Hausse de la franchise sur les médicaments : quelles conséquences pour les seniors ?

Publié par Matthieu Chauvin
le 14/08/2025
Senior pharmacie
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Une nouvelle fois, le gouvernement veut doubler le montant de la franchise sur les médicaments. Cette proposition qui pourrait faire d'énormes dégâts chez les plus précaires, notamment les retraités, sera intégrée au projet de loi de finances 2026 parmi d'autres mesures touchant le domaine de la santé. Nous avons interrogé Guillaume Racle, représentant du syndicat de pharmaciens USPO pour la Marne et les Ardennes sur les ses conséquences.
 

Dès aujourd'hui, des milliers de pharmacies seront fermées pour protester contre les nouvelles propositions faites par François Bayrou et Catherine Vautrin pour réaliser des économies dans le domaine de la santé, notamment pour "responsabiliser" les usagers. Trois mesures évoquées en sont à l'origine : 

  • le doublement du plafond de la franchise sur les médicaments de 50 à 100 euros par an ;
  • le paiement en caisse de la participation forfaitaire (passant de 1 à 2 euros sur chaque boîte) ;
  • la diminution des remises dont bénéficient les officines sur les génériques.

Un déremboursement partiel des médicaments ?

Le 15 juillet dernier, le Premier Ministre avait déclaré : "Chaque fois que nous achetons une boîte de médicaments nous en payons une partie et la somme totale que nous déboursons, additionnée, est plafonnée à 50 euros par an. Nous pousserons ce plafond à 100 euros, ce qui signifie pour ceux qui consomment le plus de médicaments une dépense de l'ordre de 8 euros par mois." Depuis le 31 mars 2024, la participation forfaitaire sur chaque médicament était passée de 50 centimes à 1 euros. Dès 2026, elle monterait à 2 euros, ne serait plus déduite des remboursement de la Sécurité sociale mais payable au comptoir des pharmacies... Le tout gratuit, c'est bien fini ?

Les pharmaciens scandalisés par ces mesures

Pour mesurer les conséquences que pourraient avoir ces mesures sur les patients comme sur les professionnels, nous avons pu interroger Guillaume Racle, représentant de l'USPO (Union des Syndicats de Pharmaciens d’Officine) pour la Marne et les Ardennes, lui-même pharmacien à Epernay. 

Planet.fr : Comment la profession accueille-t-elle ces mesures ?

Guillaume Racle : Le gouvernement a en tête que les Français consomment volontairement trop de médicaments. Or, quand on compare aux autres pays de l'OCDE, nous sommes dans la moyenne voire la moyenne basse. La volonté de les culpabiliser est contredite par les chiffres.

Planet.fr : Comment constatez-vous les effets de ces augmentations de franchises et de participations forfaitaires chez vos clients, notamment les seniors ?

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Guillaume Racle : Au comptoir, nous constatons de plus en plus de précarité chez les personnes âgées. Aujourd'hui, elles ont du mal à payer les mutuelles. Ce que je ne voyais pas il y a quelques années, dans une région plutôt favorisée comme la mienne (Epernay, la capitale du champagne, ndlr), c'est qu'elles souscrivent à des mutuelles qui ne prennent plus en charge les médicaments et qui sont uniquement "hospitalières". Celles qui prennent en charge les médicaments sont trop chères. Et quand on est âgé, le forfait mensuel peut aller de 100 à 200 euros par mois, ce qui peut représenter 10 ou 20 % de leurs revenus.

Plus de prise en charge pour la plupart des médicaments ?

Planet.fr : Cela va empirer avec l'augmentation de la franchise/participation forfaitaire à 2 euros ?

Guillaume Racle : Oui car elle n'est pas remboursée par les mutuelles. Si elle passe à 2 euros, pour un grand nombre de médicaments, entre la part Sécurité sociale et la part mutuelle, les gens vont en fait les payer à 100 %. Si on prend l'exemple des médicament pour les pathologies chroniques à destination des personnes âgées, ils sont pris en charge à 65 % par l'Assurance maladie (à 100 % en cas d'ALD). Donc, si vous déboursez 2 euros, tous les médicaments à moins de 3 euros, c'est-à-dire la grande majorité, vous les payez intégralement. 

Planet.fr : Concrètement ?

Guillaume Racle : Je m'explique : sur un médicament à 3 euros, l'Assurance maladie prend 2 euros à sa charge (environ les deux tiers ou 65 % pour arrondir) et vous lui payez 2 euros. Cela revient en réalité à ne bénéficier d'aucune prise en charge par cette dernière tout en réglant la part complémentaire...

Planet.fr : Les médicaments concernés sont si nombreux ?

Guillaume Racle : Oui, ceux à moins de 2 et 3 euros représentent l'immense majorité. Aujourd'hui avec les génériques et les matures (ceux dont le brevet n'est plus exclusif, ndlr), on a accès à des médicaments qui sont très peu chers. On ne comprend pas cette volonté de culpabilisation. Cette mesure revient à en dérembourser une très grande partie, à usage très courant.

