IllustrationIstock
Le gouvernement entend réformer l'Etat de fond en comble. Et, manifestement, cela implique de pousser de nombreux fonctionnaires vers la sortie. Leur statut et son utilité sont régulièrement questionnés…
Sommaire

Mais au fait à quoi sert un fonctionnaire : protéger l’usager des dérives politiques ?

Emmanuel Macron et son gouvernement souhaitent réformer durablement l’Etat et la fonction publique. C’est dans cet objectif qu’Edouard Philippe et Gérald Darmanin ont récemment évoqué différentes mesures visant, entre autre, à marginaliser un peu plus le statut de fonctionnaire : recours à davantage de contractuels, plan de départs volontaires pour les agents de la fonction publique… Ces décisions soulèvent, une fois de plus, la question du statut du fonctionnaire auquel l’exécutif a décidé de s’attaquer, au moins dans les secteurs non-régaliens.

A lire aussi : Travail des fonctionnaires : est-ce bientôt la fin ?

Le statut de fonctionnaire, souvent perçu et décrit comme un privilège, n’a pas été pensé ainsi par hasard. Il répond à plusieurs objectifs. "Le statut général des fonctionnaires date de 1946. Il constitue une réponse à l’emploi, depuis la IIIème République, de contractuels pour exercer les missions de la fonction publique", explique Luc Rouban, sociologue, directeur de recherches au CNRS qui travaille également au Cevipof et à Sciences-Po. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. "Avant la création du statut, les fonctionnaires n’avaient aucun droit sociaux ou syndicaux. Par ailleurs, les politiques faisaient peser sur eux une très forte pression : selon sa sensibilité et les autorités en place, la carrière d’un agent de la fonction publique pouvait être freinée voire stoppée net. Le politique avait le pouvoir de les remplacer et, mécaniquement, cela faisaient d’eux des agents à la solde du pouvoir politique", poursuit le chercheur.

"Le statut de fonctionnaire vise avant tout à protéger les agents et les usagers contre le clientélisme politique", analyse le sociologue. "Sa création a permis de dépolitiser la fonction publique, de la neutraliser. C’était la condition pour éviter des règlements de comptes politiques autant que pour garantir l’égalité des usagers devant la loi. C’est pour cela que la fonction publique n’entretient pas un rapport commerçant avec les citoyens. Elle ne fournit pas une prestation comme le fait le privé, parce que celui-ci est en droit de refuser tel ou tel type de clientèle selon ses propres critères comme la richesse ou la catégorie sociale. C’est à ce prix là qu’elle est en mesure d’assurer des missions d’intérêt général", poursuit-t-il.

Mais au fait, à quoi sert un fonctionnaire : le rôle des agents publics dans la construction de l’Etat

D’après Alexandre Delaigue, agrégé d’économie, de gestion, professeur à l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr et à l’université de Lille 1, le statut remplit également d’autres finalités. "Bien entendu le statut de la fonction publique a été conçu en vue de créer une forme d’élite autonome du pouvoir politique afin qu’elle puisse agir pour le bien général sans être l’instrument d’intérêts personnels ou partisans. C’est pour cela que l’emploi à vie a été pensé. Cependant, ce n’est pas tout : ce statut visait également à faire des économies. Dans les années 30 de nombreuses entreprises préféraient proposer un statut avantageux plutôt qu’un salaire élevé", rappelle l’économiste pour qui l’Etat n’aurait pas eu les moyens d’embaucher du personnel qualifié sans recourir à ce compromis. "Déjà à l’époque, les salaires de la fonction publique n’était pas attrayants. Le statut devait contrebalancer cet aspect. Le régime spécifique des agents de la fonction publique en matière de retraites vient de là : on a fait le choix de reporter ces dépenses à plus tard", détaille-t-il.

Enfin, autre rôle très important du fonctionnaire et de son statut : la fabrication de la France telle que nous la connaissons aujourd’hui. "C’est sous la IIIème République que nous avons créé la fonction publique dans le but d’unifier l’Etat. N’oublions pas qu’à l’époque, il existait des régions entières où l’on ne parlait pas le même français. L’éducation nationale et les préfectures ont permis la construction d’un Etat unitaire. C’est une spécificité de la fonction publique française qu’on ne retrouve pas ailleurs", rappelle le professeur à l’Ecole spéciale militaire.

Fonctionnaire : un statut qui n’a plus de légitimité aujourd’hui ?

