Triangle des Bermudes : mythes et vérités sur l’endroit le plus énigmatique de la planète
C'est une zone à part sur le globe, qui fascine et effraie : le Triangle des Bermudes. Dans cet espace maritime de plusieurs centaines de milliers de kilomètres carrés, plus d'une centaine de navires et avions se sont volatilisées au fil des années. Aliens, porte céleste, monstres des profondeurs aspirant tout sur leur passage… Le phénomène alimente les théories les plus folles. Mais que se passe-t-il vraiment dans le Triangle le plus maudit de la planète ? Nous avons discuté avec un expert pour éclaircir le mystère.
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Entre Puerto Rico, l’archipel des Bermudes et la Floride, un large « triangle » géographique est, depuis toujours, le fruit de nombreux questionnement. Le « Triangle des Bermudes » traîne en effet la réputation d’être maudit. Au fil des années, des centaines de navires, et même d’avions, qui ont osé le traverser ont tout simplement été rayés de la carte, sans explication.

On estime qu’en moyenne 4 avions et 20 bateaux y disparaissent chaque année.

Le mystère est tel que beaucoup de navigateurs refusent aujourd’hui d’emprunter son chemin. Mais comment expliquer le phénomène ?

Certains avançent qu’il existerait dans cet espace une « porte » menant à d’autres dimensions, d’autres préfèrent y voir une succession d’enlèvements par des aliens, ou encore un phénomène géologique inexpliqué qui « aspirerait » tout sur son passage.

Mais qu’en est-il vraiment ? Nous avons posé nos questions à Joslan F. Keller, historien de l’étrange et auteur de Zones Paranormales (éditions MaxMilo/BTLV, 2021).

Que se passe-t-il dans le Triangle des Bermudes, et depuis combien de temps des phénomènes inexpliqués s’y produisent ?

Joslan F. Keller : Le Triangle des Bermudes est un grand « classique » de l’étrange au même titre que le Yéti, le monstre du Loch Ness et le crash d’ovni de Roswell. Il est difficile de dissocier la légende de la réalité d’autant que la zone de l’Océan Atlantique que l’on a baptisé ainsi n’est pas non plus clairement définie.

Selon les sources, on parle d’une zone qui ferait de 500 000 à 1,5 million de kilomètres carrés. Le plus souvent, l’expression désigne un triangle dont les pointes seraient Miami en Floride, San Juan à Porto Rico et l’archipel des Bermudes.

Cet espace maritime serait le site d’une longue liste de disparitions aussi bien sur l’eau que dans les airs. Historiquement, c’est Edward Van Winkle, dans un article du Miami Herald en date du 17 septembre 1950, qui évoque le premier ces incidents inexpliqués.

Les premières disparitions auraient commencé au début du XIXème siècle, et peut-être même au temps de Christophe Colomb selon certains auteurs. En tout cas, en septembre 1800, l’Insurgente, une frégate française capturée par les Américains et devenue l’USS Insurgent, se perd en mer avec 340 marins à bord.

En novembre 1840, c’est la Rosalie, un navire français que l’on retrouve à la dérive dans la zone du Triangle : les voiles sont déployées, les canots de sauvetage en place, la cargaison intacte mais tout l’équipage a disparu…

Plus tard, en 1918, l’USS Cyclops, un navire charbonnier avec 306 membres d’équipage et passagers, s’évanouit sans laisser la moindre trace. Ce sera longtemps la plus grande disparition de l’histoire de la marine américaine. Peut-être coulé par un sous-marin allemand, peut-être emporté par une tempête, le mystère persiste.

Triangle des Bermudes : le mystère du vol 19

Quelles sont les histoires les plus mystérieuses qui s’y sont produites ?

Joslan F. Keller : En décembre 1925, le navire américain SS Cotopaxi disparait alors qu’il fait route vers Cuba. Lorsque son épave est finalement retrouvée en janvier 2020, des rumeurs se répandent sur Internet, affirmant que le navire est mystérieusement réapparu, vide et intact. Les suspicions complotistes sont alimentées par l’absence de canots de sauvetage.

En décembre 1938, le bateau L’Anglo Australien se volatilise avec 38 marins. Son dernier message : « Temps idéal. Tout va bien ».

En octobre 1961, un bombardier géant B-52 doté de huit réacteurs s’enfonce dans un nuage lors d’un exercice de vol en formation espacée : on ne le reverra plus.

Des dizaines d’avions, de type Beech, Piper ou Cessna, ont disparu après 1950.

Tout récemment, en janvier 2021, un bateau de neuf mètres avec 20 personnes à bord au départ des Bahamas, n’est jamais arrivé à Lake Worth, sa destination en Floride.

Mais c’est la disparition du Vol 19 en 1945 qui a contribué à populariser le Triangle des Bermudes, bien avant que l’expression elle-même ne surgisse, en février 1964, dans le magazine Argosy sous la plume d’un certain Vincent Gaddis.

Relatée en 1952 par George X. Sand dans son article « Sea Mystery at Our Back Door » dans le magazine Fate, l’histoire du Vol 19 est à l’origine de la plupart des légendes du secteur. L’escadrille de cinq avions torpilleurs de l’US Navy s’envole le 5 décembre 1945 de la base de Fort Lauderdale en Floride. Les 14 pilotes et membres d’équipage disparaissent tous avec leurs appareils, mais aussi, ce qui est peut-être plus stupéfiant, les 13 personnes à bord de l’hydravion qui était parti à leur recherche !

