Retraites : faut-il encore les réformer ?IllustrationIstock
INTERVIEW. Suspendue en raison de la crise sanitaire, le projet de refonte du système des retraites pourrait être, selon Emmanuel Macron, relancé "pour partie". D'après Bruno Le Maire, "le problème reste entier". Doit-on alors s'attendre à une nouvelle fronde sociale ? Philippe Crevel, directeur du Cercle de l'Epargne, détaille ce que pourrait envisager le gouvernement pour éviter les écueils.
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"L’esprit du programme" pour lequel Emmanuel Macron estime avoir été élu en 2017 devrait se poursuivre. D’après son entourage, il entend ainsi remettre "pour partie" la réforme des retraites sur "l'établi", a-t-on indiqué à franceinfo, le vendredi 5 juin 2020.

Car avec la crise sanitaire et l’arrêt quasi complet de l’activité économique, le déficit des caisses de retraite s’est creusé. Il devrait d’ailleurs atteindre un niveau record en 2020 : -29,4 milliards d'euros en fin d'année, toutes catégories confondues.

Si certains pensaient que le projet pourrait être abandonné, "le problème des retraites reste sur la table", a déclaré Bruno au micro de franceinfo ce lundi 15 juin. "Est-ce qu'il faut encore réformer les retraites ? Oui. Est-ce qu'il faut un système plus juste ? Oui !", a ajouté le ministre de l'Economie."Le problème reste entier. Ce sera au Premier ministre et au président de la République de le trancher."

Comme l’a précisé le député LREM Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général du projet de loi, reste à présent à savoir comment et quand ? Quelles seront également les réactions ? Les syndicats ont d’ores et déjà fait connaître leur position face à cette réforme controversée : "L'avenir de cette réforme, c'est le placard, c'est là qu'elle sera le mieux", juge François Hommeril, président de la CFE-CGC.

Quelles sont alors les meilleures décisions à prendre ? Les retraites doivent-elles vraiment être réformées ? L’économiste Philippe Crevel nous répond.

Planet. Une réforme des retraites est-elle encore envisageable dans le contexte actuel ?

Philippe Crevel. Le système de retraites Français est en souffrance depuis des années. Ce point a d’ailleurs été souligné durant la campagne présidentielle de 2017. Le système est complexe du fait de la multiplicité des régimes, et des inégalités de traitement. Il est difficile à gérer et les Français ont du mal à comprendre son fonctionnement. Tout cela à justifier le lancement d’un projet de réforme, visant à créer un régime universel.

A cela s’est greffé le problème de l’équilibre financier de la retraite, qui a grandement pollué le débat et entrainé un télescopage. Une véritable sortie de route avec les manifestations que l’on a connues.

A ce jour, l’un et l’autre problème demeurent, voire se sont accentués avec la crise sanitaire. Notamment en ce qui concerne le déficit. Au problème structurel c’est ainsi ajouté un problème conjoncturel.

Résultat, le système est toujours peu transparent et toujours pas à l’équilibre. La question de la réforme se posera sans nul doute si ce n’est aujourd’hui, demain. Le gouvernement devra par ailleurs se concentrer sur les mesures non antagoniques.

Planet. Quelles sont selon-vous les mesures qui devraient être abandonnées ou gardées ?

Philippe Crevel. La question de l’équilibre financier aujourd’hui ne se pose pas dans la même équation. Les régimes de retraite sont très déficitaires en raison de la forte diminution des recettes.

La priorité pour Emmanuel Macron va être de s’occuper de la réforme structurelle. Il doit essayer d’avancer dans la convergence des régimes de retraites et se focaliser sur les points qui étaient non conflictuels avant la pandémie de Covid-19. Je pense par exemple à la réversion, mais aussi à un certain nombre de mesures en faveur des petites retraites (mise en place d’un minimum de 1000 euros). En somme, les mesures sociales qui pourraient satisfaire une partie des Français.

Le régime unique, lui, ne sera probablement pas imposé à l’ensemble des caisses en 2024. Cela pourrait se faire plus progressivement. On pourrait dès lors imaginer que les salariés entreraient les premiers dans le régime universel. Les autres professions, dépendant des régimes spéciaux, suivraient, petit à petit.

Une stratégie par étapes permettrait alors de dédramatiser le changement des systèmes de retraite.

Planet. Selon vous, la question de l’âge légal de départ à la retraite sera-t-elle à nouveau au cœur du débat ?

Philippe Crevel. Inévitablement, un jour ou l’autre, la problématique de l’âge légal, fixé aujourd’hui à 62 ans, reviendra sur le devant de la scène. S’il est le plus faible d’Europe, il est aussi l’un des plus faibles au monde. En revanche, Emmanuel Macron ne plantera pas ce drapeau ou plutôt ce chiffon rouge devant les yeux des partenaires sociaux.

Ainsi, dans un premier temps, ce sujet devrait être mis de côté. Il pourrait en revanche refaire surface après la présidentielle ou à un autre moment.

Planet. Relancer ce projet de réforme controversé après la crise sanitaire n’est-il pas risqué ? Cela ne pourrait-il pas contribuer à attiser une nouvelle fronde sociale ?

Philippe Crevel. Tout dépend de ce que le gouvernement retiendra : s’il se concentre sur les points les moins conflictuels (réversion, pension minimale…) et ne s’attaque pas de front aux régimes spéciaux, dès le mois de septembre, il devrait pouvoir éviter la colère sociale.

Dans un second temps, il pourrait arpenter les chemins de la convergence, en prenant le soin d’obtenir l’accord des partenaires sociaux.

En somme, on pourrait se diriger vers une réforme à la carte, temporisée, et étalée dans le temps, tout en évitant les écueils et autres points de blocages.