A quoi ressemblerait une France privée de gaz russe à l'hiver prochain ?Istock
La France, comme le reste de l'Union européenne, fait aujourd'hui face à une forte chute des livraisons de gaz russe. L'hypothèse d'une rupture totale de l'approvisionnement inquiète d'ailleurs le FMI. Faut-il vraiment craindre une telle situation ?
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Politique énergétique. Depuis le début de la guerre en Ukraine et le choix de sanctionner la Russie, les pays de l’Union européenne font face à une forte chute des livraisons de gaz russe, dont dépendent plusieurs de nos voisins. Dorénavant, le Fonds Monétaire International lui même s’inquiète des éventuels problèmes d’approvisionnement auxquels pourraient être confrontées les nations d’Europe et la Commission les encourage à réduire d’au moins 15% leur consommation de gaz d’ici à la fin du mois d'août, indique Ouest-France sur son site. Mais à quoi ressemblerait l’Hexagone si le gaz venait effectivement à manquer ? L’avis de Philippe Crevel, économiste, interrogé par Planet.

La France menacée par une pénurie de gaz russe : quelles sont les mesures qui ont été mises en place ?

Philippe Crevel est macroéconomiste, spécialiste des questions relatives aux retraites et à l'épargne. Il dirige aujourd'hui le Cercle de l'Epargne.

Planet : L’hypothèse d’une France coupée du gaz russe apparaît plus plausible qu’elle ne l’a jamais été. Plusieurs plans européens ont été envisagés pour contrer ce type de situation. En quoi consistent-ils, exactement ?

Philippe Crevel : Les plans européens visent à assurer l’approvisionnement en gaz dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, en priorité pour la période hivernale à venir (2022-2023) mais aussi pour les hivers qui viendront ensuite. En outre, ils comportent aussi un volet relatif à la réduction ou à la suppression de la fourniture du gaz russe

Le premier objectif, pour résister à une telle situation, n’est autre que de remplir les cuves des pays membres. Cela passe aujourd’hui par la recherche active d’autres fournisseurs, notamment auprès de pays comme l’Algérie ou les Emirats Arabes Unis. De plus, les européens prônent aujourd’hui la mise en place d’une politique énergétique commune, ce qui signifie privilégier les achats groupés pour faire baisser les prix et prévoir des dispositifs à activer en cas de pénurie. Ainsi, on évite la tentation pour certains pays d’appliquer une politique de la terre brûlée et on préserve les pays vulnérables d’une implosion de leur marché. 

Sur le long terme, l’Union européenne réfléchit à des modalités pour ne plus dépendre du gaz russe. Des projets de développement des énergies renouvelables, mais aussi de développement et d'amélioration des infrastructures sont actuellement envisagés.

La France est-elle protégée contre une pénurie de gaz russe cet hiver ?

Planet : Quel serait l’impact, au quotidien, d’une coupure de gaz russe cet hiver. Faudrait-il s’attendre à de vrais blackout ? Une hausse des tarifs ?

Philippe Crevel : En l’état actuel, c’est-à-dire au début du mois de juillet 2022, les cuves européennes de gaz étaient remplies à 60% en prévision de l’hiver 2022-2023. L’objectif est désormais fixé à 80% d’ici à cet automne, mais plusieurs obstacles techniques pourraient poser problème, à hauteur d’une dizaine de pourcents environ. N’oublions pas, cependant, que l’Union européenne se montre souvent efficace dans l’urgence et que la France ne compte pas parmi les nations les plus vulnérables en raison de sa faible dépendance au gaz russe.

Ceci étant dit, il importe de rappeler que le bouclier tarifaire devrait aussi préserver les Françaises et les Français de la hausse des tarifs (qui ont été multipliés par 7, par 8 et parfois même par 9) mais qu’il ne pourra pas être maintenu ad vitam aeternam. L’autre problème qu’il convient de mentionner, c’est celui d’une potentielle pénurie de gaz en France. Dans les faits, celle-ci apparaît peu plausible : il faut plutôt s’attendre à un rationnement sélectif occasionnel, qui pousserait les gros consommateurs industriels à réduire leurs besoins en gaz au détriment de l’activité économique, de sorte à préserver autant que faire se peut les capacités de chauffage des ménages. Ils ne seront sollicités qu’en dernier recours, a fait savoir le gouvernement. Il n’est donc pas nécessaire de se montrer trop alarmiste.

Quand faudra-t-il payer le gaz à prix normal ?

Planet : Vous disiez que le bouclier tarifaire ne saurait être maintenu indéfiniment. Quand faudra-t-il payer ?

Philippe Crevel : Pour l’heure, le gouvernement a décidé de maintenir le bouclier tarifaire au moins jusqu’à la fin de l’année. Il faut toutefois rappeler que plus celui-ci sera maintenu longtemps, plus il sera difficile d’en sortir. Le pari initial du gouvernement reposait d’ailleurs sur un prompt retour des prix à un niveau habituel.

A mon sens, il sera difficile de sortir du bouclier tarifaire tant que les prix continueront à augmenter. Ceci étant dit, au fur et à mesure que de nouveaux contrats seront signés et que de nouvelles infrastructures seront développées, les prix du gaz pourraient décroître. A ce moment-là, il sera possible de revenir progressivement sur le bouclier. 

C’est d’autant plus important que c’est nécessaire : il s’agit d’un effort coûteux, chiffré à 30 ou 40 milliards d’euros d’ici à la fin de l’année. Ne perdons pas de vue que c’est là un transfert de charge au contribuable, financé par les prélèvements obligatoires et l’épargne, qui ne résout en rien le problème. En plus de quoi, ce type de mesure générale profite indéniablement plus aux ménages aisés qu’aux ménages pauvres. Il vaut mieux mettre en place un système d’aides ciblées.