En 1977, le réalisateur Steven Spielberg suggère même dans son film Rencontres du Troisième Type que l’escadrille 19 aurait été enlevée par des extraterrestres.

Plus sérieusement, on estime que le compas du pilote-instructeur, le lieutenant Charles Taylor, serait tombé en panne, entraînant tous les avions, privés d’outils de navigation, vers le grand large. Les appareils seraient tombés à l’eau les uns après les autres et l’ignorance du site exact rend quasi impossible l’espoir de retrouver les épaves.

Existe-t-il aujourd’hui des recommandations officielles concernant cet endroit ?

Joslan F. Keller : À ma connaissance, il n'existe pas de recommandation particulière sur cette zone. Les garde-côtes américains ne reconnaissent pas l’existence d'un périmètre de danger à cet endroit-là.

Du côté du département américain de la sécurité intérieure, aucun facteur extraordinaire n’a été identifié. Et selon une étude de l’organisation World Wide Fund for Nature en 2013, le Triangle des Bermudes ne fait pas partie des zones les plus dangereuses à naviguer dans le monde.

Un signe qui ne trompe pas : les compagnies d'assurance n'y accordent pas d'attention particulière. En 1975, le célèbre cabinet d'assurances Lloyd's de Londres a précisé que le « triangle des Bermudes » n'était pas plus dangereux que d'autres routes maritimes internationales.

En 2006, plusieurs compagnies d'assurances avaient également indiqué qu'elles ne jugeaient pas utile de majorer leurs primes pour les navires ou avions amenés à traverser cette zone de l'océan Atlantique.

L’endroit est-il donc vraiment dangereux, ou s’agit-il d’un mythe ?

Joslan F. Keller : Certes, les accidents et disparitions ont été nombreux dans la zone du Triangle des Bermudes. En 1974, Howard Rosenberg, journaliste au Los Angeles Times publia un article dans lequel il recensait la disparition de plus de 190 navires et 80 avions dans la zone au cours du siècle précédent.

Pour autant, en comparaison avec des zones voisines ou similaires, il ressort que ces statistiques ne sont pas si élevées au regard de la superficie retenue (plusieurs millions de km2), de la densité du trafic maritime dans le secteur et des conditions météo souvent mouvementées dans cette partie du globe.

Triangle des Bermudes : la théorie la plus crédible

Quelles sont les diverses théories qui ont émergé pour expliquer ce phénomène ?

Joslan F. Keller : En l’absence d’explication scientifique immédiate pour éclaircir ces disparitions, qui n’ont laissé souvent pas le moindre indice, plusieurs livres à succès, comme Le Triangle des Bermudes de Charles Berlitz en 1974, se sont tournés vers des hypothèses alternatives, pour ne pas dire farfelues.

Il a été question de l’intervention d’extraterrestres ou d’entités surgies du fond de l’océan (peut-être de l’Atlantide ?), mais aussi de phénomènes relevant du paranormal comme des champs électro-magnétiques inconnus ou un vortex de distorsion spatio-temporelle qui aurait projeté les appareils disparus ailleurs dans l’espace ou le temps ! On baigne en pleine science-fiction spéculative !

Lesquelles seraient les plus crédibles ?

Joslan F. Keller : C’est vite oublier que d’autres pistes, plus plausibles sur le plan scientifique, peuvent être envisagées. Si l’on n’a jamais détecté d’anomalies magnétiques, l’hypothèse d’émissions sous-marines d’hydrate de méthane, lancée vers 2009, n’est pas à écarter. Ce gaz est présent sous formes de bulles dans l’eau et peut réduire fortement la densité de l’eau, au point de déclencher une perte de flottabilité pour les bateaux.

Même effet, une fois dans l’air, avec une perte de portance des avions. Il semblerait qu’une très forte concentration d’hydrate de méthane peut causer l’arrêt des moteurs thermiques ou des réacteurs. Un bémol : aucune observation scientifique dans le triangle des Bermudes n’est venue étayer cette théorie.

Deux phénomènes peuvent également expliquer, au moins partiellement, les disparitions. Le secteur serait propice aux grains blancs, ces gros coups de vent, sans précipitations ni même parfois de nuages, très brusques et d’une violence inouïe dont les rafales peuvent dépasser les 300 km/heure.

Des océanographes ont aussi évoqué l’hypothèse de vagues scélérates, ces vagues imprévisibles et de très grande taille (une dizaine d’étages voire plus), capables de briser la structure des navires. Longtemps légendaires, les vagues scélérates sont désormais reconnues et étudiées par la science. Mais elles n’expliquent pas la disparition des avions.

Enfin, toujours dans la zone, on a détecté un plateau rocheux sous-marin cerné d’affleurements de récits coralliens. Il est possible que ces récifs aient pu éventrer certains bateaux imprudents dans des zones jugées pourtant sûres.

Quelle est votre conviction personnelle ?

Joslan F. Keller : De tous les dossiers mystérieux que je connaisse, je dois avouer que celui du Triangle des Bermudes n’est pas le plus intrigant.

Une large partie des disparitions peuvent s’expliquer par des causes tout à fait rationnelles, de la météo aux soucis techniques, d’autant qu’on ne peut pas non plus exclure non plus, dans quelques cas, des canulars ou des récits enjolivés.

Personne n’est jamais venu témoigner d’un événement paranormal à propos du Triangle des Bermudes. Le mythe repose surtout sur une interprétation faussée des statistiques.

Reste malgré tout, et c’est là que réside le mystère, à connaître les circonstances précises de toutes ces disparitions.