Incarcéré, il arnaquait de vieilles dames depuis sa cellule pendant 28 ans
Vingt-huit années en détention et une récidive moins d’1h après sa liberté conditionnelle. Tout commence en 1997. Achref S., Marseillais d’origine tunisienne tout juste majeur, est incarcéré pour la première fois. Il n’en sortira pratiquement plus comme le rapporte Le Parisien. À 47 ans, il cumule 28 années de détention et 57 condamnations, pour vols, escroqueries, évasions et usurpations d'identité.
En 2011, alors incarcéré à Fresnes, Achref S. met en œuvre une stratégie méthodique : à l’aide d’un complice, il obtient une liste de toutes les femmes prénommées Andrée vivant dans le 9ᵉ arrondissement de Lyon, un prénom ancien, choisi précisément pour cibler des personnes âgées. Se faisant passer pour un policier, il les contacte une à une pour leur soutirer de l’argent, prétextant des enquêtes fictives dans lesquelles elles seraient impliquées.
Jusqu’à 500 appels passés par jour
Il fait de cette technique sa spécialité, ciblant des femmes âgées, repérées dans les annuaires téléphoniques par leurs prénoms anciens comme Paulette, Andrée ou encore Édith, et leur adresse dans des quartiers cossus. Toutes tombent dans le piège de cet homme à la voix calme et au discours bien rodé.
Au total, 52 potentielles victimes sont identifiées. Parmi elles, Andrée B., une septuagénaire malvoyante, escroquée de 45 000 euros, ou encore une femme de 88 ans, convaincue à tort qu’elle devait de l’argent au fisc, et délestée de 23 000 euros.
Malgré les transferts fréquents et même l’isolement, Achref S. conserve toujours un téléphone portable. En 2021, il est condamné à 8 ans de prison pour avoir détourné 1,5 million d’euros depuis sa cellule à Châteaudun, après des faits identiques à Meaux-Chauconin en Seine-et-Marne, Osny dans le Val-d’Oise, Nanterre dans les Hauts-de-Seine et même Fresnes dans le Val-de-Marne. Les gains sont blanchis via des sites de paris en ligne ou convertis en or via la Belgique, parfois avec l’aide de complices à l’extérieur.
Une double vie derrière les barreaux
Depuis sa cellule, il va jusqu’à organiser des voyages pour ses proches, envoie des fleurs à sa nouvelle compagne et s’occupe des courses pour la rentrée scolaire de ses quatre enfants, tous conçus au parloir. Il paie loyers, factures, et étudie à ses heures perdues : BEP en comptabilité, CAP boulangerie et cuisine, capacité en droit, et aujourd’hui une licence par correspondance à l’université de Rouen.
Ses anciens avocats le décrivent comme “incroyablement astucieux”, “doté d’un QI très élevé”, et surtout, totalement suradapté au monde carcéral.
Un petit délinquant devenu escroc
Aîné d’une fratrie de trois, Achref S. grandit dans un quartier pauvre de Marseille, sous l’autorité d’un père maçon exigeant, convaincu que seule l’excellence scolaire offrirait un avenir à ses enfants. Mais le destin du jeune homme bifurque rapidement. À 17 ans, il prend la tangente. Diplômé d’un BEP en chimie des eaux (seul diplôme obtenu avant la prison) il monte à Paris où il flambe.
Ses premières condamnations tombent pour des “vols à la détourne”, un mode opératoire rapide et habile consistant à subtiliser des cartes bancaires pendant un retrait, sous un faux prétexte. À peine majeur, il est incarcéré. Et il ne sortira plus vraiment. À 19 ans, la prison devient son monde.
En 2010, Achref S. est condamné à une lourde peine pour une escroquerie de près de 9 millions d’euros aux dépens de la Française des Jeux (FDJ). Grâce à des cartes bleues volées, il achète en masse des tickets gagnants. La manœuvre est si complexe qu’un expert en cybersécurité est sollicité lors du procès pour expliquer son stratagème.
Derrière les barreaux, Achref S. redouble de ruse. Il déjoue les systèmes de brouillage, pirate les connexions Wi-Fi de voisins, et abuse les enquêteurs. Nombre de ses victimes, invitées à appeler le 17 pour vérifier ses dires, retombaient… sur lui. Il exploitait une faille technique simple : tant qu’il ne raccrochait pas, la ligne ne se libérait pas.
Il ira jusqu’à usurper l’identité de magistrats pour demander des transferts de prison ou des réductions de peine. Plus audacieux encore : il se fait passer pour l’un de ses propres avocats dans le cadre d’une arnaque. “C’est la seule fois où j’ai dû porter plainte contre un client”, se souvient, mi-amusé, Me Philippe van der Meulen.
L’élève modèle... mais irrécupérable ?
Transféré à la prison ultra-sécurisée de Condé-sur-Sarthe en mai 2021 - la soixantième de son parcours carcéral - Achref S. cesse enfin de faire parler de lui. Ou presque. Il sauve la vie d’un surveillant lors d’une altercation, obtenant une remise de peine exceptionnelle, bien que certains soupçonnent une mise en scène.
Derrière les grilles, il conserve l’image d’un détenu poli, discipliné, respectueux. Ce profil exemplaire lui vaut, au printemps 2025, une autorisation de sortie en vue d’une libération conditionnelle.
En mai dernier, il obtient enfin une permission de sortie. Quarante-cinq minutes plus tard, il est de nouveau interpellé, en possession d’une carte bancaire volée. Lors de son audience en juin, il tente d’expliquer : “Je n’ai pas su me contrôler… À chaque fois que j’approche de la sortie, je gâche tout. Je fais des escroqueries pour ne pas sortir.”
Pour ses avocats successifs, ce n’est pas un aveu absurde. Il serait l’un de ces profils dits “suradaptés”, façonnés par l’univers carcéral, mais incapables d’y renoncer. “En prison, il a un statut, mais dehors il n’est rien. Par peur de décevoir, il se saborde”, estime l’un de ses ex-avocats. Achref S. est désormais libérable en 2049. Il aura alors 71 ans.