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La polémique enfle : les députés seraient surmenés, exténués même. Le président de l'Assemblée lui même, pourtant membre de la majorité, a tapé du poing sur la table...
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Députés : des cadences de travail insoutenables ?

Ils seraient éreintés, exténués, morts de fatigue. Les députés peinent à tenir le rythme que l’exécutif leur impose.

En pratique, comme l’indiquent Europe 1 et le Journal du Dimanche, ce n’est pas la première fois que les élus de la République élèvent la voix pour se plaindre de leurs conditions de travail. Toutefois, cette fois-ci est peut-être différente. D’abord, parce que la contestation vient de partout et touche toutes les formations politiques ou presque.

Ensuite, également, parce qu’après deux week-end consécutifs passés à siéger, c’est le palais Bourbon lui-même qui a décidé de mettre un holà. Mardi 5 juin l’Assemblée nationale a en effet annoncé que les députés ne poursuivraient pas les travaux le week-end prochain. La déclaration a été formulée à l’occasion de la conférence des présidents, qui réunit chaque chef de groupe siégeant sur les bancs de l’Assemblée.

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Parmi les plaintes des députés, certaines se sont démarquées tout spécialement. Retour sur ces interventions qui ont marqué et permis la casse d’une dynamique considérée comme trop soutenue.

Les députés se plaignent de leurs conditions de travail : François de Rugy

Le président de l’Assemblée n’a pas hésiter à taper du poing sur la table ces derniers jours. Le 5 juin au micro d’Europe 1 il a porté un regard critique sur les conditions de travail de l’Assemblée nationale. "Nous avons siégé ces dernières semaines 80h par semaine. Nous avons siégé 17 jours consécutifs. On voit bien qu’au bout d’un moment, ce n’est plus possible. Ce n’est pas le fonctionnement normal d’une assemblée", a-t-il asséné.

Il a réitéré le 6 juin au micro de France Info, souhaitant "un ordre du jour plus raisonnable", constatant que la cadence dans l’hémicycle fait l’objet de critique de la part des députés et des assistants parlementaires. "Je partage le souhait de beaucoup de députés d’avoir un ordre du jour plus raisonnable et plus organisé", a-t-il insisté avant de pointer du doigt le gouvernement. "On a pas été assez réaliste, notamment du côté du gouvernement, puisque c’est le gouvernement qui définit prioritairement l’ordre du jour en France, sur l’inscription des textes."

Toutefois, la critique du gouvernement ne va pas plus loin : il n’est évidemment pas responsable, juge François de Rugy, des amendements trop nombreux qui ralentissent mécaniquement les votes à l’Assemblée. "La loi logement qui est en débat, 66 articles, 3 000 amendements. Les 3 000 amendements, ce n’est pas le gouvernement qui en est responsable. (…) C’est une dérive qui est à l’œuvre depuis de nombreuses années en France", a-t-il déclaré au micro de France Info. La faute aux parlementaires donc ? "Il y a un bras de fer entre le gouvernement qui veut inscrire des textes, qui veut les faire passer, c’est normal, c’est son travail, c’est sa mission et avec les groupes d’oppositions qui déposent un très grand nombre d’amendements. C’est une sorte de ‘à qui cédera le premier sur l’ordre du jour’. Ce n’est pas sain", a-t-il analysé.

Pour François de Rugy, il est important de réformer la Constitution pour prévoir un règlement "avec un calendrier législatif prévisionel sur six mois". Il souhaite également "qu’un certain nombre de textes soient examinés qu’en commission, ensuite qu’il y ait le vote global sur l’ensemble du texte en séance plénière".

Les députés se plaignent de leurs conditions de travail : Jean-Luc Reitzer

Ce député Les Républicains (LR) s’est récemment attiré les foudres de l’opinion en se plaignant du statut de parlementaire. Toutefois, à ses yeux, ce ne sont pas tant les conditions de travail qu’il faut pointer du doigt que les multiples contrôles qui pèsent sur les députés.

En effet, aux yeux de cet élu, c’est l’injonction à sans cesse plus de transparence qui poserait vraiment problème. Les multiples mesures en faveur de la transparence de la vie publique prises depuis l’affaire Cahuzac l’agacent considérablement. "Nous ne sommes pas des truands", assène-t-il. "On passe son temps maintenant à collecter les factures, les notes de restaurant et autres. (…) Moi je ne m’en occupe pas, c’est mon épouse qui fait tout mais je sais que quand elle doit le faire, elle passe un mauvais quart d’heure", raconte-t-il estimant que lui et ses confrères sont trop contrôlés.

Autre soucis selon lui : le montant du salaire des députés, trop faible selon lui. Et Jean-Luc Reitzer de pointer du doigt les députés qui continuent d’exercer une activité en plus de leur mandat. "Dans votre travail, est-ce que à un moment vous ne vous êtes pas dit que finalement, si beaucoup de députés travaillent encore à côté c’est peut-être parce qu’ils ne sont pas bien payés", s’enquiert-il, comme le rappelait Planet.

