"Exonérer d'impôt tous les jeunes de moins de 30 ans, c'est ouvrir une boîte de Pandore"Istock
Peut-on vraiment exonérer d'impôt sur le revenu tous les jeunes de moins de trente ans ? C'est en tout cas ce que propose Marine Le Pen pour 2022. Florence Legros, économiste et directrice générale de l'ICN Business School nous livre son sentiment sur une telle réforme.
Sommaire

Florence Legros est économiste et directrice générale de l'ICN Business School. Elle a également écrit Les Retraites, publié aux éditions Le Cavalier Bleu.

En campagne pour l’Élysée, Marine Le Pen cherche désormais à s’adresser aux jeunes électeurs, informe Le Figaro. C’est pourquoi elle propose désormais une exonération totale d’impôt sur le revenu pour toutes les Françaises et tous les Français de moins de trente ans ; ainsi que d’impôt sur la société pour celles et ceux souhaitant lancer leur entreprise à cet âge-là. Il s’agit, selon elle, de rendre le pays de nouveau attractif.

Une telle mesure vous semble-t-elle pertinente ?

Florence Legros : Marine Le Pen, me semble-t-il, se trompe de combat. Sa proposition soulève une question : renforcer l’attractivité de la France, qu’est-ce que cela signifie au juste ? Son projet ne vise pas pas à attirer des jeunes étrangers vers notre pays, mais bien de garder les Françaises et les Français qui ne sont pas encore trentenaires. Il y a là une petite contradiction.

La proposition de l’ancienne présidente du Rassemblement national consiste donc à dispenser d’impôts des individus qui sont aujourd’hui imposables et qui, il faut bien le dire, ont d’ores et déjà eu l’occasion de faire leurs études. C’est une mesure qui pèsera de facto sur les finances publiques et qui repose sur le postulat que les jeunes travailleuses et travailleurs non qualifiés vont rester. Selon elle, il faut donc s’occuper des autres. S’il est vrai que notre pays n’est pas le plus attractif pour les populations très diplômées, il ne faut pas perdre de vue que l’impôt sur le revenu est loin d’être la seule raison de cet état de fait.

A mon sens, le véritable problème est ailleurs : les dernières études en la matière montrent combien la France manque de travailleuses et de travailleurs qualifiés. Ils représentent environ 20% de la population active. Dès lors, il apparaît évident qu’il est inutile de creuser le déficit public pour garder difficilement les quelques-uns qui le sont alors que leurs revenus sont déjà élevés, que leurs retraites coûteront cher. Il faut plutôt réfléchir à la meilleure façon d’aider les autres à atteindre le même niveau de compétence. Et si l’on parle de fiscalité, puisque c’est le sujet sur lequel Marine Le Pen a décidé de jouer, il me semble qu’il y a beaucoup mieux à faire ! Commençons par mettre en place des allègements fiscaux sur les frais liés à l’enseignement supérieur, de façon à ce que les grandes études deviennent accessibles aux classes moyennes. Ainsi, il y aura beaucoup plus de jeunes Français disponibles pour faire tourner notre économie.

Outre les problèmes de financement et ceux liés aux ressources de l’État, quelles sont, selon vous, les grosses faiblesses de la réforme proposée par Marine Le Pen ?

Florence Legros : Le projet de Marine Le Pen, tel qu’exprimé, présente un certain nombre de failles. D’abord, il ne repose que sur le faible niveau de qualification des Françaises et des Français pour être soutenable, en témoigne le faible chiffrage avancé par les cadres dirigeants du Rassemblement national. Les jeunes concernés sont ceux qui paient l’impôt sur le revenu. Les autres, faute de ressources suffisantes, n’y sont pas nécessairement soumis. 

 Ensuite, il engendrerait mécaniquement des effets de seuils potentiellement très pervers. Les économistes les plus libéraux y verraient probablement une forme de désincitation au travail. Après tout, le modèle que propose la candidate du RN consiste à exonérer d’impôt sur le revenu tout jeune jusqu’à ses 29 ans et 364 jours… mais de le faire soudainement payer plein pot le lendemain. D’aucuns pourraient en déduire qu’il faut travailler autant que faire se peut jusqu’à 30 ans et se constituer un petit bas de laine avant, finalement, de se mettre au chômage passé la trentaine. 

Je crains, en outre, que la solution envisagée par madame Le Pen ne permette pas de mettre un terme au problème qu’elle évoque. L’impôt sur le revenu - et même l’impôt sur les sociétés - ne suffit pas à lui seul à faire partir les talents français. Quitte à opter pour cette logique, il faudrait probablement pousser le bouchon plus loin encore : le problème de l’emploi, c’est avant tout celui du coût du travail. Cela passe par des réductions de prélèvements obligatoires, de cotisations sociales. Il me semble qu’il serait plus pertinent de permettre aux jeunes non-qualifiés de s’intégrer au marché du travail. Cela passe notamment par la création d'emplois adaptés à leurs profils et par des exigences de formation. C’est eux qu’il faut rendre imposable ; puisque cela ne pourrait engendrer que du bénéfique pour notre économie et signifierait qu’ils touchent désormais un salaire.

Le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, a lui aussi défendu la mesure proposée par Marine Le Pen. Il chiffre son coût à deux milliards d’euros par an, environ… ce qui n’est pas particulièrement très élevé.

Ne peut-on pas y voir un argument en faveur de cette proposition ? Ou faut-il craindre l’incompréhension des autres catégories de la population ?

Florence Legros : Il ne faut pas perdre de vue, en effet la boîte de Pandore que peut constituer cette mesure. Elle profiterait de facto aux jeunes qui ne sont d’ores et déjà pas les plus à plaindre — dans le cas contraire, ils ne seraient tout simplement pas imposables, comme précisé auparavant. Or, en proposant de protéger spécialement une catégorie de la population au détriment des autres, il y a forcément matière à engendrer des questionnements. Pourquoi ne pas aider de la sorte les personnes âgées désormais frappées par la dépendance ? Il me semble qu’il s’agit-là d’une réforme de très courte-vue.

En outre, si Jordan Bardella dit vrai quand il chiffre la réforme à deux milliards d’euros par an, il ne fait que renforcer les arguments précédemment évoqués : cela prouve le manque de jeunes qualifiés dans le pays… Et donc la nécessité de travailler à leur élévation sociale et professionnelle.