Compteur Linky : des usagers en règle reçoivent des pénalités selon l'UFC-Que Choisir
L'hiver dernier, nous vous rapportions qu'Enedis allait renforcer ses contrôles en 2025 face à l'augmentation des fraudes touchant les compteurs Linky, qui sont désormais obligatoires, sauf quand leur installation est techniquement impossible. Et le gestionnaire du réseau public d’électricité ne faisait pas là un effet d'annonce : des agents se déplacent bien dans toute la France avec la ferme intention de dénicher les tricheurs. Mais il y a un hic.
Des usagers contrôlés et accusés à tort ?
Car, relate l'UFC-Que Choisir, les plaintes d'usagers se multiplient. Tout commence par la réception d'un courrier qui a pour en-tête la phrase "Contrôle du dispositif de comptage." Le message est à la fois sous-entendu et clair : vous auriez trafiqué votre compteur Linky pour réduire votre facture. Ce que confirme ce qui est écrit ensuite, comme sur le courrier reçu le 15 avril dernier par Sylvain V., 64 ans, de Condé-sur-Vire (Manche) :
"Le compteur de votre installation présente une succession d’événements, dont la baisse anormale de l’énergie comptabilisée, caractéristique d’une situation de fraude au comptage nécessitant un contrôle de votre situation." Une accusation franche et directe, sans autre précision. Un mois et demi plus tard, le technicien d'Enedis passe chez Sylvain faire sa visite. La suite est ubuesque. Surtout quand on sait que Linky peut dérailler...
Quand Enedis réagit 4 ans plus tard
Sylvain V. affirme à l'association de consommateurs : "La seule fois où j’ai touché à mon compteur, c’est en appuyant sur les boutons alors que je cherchais à connaître la puissance délivrée à mon domicile. J’ignorais même qu’on pouvait le trafiquer." Lui est reprochée est une coupure de l'alimentation électrique de son domicile survenue le 28 mai 2021 (bonjour les délais !) et "une consommation anormalement basse depuis cette date", qu'Enedis interprète comme "une manipulation du compteur".
Les explications troubles d'Enedis
Sylvain V. raconte l'intervention : "Le technicien me parle de la période 2021-2023. Mais c’est normal. La maison, qui appartenait à ma mère décédée en 2020, était alors inhabitée. Je ne m’y suis installé que fin 2023." Le premier note tout cela dans son rapport et indique même que les scellés, placés en 2019, n'ont pas bougé du compteur. "Il me dit de ne pas m’inquiéter, je pensais le dossier clos" poursuit le malheureux sexagénaire.
Mais c'est loin d'être le cas. Malgré les explications de Sylvain V., un second courrier arrive deux mois plus tard, à l'en-tête plus inquiétant : "Indemnisation du préjudice à la suite du constat d’une fraude au comptage." Il n'a apparemment pas convaincu la hiérarchie du technicien. Bertrand Boutteau, directeur programme "Pertes et fraude" d’Enedis explique à l'UFC-Que Choisir : "Nos enquêtes ne reposent pas uniquement sur le contrôle sur place. Nous avons accès à d’autres éléments qui peuvent nous amener à poursuivre la procédure, même si notre agent passé au domicile s’est montré rassurant." Des explications très, très limites.
Une intransigeance abusive de la part d'Enedis ?
Dans le second courrier reçu par Sylvain V., Enedis affirme pouvoir "caractériser la soustraction frauduleuse d’électricité." Il y est même évoqué une "manipulation du compteur le 17 octobre 2023" dont il n'avait pas été question lors du contrôle. Notre homme se défend : "À cette époque, j’ai fait installer chez moi une pompe à chaleur. Mais je n’ai pas touché moi-même au compteur. Et puis mes consommations ont plutôt augmenté par la suite !"
Il apprend qu'il a 30 jours pour contester les faits en apportant "tout élément utile". Sauf qu'Enedis lui demande de remplir rapidement un bordereau rectificatif de sa consommation. "Sur la période octobre 2023-juin 2025, je dois ainsi régler 6 614 kWh, soit un peu plus de 1 000 euros, plus les frais d’intervention du technicien, d’environ 500 euros" déplore Sylvain V, qui ne s'exécutera pas. Or, Bertrand Boutteau, admet auprès de l'UFC "de possibles erreurs" : "Nous nous efforçons à les éviter au maximum et beaucoup de procédures s’arrêtent après le contrôle sur place de notre agent."
Ne signez pas le bordereau rectificatif conseille l'UFC-Que Choisir !
Si vous vous retrouvez dans pareille situation, ne signez pas le bordereau rectificatif, conseille Jacky Hébert, président de l’UFC-Que Choisir Manche. Selon lui, il est anormal qu'il soit envoyé si tôt en cours de procédure alors que le fraudeur supposé a toujours le délai de 30 jours pour contester. "Signer ce bordereau et le renvoyer comme le demande Enedis pourrait être interprété comme une reconnaissance de la faute."
Le médiateur de l'énergie donne le même conseil à tout client s'estimant lésé mais prévient : "Il est préférable qu'il ne signe pas le document et qu’il apporte des éléments pour étayer sa contestation. Cependant, cela n’empêchera pas le gestionnaire de réseau de procéder au redressement pour fraude."
D'autres cas litigieux mais aussi de nombreuses fraudes
Le même médiateur de l'énergie, qui a fustigé Enedis dans deux rapports établis pour l'année 2024, notamment à propos de sa façon de traiter les clients, indique à propos de ces litiges concernant les fraudes au compteur Linky qu'ils ont nettement augmenté cette année. "De moins de 100 en 2024, nous sommes déjà à près de 200 en 2025." Mais il admet : "dans la quasi-totalité de ces dossiers, la fraude est avérée."
La chasse aux tricheurs est donc justifiée. Mais d'autres cas posent problème : "Coup sur coup, début juillet, j’ai reçu ainsi trois cas d’accusations invraisemblables de fraude au compteur. La fraude est peut-être massive, mais cela n’autorise pas à accuser n’importe qui, n’importe comment" dénonce Jacky Hébert.
Exemple avec ce couple de l'Eure qui a saisi l'association. Ayant remarqué un baisse de sa consommation suite à une supposée manipulation du compteur le 3 mai dernier, Enedis lui réclame 1 359 euros de rattrapage. "La date correspond au raccordement au réseau de nos panneaux solaires tout juste installés. Mais ce sont des agents Enedis qui sont intervenus sur notre compteur ce jour-là, sans le replomber ensuite, puisqu’ils nous disaient ne pas avoir le matériel nécessaire " proteste l'épouse. Enedis leur enverra une lettre d'excuses... avant de recevoir une relance de paiement des 1 359 euros 5 mois plus tard. Et le couple est toujours en pourparlers avec le gestionnaire...