Par ailleurs, une indemnité plus forte aurait l’avantage de limiter les difficultés rencontrées par certains des "petits nouveaux" entrée à l’Assemblée nationale après l’élection d’Emmanuel Macron. Jean-Luc Reitzer pense notamment à la député La République en Marche (LREM) anonyme qui se plaignait de devoir "manger pas mal de pâtes". Enfin, un plus fort salaire permettrait, à ses yeux, de mieux "lutter contre les tentations", comme la "corruption" ou "les mauvais esprits qui peuvent traîner ici où là".

Les députés se plaignent de leurs conditions de travail : les Insoumis

"Tout ça est totalement déraisonnable. (…) Je prends ce temps sur mon temps (de parole, ndlr) pour vous dire à quel point nous sommes excédés, et pour certains d’entre nous, épuisés. Ce n’est pas une vie normale que celle d’un parlementaire qui doit rester nuit et jour ici, sur des textes aussi différents", a déclaré Jean-Luc Mélenchon, parmi les premiers à s’insurger des conditions de travail de l’Assemblée nationale. "Il y a des gens qui ont des limites physiques, je n’ai pas honte de le dire, qui ne peuvent pas tenir des heures et des heures et des jours et des jours", a-t-il poursuivi, applaudi par ses collègues comme le rapporte le Huffington Post.

En vérité, Jean-Luc Mélenchon avait déjà alerté sur les cadences de l’Assemblée en 2017, peu avant les vacances d’été. "Si on ne fait de la politique qu’avec des sur-hommes et des sur-femmes qui sont capables de vivre sans vie de famille, nuit et jour enfermé dans un hémicycle, alors c’est petit destin pour la chose commune dans l’avenir", avait-il estimé à l’époque. Il avait d’ailleurs été raillé.

Pourtant, pour les Insoumis, il n’est pas seulement question de confort pour les députés : il s’agit aussi d’assurer un fonctionnement efficace et pertinent de l’Assemblée nationale. François Ruffin de son côté parle même de "sabotage législatif". Sur son blog, il a reproché à François de Rugy d’avoir "œuvré pour bafouer la démocratie" avec des tactiques de "guérilla parlementaire".

"Dans ce tunnel continuel d'amendements, plus de deux mille au total, difficile de deviner quand vont passer les trucs importants (...) Et après sept jours de cette guerre d'usure, ce mardi, à 1h moins deux minutes, le président de Rugy décide, arbitrairement, de prolonger les débats. Comme si le glyphosate était un point anecdotique, ou justement parce qu'il ne l'est pas", écrit-il notamment. Comme le rappelle le Huffington Post, ce n’est pas la première qu’un tel argumentaire est employé. Il avait notamment été utilisé par les opposants aux gouvernement lors du vote de la loi Asile-Immigration.

Les députés se plaignent de leurs conditions de travail : André Chassaigne

Jean-Luc Mélenchon et les Insoumis ne sont pas les seuls à critiquer l’action parlementaire en cours, à gauche. C’est également le cas du député communiste du Puy-de Dôme, André Chassaigne. Au micro de France Info, il est revenu sur le surmenage des députés.

Selon lui le problème n’est pas lié au nombre de projets de réforme en cours. La faute incombe à un agenda qu’il juge "très mal fait". "Nous allons par exemple passer plusieurs semaines avec un travail relativement allégé et d’un seul coup, nous avons des projets de loi qui s’accumulent, et on peut pas travailler sur le fond", estime-t-il, avant de pointer du doigt tant le gouvernement que François de Rugy qu’il perçoit comme les responsables de la situation. Selon lui, François de Rugy manquerait de volonté et ne marquerait "pas suffisamment son autorité par rapport notamment au ministre chargé des relations avec le Parlement".

Si le président de l’Assemblée a fini par réagir, c’est à ses yeux parce qu’il sentirait que "ça pousse derrière lui et que ça vient de tous les bancs de l’Assemblée".

André Chassaigne partage l’analyse des Insoumis, quand bien même il n’emploie pas les mêmes termes que François Ruffin pour en parler. "Nous n’avons pas encore terminé l’examen du texte sur le logement après avoir discuté celui sur l’agriculture, et nous avons déjà la semaine prochaine celui sur la formation professionnelle : tout ça se fait vite. Des députés ne peuvent même pas défendre leurs amendements, ou alors en quelques secondes. Il y a véritablement un travail législatif qui est bâclé", estime-t-il, voyant dans cette façon de procéder une volonté de "faire la démonstration que le travail de parlementaire est lourd, qu’il y a des débats inutiles, qu’il y a trop d’amendements, que ça ne se passe pas très bien". Une façon, donc, de préparer le terrain pour la prochaine réforme constitutionnelle.