"Loi spéciale" sur le budget : 7 choses à savoir sur une situation inédite
Une loi "spéciale" visant à assurer la continuité budgétaire de l'Etat sera soumise au vote du parlement. L'usage de ce dispositif dans les circonstances actuelle, après la chute du gouvernement, constitue une première. Explications.

Le nerf de la guerre… Ou du moins, la colonne vertébrale de l’Etat. Sans budget, c’est son fonctionnement même, ses fonctions régaliennes (défense, justice, police, fiscalité, etc.), ses chantiers, ses projets qui seraient suspendus. La crise politique que nous traversons place la France dans une situation quasi inédite, mais en partie prévue par les institutions afin d’éviter justement l’absence de budget.  

Un cadre strict

En France, le vote du budget est soumis à un cadre strict. L’examen de la loi de Finances par le parlement suit en principe un calendrier précis. Il est en outre soumis à des délais. Ainsi, le dépôt du projet de loi de programmation des finances publiques (ou PLF, son nom officiel), doit avoir lieu le “premier mardi d’octobre de l’année qui précède celle de l'exécution du budget” (Loi organique, article 39). En 2024, en raison de la crise politique survenue suite à la dissolution de l'Assemblée nationale et de la longue période pendant laquelle il n’y avait pas de gouvernement de plein exercice, ce délai a été dépassé. En effet, le projet de budget pour 2025 a été soumis au Parlement le jeudi 10 octobre, soit 8 jours après la date prévue par la loi organique. 

Ensuite, les législateurs disposent de 70 jours au maximum pour statuer. Dans notre cas, cela correspondrait au 21 décembre. Seulement entre-temps, et pour la seconde fois sous la Ve République, le gouvernement est tombé. Il avait lié son sort à l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025 en utilisant l’article 49-3 de la Constitution. 

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Pas de budget 2025 au 31 décembre

Compte tenu des délais nécessaires pour examiner le budget, et de l’absence d’une majorité absolue au Parlement qui serait encline à adopter dans l’urgence, sans amendement ou presque, un projet de loi de Finances présenté par un gouvernement, nous nous retrouvons donc dans une situation où les délais prévus ne seront pas respectés. En d’autres termes, au 31 décembre 2024, le PLF pour 2025 n’aura pas été voté. 

Pour autant, cela ne signifie pas que la France se retrouvera dans une situation de “shutdown”, qui correspond à une suspension des activités en raison d’une incapacité de financement, comme cela peut-être le cas aux Etats-Unis. 

En effet, en France, les autorités disposent d’un outil de dernier recours : la fameuse “Loi Spéciale”. Cette option est prévue par la Constitution (article 47) qui dispose : 

“Si la loi de finances fixant les ressources et les charges d'un exercice n'a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de cet exercice, l e Gouvernement demande d'urgence au Parlement l'autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés.” Les détails sont quant à eux inscrits dans la Loi organique relative aux lois de finances.   

Voici sept faits et informations que vous ignorez peut-être à propos de cette “loi spéciale”. 

Date limite

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Date limite

Les ministres de l’Economie et des Comptes publics ont présenté leur projet de “Loi spéciale” ce mercredi à l’Assemblée nationale. Il doit être examiné le 16 décembre par les députés, et le 18 par le Sénat. Ce sera la dernière limite, car l’exécutif a jusqu’au 19 décembre pour faire adopter son projet de “loi spéciale” l’autorisant à percevoir les impôts existants, selon les barèmes de l’année qui vient de s’écouler, jusqu’à ce que la loi de Finances pour 2025 ait été votée. 

