une figure de la droite agricole. Élu sénateur Les Républicains en 2017 (réélu en 2023), il devient secrétaire de la commission des affaires économiques et président du groupe d’étude "agriculture" au Sénat.
Très proche de Laurent Wauquiez, qu’il soutient activement aux Congrès LR, Duplomb incarne sans détour la ligne productiviste : l’un de ses amendements visait à dissoudre l’Agence bio, un autre propose le retour des néonicotinoïdes : initiative que ses détracteurs qualifient de "recul environnemental". C’est dans ce registre qu’il porte désormais sa loi éponyme, qui vise à lever les contraintes réglementaires pour les agriculteurs.
Retour dérogatoire de l’acétamipride : un désastre sanitaire et écolo
Sous couvert de "lever les contraintes" pesant sur les agriculteurs, la loi Duplomb rouvre en grand la porte aux pesticides, en particulier à un vieux serpent venimeux : l’acétamipride. Cet insecticide de la famille des néonicotinoïdes (banni en France depuis 2020 pour ses ravages sur la biodiversité) fait son grand retour grâce à un flou législatif organisé. Résultat : 500 000 hectares, soit 1,35 % des terres cultivées, pourraient être arrosés de ce poison aux effets bien documentés. L’utilisation de l’insecticide sera envisageable en l’absence d’alternatives suffisantes, avec une clause de réévaluation prévue dans trois ans. Les producteurs de noisettes, de betteraves et de kiwis pourraient notamment se positionner pour en bénéficier.
L’acétamipride, contrairement à ses cousins (imidaclopride, thiaméthoxame...), est toujours autorisé en Europe, mais cela n’en fait pas un ange. Il est toxique pour les abeilles, perturbateur endocrinien suspecté et neurotoxique probable. Présent dans les sols, l’air, les fruits, il persiste et contamine l’environnement et la chaîne alimentaire. L’EFSA (autorité européenne) a déjà émis de graves réserves sur ses résidus dans l’alimentation.
Pire : au lieu de renforcer les alternatives ou le conseil agronomique, l’article 1 de la loi Duplomb supprime la séparation du conseil et de la vente de pesticides, mesure pourtant essentielle pour éviter les conflits d’intérêts. À la place ? Une formation de quatre heures tous les cinq ans pour les agriculteurs.
Dans les colonnes de Reporterre, Fleur Breteau, victime des pesticides et fondatrice du collectif Cancer Colère, s'insurge : "Voter cette loi, c’est voter pour le cancer". En brandissant la menace de la concurrence étrangère, les partisans du texte enterrent des années de lutte sanitaire et écologique. Le poison revient, cette fois avec la bénédiction du législateur.
Le retour des mégabassines
Vous souvenez vous du scandale des mégabassines ? Revoilà ces (grands) bassins sur le devant de la scène. Il s'agit de vastes réservoirs artificiels, plastifiés et imperméables, conçus pour stocker l’eau en hiver afin d’irriguer l’été. Loin d’être une réponse durable au changement climatique, elles profitent à une infime minorité d’agriculteurs industriels, souvent tournés vers l’export. La loi Duplomb facilite leur prolifération en les classant comme "raisons impératives d’intérêt public majeur" (RIIPM). Ce statut leur permet d’être construites même en zones protégées, au mépris des espèces menacées et de l’équilibre écologique. C’est un véritable passe-droit législatif pour une agriculture à haut débit, qui assèche les nappes, fracture les territoires et tourne le dos à une gestion juste et collective de l’eau. "Les mégabassines contribuent à une fuite (sans mauvais jeu de mot) en avant pour maintenir coûte que coûte un modèle agro-industriel dévastateur. Ce modèle est non seulement inadapté face au changement climatique mais il en est aussi en partie responsable", rappelle l'ONG Greenpeace.
