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Don d'organesIllustration
Les seniors aussi peuvent s'ils le décident faire don de leur foie ou de leurs poumons pour sauver la vie de patients en attente de greffe, et ce jusqu'à un âge avancé contrairement à ce que l'on pourrait penser. A ce sujet, nous avons interrogé le docteur Didier Dorez, responsable de la coordination d'organes et de tissus à Annecy.

L'idée de cet article est venue du vœu du père d'un membre de la rédaction. Il a demandé à ses deux fils de ne pas autoriser le prélèvement ses organes lorsqu'il décèdera. Du haut de ses 68 ans, il n'était pas au courant qu'il était désormais aussi possible de s'inscrire auregistre national de refus de dons d'organes. Car la loi concernant ce sujet délicat part du principe que tous les Français sont donneurs, par "consentement présumé". Mais Ce n'est pas tout. Guy, puisqu'il s'agit de lui, a déclaré à ses enfants :"Je veux être enterré et non incinéré. Même si je ne suis pas croyant, je ne veux pas qu'on me 'charcute' avant les funérailles." Ses enfants ont eu une réaction légitime : comment Guy peut-il imaginer que l'on prélève son foie ou ses poumons alors qu'il a un passé d'alcoolique sévère et fume au moins deux paquets de cigarettes par jour depuis son adolescence ?

Vieillesse et don d'organes : deux problématiques incompatibles ?

Nous nous sommes donc posé la question : la vieillesse - combinée à des pathologies chroniques dans ce cas - est-elle incompatible avec le don d'organes ? Puis avons interrogé de même différents interlocuteurs. La réponse était souvent la même : non, à partir d'un certain âge, on ne peut plus être donneur. Nous Avons alors décidé de nos tourner vers un spécialiste reconnu. Eh bien c'est faux : mourir à un âge avancé n'empêche pas certains prélèvements qui peuvent rendre bien des services et même sauver des vies. Le docteur Didier Dorez, responsable de la Coordination des Dons d'Organes et de Tissus (CDOT).à l'hôpital d'Annecy, éclaire nos lanternes.

Planet.fr : Tous les organes sont-ils prélevables chez un senior ?

Docteur Dorez : Il n'y a pas de limite d'âge en réalité pour être donneur d'organes ou de tissus. Car on parle des organes mais il y a aussi les tissus comme la cornée, l'épiderme, les vaisseaux internes qui sauvent aussi des vies. La greffe d'une cornée venant d'un senior peut changer celle d'un jeune qui a eu un traumatisme à ce niveau et lui rendre la vue. L'épiderme aussi, pour un grand brûlé, qui a souvent besoin de plusieurs donneurs. Il y a plein d'exemple comme ceux-ci.

Planet.fr : L'âge n'a pas d'importance pour donner ses organes ou tissus donc ?

Docteur Dorez : C'est l'aspect physiologique qui est important, plus que l'âge à proprement parler. Il y a quand même a des organes qui vieillissent un peu plus vite que d'autres comme le cœur. Au-délà de 60 ans c'est un peu plus compliqué de le prélever. Mais chez certains donneurs qui n'ont jamais fumé, qui n'ont pas d'antécédent et qui ont eu une activité physique jusqu'à 65-70 ans, c'est possible. Dans ce cas les "greffeurs" vont procéder à plus d'examens complémentaires comme des coronarographies, des échographies répétées... Mais c'est faisable.

Les reins peuvent être prélevés jusqu'à 80 ans, le foie 100 ans

Planet.fr : On peut même greffer le coeur d'un senior sur un receveur "jeune" ?

Docteur Dorez : Non, pour les personnes âgées, la règle c'est de respecter un écart de 5 à 10 ans maximum entre donneur et receveur. C'est valable pour tous les organes. Si on greffe un coeur de jeune à un sujet de 55 ans, il y a de fortes chances qu'il ait des complications avec des hémorragies intra-cérébrales. Pour les poumons la limite est de 70-75 ans. Même si le donneur était fumeur.  On va bien sûr évaluer son degré de tabagisme durant son vivant et il y aura un scanner pour évaluer l'état des organes, une fibroscopie bronchique...

Planet.fr :  Les seniors sont-ils nombreux à être donneurs et dans quel cadre leurs orgabes sont-ils prélevés ?

Docteur Dorez : Il y a un vieillissement de la poulation des donneurs comme de celle des receveurs. La proportion des donneurs de plus de 60 ans en France progresse tous les ans, on doit être autour de 20-25 % au total aujourd'hui (c'est l'âge où surviennent les AVC qui entraînent la mort cérébrale). Il faut aussi savoir que les donneurs sont le plus souvent hospitalisés en réanimation. Le décès peut survenir en quelques heures ou quelques jours. Pour les poumons justement, auparavant, les transplanteurs pulmonaires n'aimaient pas avoir des donneurs avec un dizaine de jours de réanimation. Mais maintenant avec l'évolution des technologies dans ce genre de service, il n'y a plus de durée définie. C'est vraiment l'évaluation de chaque dossier pour tel organe qui va décider si ce dernier peut être greffé au receveur.

Planet.fr : Et les reins, dont beaucoup de gens attendent une transplantation ?

Docteur Dorez : Ce sont les organes dont on a le plus besoin vu le nombre de Français qui souffrent d'insuffisance rénale. On peut aller jusqu'à 80 ans ! Mais là aussi avec une évaluation, une imagerie, un bilan sanguin et urinaire. C'est un organe fragile notamment à cause de ses artères internes, on prend plus de précautions.

Planet.fr : Des donneurs de plus de 80 ans, ça existe ?

Docteur Dorez : Le record, c'est pour le foie. S'il n'y a pas eu d'intoxication alcoolique ou prise régulière de médicament psychotropes c'est un organe qui fonctionne très bien jusqu'à 90-95 ans. Une équipe italienne a réalisé l'année dernière un greffon hépatique issu d'un centenaire. Il n'y a pas vraiment d'âge limite.

Planet.fr  : Les seniors qui refusent d'être donneurs, c'est fréquent ?

Docteur Dorez : Cela reste marginal. Plus les âges sont avancés, plus il y a eu une réflexion sur sur ce qu'il se passe après la mort. Entre 50 et 85 ans, aujourd'hui les gens réfléchissent beaucoup plus. On se projette plus facilement.. Le registre national des refus offre même la possibilité de choisir quel organe ou tissu on veut donner ou non.

Planet.fr  : Les refus le sont pour des motifs religieux ?

Docteur Dorez : Non pas vraiment, dès lors qu'il s'agit de catholiques, protestants, juifs ou musulmans. Seules les religions bouddhistes, hindouistes ou taoïstes refusent les dons car le prélèvement d'organe empêche la réincarnation.  Mais il peut y avoir des cultures traditionnelles pour les premières qui posent problème. Il y a aussi la question philosophique de l'intégrité du corps, de son "morcellement" qui peut être un tabou.  Il nous faut alors faire comprendre aux proches que ls organes fonctionnent encore, leur expliquer qu'il existe un principe de solidarité entre les morts et les vivants. En tant que coordinateurs, nous faisons en sorte que jusqu'à ce que le corps soit restitué, tout se soit passé dans les règles dès le passage au bloc opératoire.