Dette, renoncement et désindustrialisation : quels sont les plus gros points faibles de la France en 2021 ?Istock
INTERVIEW. Sur le plan économique, la France peine à relever la tête. Cela ne date pas de la crise sanitaire et certains problèmes pourraient perdurer à son terme. Explications.
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Économiste, Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite.

Planet : Désindustrialisation, dette publique, renoncements économiques... Gérard Larcher pointait récemment du doigt, rapporte Le Figaro, une série de faiblesses économiques de la France, en 2021. Quels sont, selon vous, les points faibles structurels du pays ?

Philippe Crevel : La crise sanitaire, c’est une évidence, ne fait qu’accentuer certaines des faiblesses dont notre économie souffre depuis déjà des années. La désindustrialisation, par exemple, est forte et constante depuis au moins trente ans. C’est un problème, puisque ce phénomène se traduit mécaniquement par d’importantes pertes d’emploi et donc la montée du chômage, mais aussi par le déficit de notre balance commerciale puisque nous sommes contraints d’importer davantage. En 2020, il excédait 60 milliards d’euros. En outre, c’est une situation dramatique pour la recherche et l’innovation dans l’Hexagone. Cependant, il faut bien rappeler que cette désindustrialisation ne vient pas de nulle part. Elle est elle-même liée à d’importantes faiblesses au niveau éducatif, que l’on constate d’ailleurs régulièrement : la France recule quasi systématiquement dans les classements de l’OCDE à ce sujet.

Désindustrialisation, problèmes d’enseignement et prélèvements obligatoires : les trois fléaux qui noient la France ?

En outre, nous manquons cruellement d’entreprises de tailles intermédiaires. La France est essentiellement peuplée de PME (petites et moyennes entreprises) qui peinent énormément à se développer ou de grosses sociétés avec lesquelles il est parfois plus difficile d'interagir. Ici, à mon sens, c’est le poids des prélèvements obligatoires qu’il faut remettre en cause : nous sommes champions d’Europe en la matière, alors même que cela pénalise l’ensemble de notre économie. Ils constituent d’ailleurs le miroir des dépenses publiques que critique notamment Gérard Larcher, dont il faut cependant rappeler qu’elles ne sont pas intrinsèquement mauvaises, économiquement parlant.  C’est un outil comme un autre, qu’il faut savoir manier.

N’oublions pas non plus la culture française, qui joue un rôle conséquent dans notre situation actuelle. Le pays est très centralisé, porté sur la bureaucratie, ce qui contribue mécaniquement à bloquer - ou au moins à faire obstacle - l’expansion des entreprises précédemment évoquées.

Le choix du moyen de gamme et des 35h, deux clous de plus dans le cercueil France ?

Planet : Peut-on espérer corriger ces points faibles, selon vous ? D’où émanent-ils, à l’origine ? 

Philippe Crevel : Je pense effectivement qu’il est possible de redresser la barre. Faute de quoi, il nous faudrait mettre la clef sous la porte tout de suite ! Ce n’est évidemment pas la solution.

Je constate que la France passe régulièrement par des périodes d'expansion et des phases de déclin. Celle-ci dure depuis une trentaine d’années environ, et l’on pourrait bien sûr en sortir. Cependant, cela suppose forcément des actions de long terme, fortes et énergiques. Ce n’est pas quelque chose que l’on pourra faire en un claquement de doigts.

Il s’agit fondamentalement de revenir sur les mauvaises décisions et les virages ratés de ces quarante dernières années ; dont nous payons aujourd’hui les conséquences. Dans les années 80, à l’époque de François Mitterrand, nous avons fait le choix des dépenses publiques et sociales. Il ne s’agit pas, en l'occurrence, de discuter du bien fondé de telles mesures, juste de rappeler qu’elles ne sont pas sans coût. Ne perdons pas de vue qu’à la fin du XXème siècle, nous faisons jeu égal avec l’Allemagne.

"Nous avons fragilisé le tissu industriel Français" - Philippe Crevel

Cependant, nous avons fragilisé notre tissu industriel en faisant le choix des 35 heures autant que celui du moyen de gamme. Certes, l’écart en termes de temps de travail entre la France et l’Allemagne n’est pas si important que l’on pourrait le croire. Néanmoins, il serait naïf de penser que cette mesure n’a pas créé un climat peu porteur pour notre économie.

En outre, la France s’est spécialisée dans la gamme moyenne. Par conséquent, nous avons été concurrencé par des pays émergents, capables d’afficher un coût de main d'œuvre nettement moins élevé. Ce sont à mon sens deux tournants, deux choix politiques, que nous avons complètement ratés.

Quand bien-même, rappelons-le, la situation économique de la France a toujours été plus ou moins difficile ces deux derniers siècles…

Le souci, me semble-t-il, c’est que nous ne pouvons pas remonter sans entreprendre des réformes importantes, structurelles. Or, et c’est particulièrement vrai depuis l’entrée en vigueur du quinquennat, l’action politique est adepte du temps court.

"Les classes moyennes vont continuer de trinquer pour toutes les autres"

Planet : Dans quelle mesure ces points faibles pèsent-ils sur le contribuable lambda ? Peuvent-ils, par ailleurs, profiter à certains d'entre eux ?

Philippe Crevel : Dès lors que l’on ne dispose que d’un petit moteur économique et industriel mais que l’on dépense beaucoup, il faut craindre le sur-régime. C’est le cas de la France, puisque nos dépenses publiques représentent en moyenne 56% du PIB, tandis que les revenus de l’industrie stagnent à 12% environ. 

Ce qui signifie donc que, pour nourrir la dette, il faut trouver beaucoup d’individus susceptibles de contribuer. Hélas, cela retombe généralement sur les mêmes. Ce qui, somme toute, n’est pas très étonnant : les plus vulnérables ne sont tout simplement pas en mesure de participer tandis que les plus fortunés sont en mesure de s'expatrier et donc de se soustraire complètement à l’effort s’ils le souhaitent. Ne reste donc que les classes moyennes, qui trinquent pour tout le monde.

"Nous renforçons, jour après jour, un système pervers qui ne fonctionne pas" - Philippe Crevel

Leur niveau de vie progresse faiblement, quand il ne baisse pas tout simplement et elles sont souvent habitées par la peur du déclassement. Pour bien comprendre leurs angoisses il faut, je crois, mettre en parallèle ce premier phénomène à celui de la très forte hausse des prix du logement. Cela ne peut qu’engendrer un malaise.

Nous faisons aujourd’hui face à un système pervers, qui ne fonctionne pas, dans lequel on taxe de plus en plus les contribuables pour alimenter une machine de redistribution dont la première des conséquences est, hélas, de réduire la taille du système productif. Ce même système engendre des inégalités qu’il cherche ensuite à corriger. Et pourtant, on continue de le renforcer.

Certes, certaines de ces mesures, telles que l’extension du RSA aux jeunes par exemple, pourraient individuellement se justifier. Malheureusement, j’ai peur qu’une fois toutes réalisées, même avec les meilleures intentions du monde, elles contribuent à ce problème général.