L'élevage industriel vitesse grand V
La loi Duplomb facilite clairement l’essor de l’élevage industriel, au détriment des élevages plus modestes, en relevant les seuils à partir desquels une exploitation doit faire l’objet d’une évaluation environnementale stricte. Concrètement, un poulailler ne sera plus soumis à autorisation ICPE qu’à partir de 85 000 volailles (au lieu de 40 000), une porcherie à 3 000 cochons (contre 2 000), et un élevage de truies à 900 animaux (au lieu de 750). Ces hausses permettent donc à de grandes exploitations de s’agrandir ou d’être créées plus facilement et plus rapidement, sans les contraintes administratives ou écologiques imposées aux autres.
Les avantages ? Pour les promoteurs du texte (notamment la FNSEA et l’agro-industrie), ces changements visent à réduire la paperasse, accélérer les projets agricoles et renforcer la compétitivité française face à d'autres pays européens. Le texte s’aligne sur certaines directives européennes (notamment sur les émissions industrielles), ce qui est présenté comme une mise à niveau réglementaire. Les grandes exploitations peuvent ainsi répondre à une logique de marché, avec des volumes élevés, à moindre coût.
Mais les inconvénients sont lourds. En allégeant les contrôles, la loi favorise les fermes-usines, sources de pollutions majeures (nitrates, ammoniac, méthane, nuisances olfactives), maltraitance animale, et concentration des terres. Cela marginalise encore davantage les petites exploitations familiales, qui n’ont ni les moyens ni les appuis pour suivre cette course à l’agrandissement. Les ONG et scientifiques pointent une régression environnementale déguisée, qui va à l’encontre des objectifs climatiques et de bien-être animal.
La fin d’une police verte indépendante
L’article 6 de la loi Duplomb transforme profondément (et dangereusement) la gouvernance de la police de l’environnement. Désormais, l’Office français de la biodiversité (OFB), chargé des contrôles sur le terrain, passe sous l’autorité directe du préfet pour l’administratif et du procureur pour le judiciaire. Le préfet aura même le dernier mot sur la programmation annuelle des contrôles. Pour les agents de l’OFB, cela revient à instaurer un droit de veto politique sur leurs priorités. Un préfet trop proche des lobbies agricoles ou industriels pourra freiner, voire empêcher certains contrôles. Résultat : les inspections dans les secteurs sensibles (comme l’agriculture intensive ou les grands chantiers) pourraient fortement diminuer. Ce recentrage menace l’indépendance de la police environnementale.
Anses préservée, mais sous pression
Le bras de fer autour de l’Anses (Agence de sécurité sanitaire), chargée d’autoriser les pesticides, s’est soldé par un compromis. Le Sénat voulait encadrer politiquement sa feuille de route, mais le texte final a réaffirmé son indépendance. Une nuance de taille subsiste : l’agence devra désormais intégrer dans ses évaluations les "circonstances agronomiques, phytosanitaires et environnementales, y compris climatiques" du territoire national. Une formule floue, qui pourrait faire pencher la balance en faveur des demandes du monde agricole, au détriment du principe de précaution. Ce glissement discret, couplé à la mise sous tutelle préfectorale de l’OFB, dessine une gouvernance sanitaire et écologique de plus en plus sensible aux rapports de force politiques.
Qui a voté la loi Duplomb ?
Le texte a été porté par une coalition du centre droit, du centre, et du Rassemblement National, tandis que la gauche plurielle (PS, EELV, LFI) l’a rejeté.
La commission mixte paritaire (7 députés + 7 sénateurs) a adopté le texte le 30 juin 2025 par 10 voix pour (majorité de droite, centristes, membres du gouvernement et Rassemblement national) contre 4 voix contre (2 socialistes, 1 député LFI, 1 écologiste).
Lors des votes finaux, le Sénat, où la droite est majoritaire, a validé le texte sans difficulté le 2 juillet 2025. À l’Assemblée nationale, le vote du 8 juillet 2025 a rassemblé une majorité similaire : LR, RN et une large part des députés macronistes ("bloc central") ont approuvé le texte, malgré des dissensions chez Renaissance, notamment Sandrine Le Feur. Cette dernière estime que cette loi manque son objectif principal : "Elle ne lève en rien les contraintes au métier d'agriculteur et surtout, elle n'accompagne pas les agriculteurs dans leur quotidien et dans le fait de pouvoir retrouver un revenu correct et vivre de leur travail", déplore-t-elle.