Des prescriptions souvent incontrôlées ?

Planet.fr : Pourtant, les personnes âgées, sur qui retombe aussi cette culpabilisation, ont vraiment besoin de ces médicaments, et ils vont les payer plus chers. C'est la double peine ?

Guillaume Racle : Le vieillissement de la population pourrait justifier ces mesures. Mais aujourd'hui nous voyons des médicaments extrêmement chers qui arrivent sur le marché : jusqu'à 66 000 euros la boîte en officine ! Pour une personne et pour un mois (pour l'immunothérapie, la cancérologie...) ! Ils sont très efficaces, là question n'est pas là. En revanche il y a un problème de soutenabilité du financement. Le système de régulation des médicaments n'a pas changé alors qu'ils coûtent mille fois plus cher. Cela revient à prescrire de la même manière un médicament à 70 centimes qu'un médicament à 66 000 euros. Il n'y a pas plus de vérifications de la part de l'Assurance maladie.

Planet.fr : Vous voyez ce genre de cas en officine ?

Guillaume Racle : On le voit sur le terrain, et on se pose la question : est-ce que ce médicament à 66 000 euros a un effet bénéfique sur le patient ? Or, il arrive très souvent que ce patient nous dise ne pas avoir constaté d'effet particulier sur sa pathologie. On voit aussi des prescriptions qui ne sont pas conformes aux recommandations. Des initiations de traitements qui ne sont pas conformes en terme d'âge, des schémas posologiques qui nous demandent de faire une injection par mois alors que normalement, c'est tous les deux mois. Tout cela est hors du cadre et il n'y a absolument pas de contrôle. 

Les personnes âgées, premières pénalisées ?

Planet.fr : Qu'en déduit la profession ?

Guillaume Racle : Ce que nous disons aujourd'hui, c'est que le gouvernement est en train de "taper" sur des médicaments qui soignent la majorité de la population, tout particulièrement les personnes âgées, pour en financer d'autres qui soignent très peu de personnes : 0,4 % du volume des médicament représente 42 % du montant remboursé ! Au lieu de réguler ces médicaments hors de prix et de mieux négocier avec les gros laboratoires pharmaceutiques, on préfère taper sur les personnes âgées. Au-delà du coût pour la société, cela crée un marché à deux vitesses. Les nouveaux médicaments sont tellement rentables pour les laboratoires, qu'ils se séparent des médicaments matures : Sanofi a vendu Doliprane, Servier vend Biogaran parce que c'est sa filiale générique et que ça rapport beaucoup moins qu'un médicament en oncologie, etc.

Planet.fr : Face à ce constat, quelles sont vos revendications ?

Guillaume Racle : Nous réclamons une véritable réforme au niveau de la régulation des prix et de la pertinence sur les médicaments plutôt que de s'en prendre à ce qui est essentiel, surtout pour les personnes âgées.

Planet.fr : Pour en revenir aux franchises, en ce qui concerne le reste à charge qui va se généraliser pour presque tous les assurés, l'encaisser va vous apporter un charge administrative supplémentaire ?

Guillaume Racle : Cette "collecte" laissée aux pharmaciens est une autre fausse bonne idée. Je suis pharmacien, pas un centre des impôts. C'est hors de question. Je n'ai pas fait 9 ans d'études pour faire de l'administratif à foison. Et je n'ai pas envie de me battre avec mes patients : comment vais-je savoir si la personne est au plafond de 50 ou 100 euros ? Si elle s'est rendue dans une autre pharmacie avant la mienne ou pas ? C'est ingérable. Si l'Assurance maladie veut déléguer cette collecte d'impôts, c'est parce qu'elle n'arrive pas tout le temps à prélever les franchises, et la facilité c'est de confier cette tâche aux pharmaciens.

Les pharmacies menacées par la baisse des remises ?

Planet.fr : Le gouvernement veut réduire les remises dont vous bénéficiez de la part des laboratoires sur les génériques. Cela va-t-il avoir une répercussion sur les patients niveau des prix ?

Guillaume Racle : En fait le prix de vente du médicament au pharmacien est fixe. Par exemple une boîte de six antibiotiques est facturée 1,50 euro par le laboratoire. C'est ce qu'on appelle le "prix fabricant hors taxes" fixé par l'Etat. Sur les médicaments génériques et uniquement les médicaments génériques le laboratoire a la possibilité de nous accorder une remise allant jusqu'à 40 %. Cela avait été mis en place pour inciter les pharmaciens à mettre en avant ces génériques, qui coûtent moins cher à l'Etat que les médicaments princeps (brevetés, ndlr). Il a décidé, on ne sait pas trop pourquoi, de baisser ces remises à 30, puis à 20 %. Sauf que ce modèle représente aujourd'hui 30 % de la marge des pharmacies. Ces remises sont vitales pour les officines. Ce n'est pas un petit sujet, qui nous agace simplement.

