Qui veut encore d'une réforme des retraites en France ?AFP
Emmanuel Macron l'a dit : il n'exclut pas une réforme des retraites d'ici la fin du quinquennat. Mais pourrait-il compter sur le soutien de la population, s'il décide finalement de se lancer ? Décryptage.
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"La crise covid n'a rien changé", assurent les conseillers du chef de l'Etat, questionnés par Le Figaro sur la révolution de notre modèle de solidarité intergénérationnelle. Ils poursuivent, sans ambiguïtés : "Elle a plutôt conforté la nécessité de la réforme, qui ne pourra pas être identique à la précédente; Le temps restant n'est en tout cas pas un obstacle". Pourtant, d'aucuns craignent aujourd'hui la relance de ce chantier. Y compris parmi ceux qui ont participé au projet initial, puisque c'est c'est notamment le cas d'un certain… Édouard Philippe. Le maire du Havre s'est en effet exprimé à ce sujet, rapporte L'Opinion. S'il a redit son engagement en la matière, il a aussi déclaré ne pas vouloir que le gouvernement "fasse semblant de faire une réforme"...

L'équipe exécutive, elle, n'a de cesse de répéter combien cette réforme est indispensable… et inévitable, rappelle le quotidien Les Echos. Et donc de la nécessité de l'engager dès à présent ; en dépit des nombreux freins et obstacles que dressent certains. Pour une fois, il est important de le noter, l'Elysée a su faire l'union du Medef et des syndicats… contre lui. Peu importe, pourraient-être tentés de dire certains, pourvu que la volonté du peuple soit souveraine. Mais sait-on vraiment ce que souhaite ce dernier, en vérité ? Pourvu, évidemment, qu'il puisse être singulier…

Réforme des retraites : qui en veut encore, à l'approche de la présidentielle ?

Plusieurs études permettent, en effet, d'en savoir un peu plus sur l'adhésion ou non de la population française au projet du gouvernement. A en croire la dernière en date, dont nos confrères se font l'écho, une majorité de Françaises et de Français soutiennent en effet l'idée même de transformer le système de retraite de l'Hexagone. Mais pas nécessairement maintenant. Pour 55% d'entre eux, la question doit être débattue à l'occasion de la prochaine élection présidentielle, en 2022. Un nombre conséquent, quoique minoritaire puisqu'ils ne sont "que" 42%, estime qu'il faut se lancer dès à présent. L'intérêt pour la réforme est là ; le moment, en revanche, n'est peut-être pas idéal.

"La situation est un peu paradoxale : une partie considérable de l'électorat estime nécessaire de revoir en profondeur le système des retraites, parce qu'elle s'inquiète aujourd'hui de sa pérennité. Cependant, il y a évidemment un débat sur la nature même de la réforme qu'il faudrait mener", explique en effet Emmanuel Rivière, Directeur général France pour l'institut d'études de l'​opinion Kantar, qui rappelle combien les échanges ont pu être houleux entre 2019 et 2020…

Qui pour défendre la réforme des retraites selon Emmanuel Macron ?

"Aujourd'hui, on constate une convergence de plusieurs catégories de la population en faveur d'une réforme rapide et fidèle au projet initial du gouvernement. Elle est visible entre les sympathisants La République en Marche et les anciens soutiens de François Fillon, aujourd'hui proche des Républicains", observe encore le sondeur, pour qui "une alliance politique est possible". A l'inverse, c'est à gauche - et surtout, à la gauche de la gauche - que l'on s'y oppose le plus.

Pour autant, à en croire le politologue Christophe Bouillaud, la fracture est moins politique qu'elle n'est générationnelle. "Les jeux politiques sont faits : tous ceux qui sont du bon côté de la barrière sont favorables à la réforme des retraites, qui doit permettre de maintenir le niveau de leur pension actuelle. Les autres, c'est à dire ceux qui sont concernés et dont le niveau de vie va baisser, n'adhèrent pas au projet d'Emmanuel Macron", analyse le chercheur, qui enseigne les sciences-politiques à l'Institut d'Etudes Politique (IEP, Sciences-Po) de Grenoble. "Ce qui change, c'est que c'est désormais de notoriété publique. On sait désormais que les seuls à soutenir franchement la réforme, ce sont ceux qui n'en subiront pas les conséquences, alors même qu'ils ont refusé de repousser l'âge de leur départ en retraite quand ils étaient encore concernés", poursuit-il encore. De là à y voir un certain égoïsme hypocrite, il n'y a qu'un pas… qu'Emmanuel Rivière se refuse à franchir. "Le clivage est effectivement très générationnel, mais cela n'a rien d'étonnant : c'est un paramètre que l'on constate habituellement dans ce genre d'études. La plupart du temps, les plus âgés sont plus sensibles à ces questionnements. Souvent, ils sont aussi plus attachés à la préservation des systèmes qu'ils ont connus", explique-t-il.

Pour autant, si une majorité de Françaises et de Français rejettent aujourd'hui la réforme des retraites, cela ne veut pas dire qu'Emmanuel Macron n'a pas tout intérêt à la faire…

Réforme des retraites : ce qu'Emmanuel Macron gagne à la faire tout de suite

"La réforme des retraites est faisable ; indépendamment de ce que pourraient en penser les Françaises et les Français. Bien sûr, elle engendrerait une véritable rancœur chez les salariés, mais elle demeure électoralement payante", rappelle d'entrée de jeu Christophe Bouillaud. Et lui d'expliquer son propos : "Elle revient à garantir aux retraités actuels  la pérennité de leur niveau de vie ou au moins du montant de leur pension. N'oublions pas qu'ils représentent 40% des voix potentielles et qu'ils sont propriétaires, pour partie, de la dette publique. Ils ont donc tout intérêt à ce que, à terme, on privilégie le remboursement de cette dernière plutôt que le versement des prochaines retraites".

Ce n'est pas l'unique raison qui pourrait pousser Emmanuel Macron à engager dès à présent sa réforme des retraites. "C'est aussi l'occasion de reprendre la maîtrise de l'agenda politique français et de reprendre les choses là où elles avaient été laissées. Commencer par les retraites est cohérent, dans la mesure où l'objectif de la réforme est de regarnir les comptes publics qui ont été beaucoup sollicités pendant la crise sanitaire", observe Emmanuel Rivière.

"En outre, c'est aussi une manière de re-cliver l'électorat autrement que sur le sécuritaire, qui est un sujet de fragilisation du socle majoritaire. A l'inverse, sur les retraites, l'exécutif peut se montrer fer de lance et force de proposition ; il n'a donc pas à courir derrière d'autres familles politiques", note encore le sondeur.