Affaire Estelle Mouzin : pourquoi son père veut faire condamner l'État

Éric Mouzin a combattu 17 ans pour que le ravisseur de sa fille Estelle, 9 ans, disparue le 9 janvier 2003 à Guermantes en Seine-et-Marne (77) en rentrant de l'école, soit identifié et mis en examen en 2020. C'était bien Michel Fourniret, un des pires tueurs en série de notre histoire récente (au moins 11 meurtres de petites filles et adolescentes, tous avoués), qui avait kidnappé la fillette dans sa camionnette avec l'aide de sa femme et complice, Monique Olivier. "C'était bien" car dès le mois de juin 2003, six mois après l'enlèvement, celui que l'on a surnommé "l'ogre des Ardennes" apparaissait déjà dans le dossier d'enquête. Malheureusement, il ne pourra jamais être jugé pour ce cas précis, étant décédé à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière à Paris, le 10 mai 2021, à l'âge de 79 ans. Souffrant de problèmes cardiaques et respiratoires, il était emprisonné depuis 2008, condamné à la perpétuité incompressible, peine la plus lourde du Code pénal.
Éric Mouzin souhaite faire condamner l'État pour "faute lourde"
"Tout a été mal fait dans cette enquête" confiait-il à France Info. Le père d'Estelle Mouzin était mercredi après-midi au tribunal judiciaire de Paris, accompagné de ses avocats, maîtres Didier Seban et Marine Allali. Il avait entamé une procédure dès 2018, rappelle Le Parisien. Le quotidien a pu lire les conclusions de ses conseils. Y est dénoncé le fait que "le fonctionnement défectueux de la Justice [...] constitue une 'faute grave'". Le document évoque même "un déni de justice." Cnews, qui a assisté à l'audience, relate une partie de la plaidoirie de Didier Seban face au juge : "La piste Michel Fourniret, pourtant évidente, n'a pas été suivie comme elle aurait dû être suivie et nous l'avions demandé à de multiples reprises." Il argumente ensuite à propos d'investigations insuffisantes sur la téléphonie et les sur les différents ADN féminins retrouvés dans la sinistre camionnette du couple, qui n'auraient pas été "exploités".
Dix juges d'instructions différents en 17 ans
Comment dans ce cas mener tambour battant une telle affaire, autant médiatisée, avec un turn-over aussi fréquent, alors qu'un magistrat "met des mois, voire plus d’une année, pour prendre connaissance de l’importante procédure" s'interrogeaient bien avant l'audience les avocats d'Éric Mouzin ? Pour eux, cela "constitue une faute lourde traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi, l’inaction du juge d’instruction qui, pendant quatre ans et sept mois, n’avait pas accompli les actes nécessaires au bon déroulement de l’information." C'est finalement la dixième juge, Sabine Khéris, qui fera admettre à Michel Fourniret qu'il avait "joué un rôle" dans la disparition d'Estelle. Cnews précise que dès lors, 10 campagnes de fouilles infructueuses auront lieu dans les Ardennes pour retrouver le corps. Monique Olivier (qui avait avoué que Fourniret avait violé et étranglé la fillette sur un matelas où son ADN sera identifié, dans l'ancienne maison de la soeur de "l'ogre") sera donc condamnée seule à la perpétuité accompagnée de 20 ans de peine de sûreté en décembre 2023. Ce pour complicité dans l'enlèvement et le meurtre d'Estelle Mouzin par son ex-mari, et ceux de autres jeunes filles.
Éric Mouzin demande aussi réparation à l'État
En plus de la condamnation pour faute lourde, le père d'Estelle a demandé réparation à hauteur de "150 000 euros au titre des préjudices matériel et financier et 200 000 euros pour le préjudice moral." L'institution judiciaire reconnait toutefois ses erreurs. Nos confrères de la chaîne d'information indiquent que le procureur a admis des "manquements du service public de la justice à l'égard de la partie civile." On apprend ainsi que "pendant neuf ans, le dossier n'était pas coté (système de classement des différentes pièces du dossier qui permet de les répertorier)." Les avocats de monsieur Mouzin ont en effet dû attendre 2012 "pour avoir un accès complet à la procédure." Dans ses conclusions, maître Seban écrivait déjà que le père d'Estelle avait souvent "La mauvaise surprise de découvrir, par voie de presse, des éléments concernant la disparition de sa fille que le juge d’instruction refusait ou n’était pas en mesure de lui communiquer directement" reprend Le Parisien.
L'État se défend bec et ongles malgré l'évidence ?
Ces éléments n'empêchent pas l'institution judiciaire, via le représentant du ministère public, de se défendre. Cité par Cnews : "Il y a une faute lourde mais entre cette faute lourde et le fait que Michel Fourniret n'a pas été mis en examen, il n'y a pas de causalité directe." Pour le procureur de la République : "La source de préjudice la plus importante est la non mise en examen de Michel Fourniret et son épouse entre 2006 et 2019". Mais d'après lui "dans la mesure où il s'agit de décisions juridictionnelles contre lequel le demandeur dispose de voies de recours, il n'y a pas lieu d'engager la responsabilité de l’État." Puis "Il appartient à Monsieur Éric Mouzin d'apporter la preuve d'un dysfonctionnement : absence d'information, déperdition de scellés, absence de prise en compte de Michel Fourniret et Monique Olivier." Avant de demander de revoir à la baisse les prétentions financières de la partie civile. Le verdict aura lieu le 3 septembre.