Eurasienne au visage "exotique", 1m67… La femme idéale s'appelle Shy et pose de nombreux problèmes. Entre stéréotypes et fétichisme raciale, elle contribue à véhiculer des clichés oppressants voire dangereux.
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Discrète et disponible sexuellement : qui est vraiment Shy, la "femme parfaite" ?

Elle a 25 ans, elle est "réservée" - elle s’appelle Shy, après tout - et, surtout, elle n’est pas féministe. Cette jeune femme est le rêve des 50 000 utilisateurs qui ont répondu au sondage lancé en juin dernier par le site pornopgraphique xHamster. Présentée par la plateforme comme la femme idéale, elle est d’origine eurasienne, indique le journal local L’Union. Si tous les utilisateurs n’étaient pas d’accord sur l’ethnicité idéale, les deux plus populaires étaient blanche (38%) et asiatique (12%).

La jeune femme arbore aussi une "bouche pulpeuse", des taches de rousseurs et de longs cheveux noirs. Son visage serait "exotique", poursuit le titre de presse, mais sa morphologie "normale". Elle mesure 1m67 et présente un bonnet D. Par ailleurs, elle est intégralement épilée. Après tout, "même les féministes s’épilent", assure le site pornographique...

Autre point important : elle est bisexuelle. "Près de 25% de nos utilisateurs s’identifient comme bisexuels", explique la plateforme à l’origine de ce fantasme qui a largement de quoi inquiéter. Elle incarne à la fois le sexisme dont souffrent les femmes et deux des fétichisme les plus courants, souligne Slate : racial et bisexuel. "Elle est bisexuelle pour être disponible pour des plans à trois mais pas avec deux hommes. Seulement pour le plaisir de l’homme hétérosexuiel en faisant l’amour avec une autre femme", estime en effet la cofondatrice du compte instagram Paye ta Bi, contactée par nos confrères. "Elle peut coucher avec des femmes, mais il faut qu’un homme puisse intervenir", résume-t-elle.

"L’idée d’une femme bisexuelle est d’en faire un jouet pour les hommes hétérosexuels. Dans ce fantasme, la femme existerait non seulement pour le plaisir de l’homme, mais elle serait également ouverte et disposée à lui permettre de participer à des trios ou à des orgies avec lui et d’autres femmes", détaille de son côté Kryss Sahne, travailleuse sociale LGBT+ et experte de ces questions dans les colonnes de Cosmopolitan.

La "femme idéale" s’appelle Shy : le grave problème que pose le fétichisme racial

"L’image de la femme Eurasienne hypersexualisée et soumise est particulièrement dérangeante car elle s’inspire de vieux fantasmes orientaux", dénonce pour sa part l’historienne Beth Lew-Williams, pour Cosmopolitan. "En Occident, les femmes orientales ont longtemps été perçues comme féminine, serviles et prêtes à être consommées", ajoute l’universitaire, pointant du doigt la dimension objectifiante de ce type de représentation.

"Penser que la personne ‘mixrace’ est plus attractive que les personnes non mélangées racialement est une idée très ancrée dans la société. On pense que la personne mélangée est plus belle et qu’en plus elle va mettre fin au racisme dans le monde", indique Grace Ly, autrice et créatrice du blog La petite banane, dans les colonnes de Slate. Elle est aussi à l’origine du podcast Kiffe ta Race, animé avec Rokhaya Diallo, souligne le pure-player. 

Cependant, à ses yeux, la mixité en question suinte d’une certaine forme de racisme. "On ne parle que du mélange avec une personne blanche et pas de personnes noire et asiatique, par exemple. On touche du doigt le colorisme, le racisme  par la teinte de la couleur de peau", précise-t-elle, non sans estimer que le choix de Shy vise à "mettre en avant une forme d’exotisme et en même temps d’être rassuré par les traits d’une personne blanche".

Aux Etats-Unis, le fétichisme racial fait d’ailleurs de nombreuses victimes comme le rappelle le H uffington Post. Les costumes de "pocahottie", qui représentent des natives américaines habillées de tenues très sexualisée contribuent à mettre les femmes de la communauté amérindienne en danger. Outre l’appropriation culturelle qu’ils impliquent, ces déguisements véhiculent des stéréotypes violents, particulièrement inquiétants quand l’on sait que plusieurs des femmes concernées ont disparu ou ont été tuées…

La "femme parfaite" n’est pas féministe : pourquoi est-ce que cela effraie les hommes ?

Si la plateforme pornographique à l’origine de Shy n’a pas laissé ses utilisateurs décider de son activité professionnelle, elle leur a tout de même demandé si elle devait être féministe rappelle Slate. 60% d’entre eux ont décidé qu’elle ne devrait pas l’être pour demeurer attirante.

Dans son article pour Cosmopolitan, la journaliste Carina Hsieh dresse le parallèle avec le mythe de Pygmalion et Galatée. Ce sculpteur grec, dégoûté par les femmes de sa cité, décide de créer sa représentation de la femme parfaite. Il s’agit d’une statue, dont il tombe éperdument amoureux. Il demande donc à Aphrodite de lui accorder la vie, ce que fait la déesse. L’histoire d’un homme "qui hait les femmes et qui ne peut tomber amoureux que d’une femme si irréaliste qu’il doit quémander de l’aide à Aphrodite", selon la journaliste.

"En fait ‘féministe’ reste un gros mot", explique pour sa part Olympe de G., réalisatrice de pornographie féministe, dans les colonnes de Slate. Or, selon elle, "on aurait tout intérêt à ce que la femme idéale le soit", car cette dernière "connaît son corps" et "n’est pas là uniquement pour le plaisir masculin".

"Le féminisme, c’est être l’égal de l’homme. Dire ‘elle ne doit pas être féministe’, c’est dire qu’être l’égale de l’homme, ça ne fait pas bander les mecs", ajoute pour sa part Grace Ly, illustrant de facto la dimension très sexiste - s’il fallait encore la prouver - de cette représentation de la "femme parfaite"...