Ce que contient le projet de "loi spéciale"

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Ce que contient le projet de "loi spéciale"

Présenté ce mercredi 11 décembre, le texte de ce projet de loi ne contient que trois articles, au texte très succinct reproduit notamment sur le site de BFMTV: 

“Article 1 : Autorisation de percevoir les impôts existants, sans possibilité d’intégrer de nouvelles mesures fiscales

Article 2 : Autorisation pour l’agence France Trésor d’émettre de la dette pour le financement des services publics. (sans montant fixé)

Article 3 : Autorisation pour quatre organismes de sécurité sociale de recourir à l’emprunt (sans montant) “

Les limites

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Les limites

Cette loi se révèle donc très limitée puisqu’aucune mesure fiscale nouvelle ne peut être introduite, comme l’a précisé le Conseil d’Etat dans un avis du 10 décembre. Elle ne résout en rien la crise politique. Les agriculteurs, par exemple, qui attendaient beaucoup du projet de loi de Finances désormais caduc (revalorisation de pension, allègements de charges) se retrouvent dans l’expectative.

Le problème du barème

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Le problème du barème

Parmi les points problématiques abordés par le Conseil d’Etat figure la question du barème de l’impôt sur le revenu. Le budget 2025 devait tenir compte de l’inflation pour modifier celui-ci. Cela signifie que, si les mesures du budget 2024 sont reconduites grâce à la “loi spéciale”, le barème restera figé. De nombreuses personnes - quelque 18 millions, avait notamment avancé Michel Barnier - seraient donc mécaniquement concernés par une tranche supplémentaire. 

Le Conseil d’Etat, dans son avis, “estime  (...) que l’indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu, laquelle n’est au demeurant pas systématiquement opérée et a déjà fait l’objet de modulations par le passé (...) ne sont pas au nombre des dispositions ayant leur place en loi spéciale.”

Attention, cela ne signifie pas nécessairement que vous paierez plus d’impôts l’an prochain. En effet, une loi de Budget pour 2025 prévoyant un nouveau barème pourra être votée après le 1er janvier.

L'hypothèse du rejet

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L'hypothèse du rejet

Les députés et les sénateurs doivent se prononcer sur cette loi. L’hypothèse d’un rejet ne serait donc pas à exclure totalement. “« L’hypothèse qui agite des gens comme moi, c’est celle où des oppositions jusqu’au-boutistes refuseraient ce projet de loi spéciale. Et c’est là que l’on rentre dans l’inconnu. Il ne reste plus aucune possibilité claire, ni dans la Constitution, ni dans la LOLF, pour continuer à prélever les impôts et à dépenser quoi que ce soit au 1er janvier”, a expliqué à Alexandre Guigue, professeur de droit public à l’université Savoie-Mont Blanc interrogé par Public Senat. 

Pour des raisons politiques, bloquer une loi visant à assurer la continuité de l’Etat et la rémunération de ses agents représenterait un pari risqué. Cependant, si cela advenait, la France se retrouverait dans une situation sans précédent et non prévue par les textes.

Un précédent ?

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Un précédent ?

Jamais la France n’a connu une telle situation. Une seule exception s’en rapproche. A la veille de Noël 1979, le Raymond Barre, alors Premier ministre sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, est mis en minorité au sein de son parti. Une confusion politique aboutit, à la demande du président de l’Assemblée nationale d’alors, Jacques Chaban-Delmas, et de députés socialistes à la saisine du Conseil constitutionnel. Résultat: cette dernière juge le projet de budget inconstitutionnel et la France se retrouve sans loi de Finances pour 1980. Une loi spéciale a été votée le 30 décembre, qui prolongeait les dispositions de l'année 1979, comme le rappellent les juristes Jean-Pierre Camby et Jean-Eric Schoettl pour le site actu-juridique.fr. 

Une alternative ?

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Une alternative ?

L’autre solution, pour pouvoir continuer à débloquer des crédits, aurait été de gouverner par ordonnances, comme le prévoit l’article 50 de la loi organique. Cela signifie que c’est l’exécutif qui aurait promulgué des textes permettant de prolonger les crédits de l’année précédente. Seulement le gouvernement a été censuré et le Premier ministre a remis officiellement sa démission. En principe, il doit donc se limiter aux “affaires courantes”. Même en cas de nomination d’une nouvelle équipe gouvernementale, une réglementation par ordonnance courrait le risque d’être déclarée contraire à la constitution.

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