"Le Mal Aimé" : combien le carton d'Intermarché rapporte-t-il aux héritiers de Claude François ?

Publié par Élise Carmin
le 22/12/2025
Claude François
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©Vim/ABACA
Avec plus de 600 millions de vues dans le monde, la publicité de Noël d’Intermarché a propulsé le titre « Le Mal Aimé » de Claude François au sommet des plateformes. Pourtant, son fils affirme que ce succès spectaculaire ne mènera pas à un « jackpot » immédiat. Décryptage d'une industrie où les millions d'écoutes ne font pas la fortune.

C'est l'histoire d'un loup cuisinier qui a ému la planète entière. En choisissant une chanson méconnue de 1974 pour accompagner son conte de Noël, l'enseigne de grande distribution a réalisé un coup de maître. Le résultat est vertigineux : la vidéo cumule plus de 600 millions de vues à travers le monde. Mécaniquement, cette exposition a provoqué une ruée vers les plateformes musicales, faisant bondir les écoutes de façon spectaculaire en France et les multipliant par 100 aux États-Unis en quelques jours.

Face à un tel engouement, on imagine aisément les ayants droit se frotter les mains, attendant une pluie d'or. Pourtant, la réalité comptable est bien plus nuancée. Claude François Jr., qui gère le patrimoine de son père, a tenu à tempérer les ardeurs : « On ne partira pas en jet avec ça… », confie-t-il, lucide sur l'économie actuelle de la musique. Si l'on analyse les retombées financières du titre Le Mal Aimé suite à la publicité Intermarché, le constat est sans appel : le volume d'écoute ne garantit plus la richesse.

Pourquoi un million d’écoutes ne rapporte que des miettes ?

Pour comprendre cette douche froide financière, il faut se pencher sur la valeur unitaire d'une écoute. C'est un chiffre qui fait souvent grincer des dents dans le milieu artistique. En moyenne, la rémunération au stream sur Spotify, Apple Music et Deezer en 2025 oscille entre 0,003 et 0,005 euro pour les plateformes les plus populaires, et monte péniblement à 0,008 euro pour les plus généreuses.

Sortez vos calculatrices : un million de streams ne génère donc, en brut, qu'entre 3 000 et 8 000 euros. Et cette somme ne va pas directement dans la poche des héritiers. Elle doit d'abord passer à la moulinette du mécanisme de répartition des droits d'auteur de la Sacem et des plateformes. Sur un titre, la part est divisée entre l'interprète, le producteur (Part Master) et les auteurs, compositeurs et éditeurs (Part Publishing). Une fois tout le monde servi, la somme restante pour les ayants droit est bien loin du million d'euros, illustrant parfaitement pourquoi le streaming musical rapporte si peu aux artistes et aux ayants droit aujourd'hui.

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L’effet pervers du « gratuit » et les délais de paiement

L'autre mauvaise surprise concerne le calendrier. Si le buzz est immédiat, l'argent, lui, prend son temps. Selon la Sacem, dont 40% des montants collectés proviennent désormais du numérique, les revenus générés par cette explosion d'écoutes en décembre 2024 ne seront versés que dans six mois, voire un an. De plus, une grande partie de ces nouvelles écoutes provient d'utilisateurs de comptes gratuits (freemium), qui rémunèrent beaucoup moins les artistes que les abonnements payants.

C'est ici qu'il est crucial de saisir la différence entre la licence de synchronisation et les royalties de streaming. Le véritable chèque perçu par les héritiers est celui signé par Intermarché pour avoir le droit d'utiliser la musique dans la publicité (la synchronisation). C'est un montant forfaitaire, négocié en amont et payé immédiatement. Les royalties issues des streams, elles, ne sont qu'un bonus à retardement, souvent dérisoire par rapport au contrat initial.

Transmission : le véritable butin des héritiers

Si l'opération n'est pas le jackpot financier du siècle via le streaming, elle reste une victoire éclatante sur un autre plan. Pour le clan François, l'objectif prioritaire n'est pas la rentabilité immédiate d'un titre, mais bien la stratégie de transmission de l'héritage musical de Claude François Jr. envers les nouvelles générations.

Voir une chanson de 1974, adaptée à l'origine du titre Daydreamer de David Cassidy, entrer dans les playlists des adolescents aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en Allemagne a une valeur inestimable. Cette mise en lumière internationale redonne une actualité brûlante au répertoire de « Cloclo », augmentant sa valeur patrimoniale globale. C'est ce regain de notoriété qui permettra, demain, de négocier de nouvelles licences pour des films ou des séries, qui sont, elles, les véritables sources de revenus conséquentes de l'industrie musicale moderne.

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