Si Emmanuel Macron et, d’une façon générale, un pan de l’opinion publique souhaitent revenir sur le statut de fonctionnaire, c’est précisément parce qu’il fait débat. D’aucuns estiment qu’il devrait être modernisé, voire supprimé. "Indéniablement, la fonction publique telle qu’elle existe actuellement, est très largement remise en question. Du fait de sa masse salariale, entre autres, elle compte pour beaucoup dans les dépenses publiques qui sont déjà plutôt élevées. Forcément, taper sur le statut est tentant", juge Alexandre Delaigue qui estime que le contexte ne justifie plus tous les objectifs qui avait légitimé la construction du statut. La décentralisation de la fonction publique, par exemple, a nécessairement réduit son impact et son rôle de garant de l’Etat unitaire.

"A-t-on encore besoin d’une fonction publique mandarinale comme celle que nous avons aujourd’hui ? La réponse est éminemment politique et relève beaucoup du choix de société. Aujourd’hui, la génération au pouvoir est très attachée aux modèles de management issus des grandes entreprises. Ils calquent donc ces nouveaux modèles sur la fonction publique qui intègre de plus en plus de logique du privé", note l’économiste. "La tendance actuelle est clairement à l’unification de tous les droits du travail sous un statut unique. Est-ce nécessairement la meilleure solution ? Pas nécessairement", poursuit-il. Selon lui, le statut du fonctionnaire est "probablement à reconstruire", notamment parce que certaines des notions sur lesquelles il a été construit sont "désormais désuètes". "Cela ne signifie pas que la tendance ne puisse pas s’inverser, au contraire", précise-t-il toutefois.

Pour Luc Rouban, si ce statut n’est pas forcément nécessaire absolument partout où il est appliqué, il reste extrêmement d’actualité. "Ce statut est toujours efficace. C’est criant dans la fonction publique territoriale qui est sortie de la logique de corps depuis la loi Galland, votée en 1987. Mécaniquement, un constate un retour considérable de la politisation dans ce volet de la fonction publique, ce qui signifie que les agents sont amenés à servir des intérêts privés ou partisans", assène le sociologue, pour qui la fonction publique est également garante d’une "certaine vision de la République". "Quand elle ne peut pas être instrumentalisée par le politique ou des intérêts communautaires, par exemple, elle fait office de zone tampon. Ce n’est plus tout à fait vrai pour le volet territorial, aujourd’hui", observe le chercheur.

Mais au fait, à quoi ça sert un fonctionnaire : la France se porterait-elle vraiment mieux sans ?

Avant la France, de nombreux pays ont entrepris des réformes comparables à celles menées par Emmanuel Macron, dans le but de contractualiser et libéraliser leurs fonctions publiques. "Ce que fait la France actuellement, le Canada, la Suède où la Grande-Bretagne l’ont fait dans les années 1990. Les résultats, aujourd’hui sont très variables", indique Alexandre Delaigue. "Les pays scandinave affichent le meilleur état de la démocratie et parmi les plus forts taux de satisfaction et, pourtant ils ont privatisé leur fonction publique. Ce qui, au demeurant, n’a pas coûté moins cher au contraire", relève pour sa part Luc Rouban.

"Les méthodes de management inspirées du privé ont contribué à modeler le nouveau visage des fonctions publiques de nombreux pays : c’était l’avenir. Dans l’ensemble, d’ailleurs, ces réformes étaient perçues comme une réussite. Aujourd’hui, il est difficile de ne pas voir toutes les crispations qu’elles engendrent, notamment en Suède", rappelle cependant l’économiste, qui pointe du doigt les nombreuses critiques essuyées par les modèles anglo-saxon ou suédois.

"La forte rotation du personnel, notamment dans l’éducation, implique que les employés sont moins qualifiés et donc nécessairement moins compétents. Ce à quoi s’ajoute une centralisation du système – souvent les programmes sont pilotés par le haut… – ce qui engendre mécaniquement une perte de qualité. Au Royaume-Uni, l’austérité n’arrange rien et ce cocktail déchaîne les critiques. Les grands succès économiques ne sont plus nécessairement anglo-saxons", estime l’enseignant à l’Université Lille 1, non sans rappeler que ce type de réforme est si étendu qu’il faut plusieurs années pour en voir l’ensemble des effets. "Nécessairement, il faut tâtonner", souligne-t-il.

"Certains modèles, plus comparables au système Français, pourraient peut-être nous éclairer. Dans l’hypothèse d’une idéologie au pouvoir plus favorable à une fonction publique mandarinale ou confucéenne, la Chine ou Singapour constitueraient potentiellement de bons exemples", conclut l’économiste.