Planet.fr : On parle alors de la survie de la profession ?

Guillaume Racle : Si cette mesure est maintenue et vraiment mise en place, très rapidement, on estime que plus de 6 000 pharmacies vont fermer. Officiellement nous dit-on, elle servirait à mettre la pression aux laboratoires pour qu'ils baissent leurs prix. Nous répondons : pourquoi faire les poches aux pharmaciens et pas aux laboratoires ? On est toujours dans la stratégie à court terme. On sacrifie un réseau bien organisé comme le nôtre, aux multinationales qui n'ont aucune fidélité envers un pays ou un autre...

Après les médecins, plus de pharmacies de campagne ?

Planet.fr : Si autant de pharmacies disparaissaient, on serait au-delà du phénomène de désert médical ?

Guillaume Racle : Depuis des années, on dit que le réseau pharmaceutique c'est la proximité, que 99,5 % de la population a accès à une pharmacien en moins de 15 minutes, etc. Les Français ne s'en rendent pas compte. Mais demain ça ne sera plus le cas. Le phénomène de pression économique sur le réseau officinal est déjà en route depuis quelques années. L'Hexagone comptait 22 000 officines il y a 10 ans et nous sommes à moins de 20 000 aujourd'hui. Et ça va s'accélérer. 

Planet.fr : Et les personnes âgées seront encore les premières victimes ?

Guillaume Racle : Oui, l'accès à une pharmacie sera plus compliqué, forcément. Or, dans les villages, heureusement qu'il a souvent une pharmacie, parfois le tout dernier commerce. Et ce sont les officines les plus rurales qui seront les plus touchées. Ces dernières, comme celles qui se trouvent dans les quartiers prioritaires, perdent des patients, qui font partie de la population la plus fragile, qui va le plus vite mourir, au profit des pharmacies de ville. Aujourd'hui, 4 000 à 6 000 communes ne comptent plus qu'une seul officine. Et ce n'est pas comme un cabinet de médecin, il n'y a pas de retour en arrière. Une fois qu'elle est fermée, elle est fermée.

Planet.fr : Et l'accès à la pharmacie, c'est l'accès aux médicaments.

Guillaume Racle : C'est un autre problème qui va se poser : la disponibilité des médicaments. A force de "tirer" sur ces médicaments matures, ou génériques, cela entraîne des pénuries, comme on le voit en ce moment. Les industriels ne sont pas des philanthropes. Pour avoir de la rentabilité, ils fonctionnent à flux tendu. Depuis le début de l'inflation, comme on n'a pas revalorisé le prix des médicaments, ça leur assure des marges convenables. Et ils vendent aux plus offrants, avec pour nous la concurrence des pays émergents, puisque les médicaments sont produits à des tarifs accessibles à ces pays émergents...

Pas de conséquence directe sur le prix des médicaments

Planet.fr : Ce mode de fonctionnement des laboratoires garantit donc des prix corrects ?

Guillaume Racle : Il n'y a pas de conséquence financière directe puisque les prix de vente publics TTC, soit les prix des médicaments remboursés, seront toujours les mêmes. Il n'y a pas de dépassement en pharmacie, c'est interdit.

Planet.fr : Craignez-vous que ces changements, comme le fait de faire payer le reste à charge, va créer des tensions avec les patients en officine ?

Guillaume Racle : De façon générale, les gens acceptent de moins en moins les contraintes et frustrations. Et effectivement, le service pharmaceutique, malgré les pharmaciens, c'est-à-dire nous (d'après la dernière étude sur le sujet, la gestion des ruptures par exemple nous prend 12 heures par semaine, c'est considérable...), fait face à des comportements, tout type de population confondu, de plus en plus agressifs.

"Les gens se sentent abandonnés par le système de santé"

Planet.fr : Un exemple ?

Guillaume Racle : J'ai toujours le même en tête. Une dame qui vient depuis 20 ans chez nous, 75 ans, a eu une première dose de vaccin contre le zona. Pour la deuxième, on peut attendre entre 2 et 8 mois. Après 2 mois pile, elle revient pour sa deuxième dose, mais nous sommes en rupture. Elle devient folle dans la pharmacie, hurle sur notre adjointe qu'elle connaît depuis 10 ans... Concernant les médicaments en rupture, soit les gens sont très énervés, soit ils se mettent à pleurer... Et ils ont l'impression qu'ils sont de moins en moins remboursés, on a toutes sortes de plaintes. Avec le reste à charge, certaines personnes ressentent un sentiment de déclassement alors qu'ils ont travaillé toute leur vie et il faut qu'ils payent. Il y a des personnes qui refusent de prendre les médicaments moins remboursés. Même si c'est nécessaire. Ils se privent, il faut le dire ! Ce n'est pas facile à gérer. Les gens se sentent abandonnés par le système de santé.

 

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