"Helicopter money": faut-il distribuer de l’argent aux citoyens pour stopper la crise ?IllustrationIstock
INTERVIEW. "Des chèques" vont être envoyés aux travailleurs américains pour relancer la consommation. Donald Trump entend en effet recourir à la technique très controversée de l"helicopter money". La crise pourrait-elle amener les autres Etats à en faire de même ? Philippe Waechter, directeur de la recherche économique chez Ostrum Asset Management, nous éclaire.
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L’argent va-t-il "tomber du ciel" ? Aux Etats-Unis, il semblerait que oui. Donald Trump a en effet annoncé, ce mardi 17 mars 2020, son intention d’envoyer des "chèques de 1000 dollars aux travailleurs américains." Objectif, relancer la demande en distribuant directement de l'argent aux citoyens.

Cette pratique d'"helicopter money" a été popularisée par Milton Friedman, prix Nobel d'économie, dans son livre "The Optimum Quantity of Money", publié en 1969. Comme le rappelle BFMTV, il cite l'exemple d'un hélicoptère qui lâche de l'argent au-dessus d'une ville afin de mettre en image l'impact de la politique monétaire sur l'inflation. Ce concept, désormais repris par de nombreux économistes, se nomme à présent "quantitative easing for the people".

Ce choix du président américain suscite par ailleurs de nombreuses questions : y recourir en pleine épidémie, alors que l’économie est au ralenti, est-il vraiment une bonne idée ? La Banque centrale européenne, qui vient de débloquer 750 milliards d’euros, pourrait-elle aussi décider d’appliquer cette technique controversée ? Quels en seraient les effets ? Eléments de réponse avec Philippe Waechter, directeur de la recherche économique chez Ostrum Asset Management.

Planet. Recourir si tôt à une mesure telle que l’"helicopter money", alors que nous sommes encore en pleine crise, n’est-il pas voué à l’échec ?

Philippe WAECHTER. Probablement. On constate en effet, aux Etats-Unis comme ailleurs, que tout au long de cette crise sanitaire, de nombreuses activités sont contraintes et ne fonctionnent pas normalement. Or, si vous augmentez la demande adressée à ces entreprises, elles ne pourront pas y répondre dans la totalité. Ainsi, l’effet escompté d’une relance très rapide via la consommation, et entraînant, entre autres de l’investissement, ne sera probablement pas efficace. Dans un tel contexte, les produits, biens et services à vendre viendraient à manquer.

Comme en Europe, les manufactures et les transports risquent d’être réduits aux Etats-Unis. A New-York et à Seattle, la question du confinement est d’ailleurs posée. De fait, si on donne du pouvoir d’achat aux citoyens dès maintenant, ils vont se ruer sur le commerce en ligne ou dans les seuls magasins qui restent ouverts. Les autres entreprises n’auront pas la capacité de produire comme elles le souhaitent. Nous ne sommes pas dans une crise d’offre, mais de demande.

La technique de l’"helicopter money" peut être toutefois intéressante au sortir de l’épidémie de coronavirus.

Lorsque la crise sera tuée, donner de l’argent aux consommateurs aura pour effet de donner un coup de pouce à l’économie.

Planet. Cette pratique n’est-elle pas par ailleurs inégalitaire ?

Philippe WAECHTER.L’effet d’inégalité est un problème sans l’être. Donner 1000 euros par exemple à M. Pinault ou M. Arnault ne change rien à leur quotidien. En revanche, cela change la vie d’une personne percevant le RSA.

Le point sur lequel il faut être attentif, selon moi, est tout autre : quel est le caractère désincitatif que peut avoir cette mesure ? C’est toujours cette même question qui est posée lorsqu’on subventionne des comportements. Que ce soit avec le revenu universel ou l’"helicopter money", on s’interroge sur les effets.

Si vous êtes sûr d’avoir de l’argent quoi qu’il arrive, quelle est votre incitation à travailler ?

A court terme, cela peut être efficace, pour distribuer du pouvoir d’achat. Mais cette mesure doit-être temporaire. Elle doit uniquement être instaurée afin de caler l’économie sur une allure souhaitable. Par exemple, créer une mesure de ce type en Europe pour que l’inflation (actuellement à 1%) atteigne l’objectif de la Banque centrale, qui est de 2%. Une fois ce taux atteint, le mécanisme doit être interrompu.

Planet. L’argent distribué ne risque-t-il pas d’être épargné plutôt que consommé ?

Philippe WAECHTER. Le risque est présent. Cet effet a d’ailleurs été évoqué en Italie lorsque le revenu citoyen a été mis en place. Pour contrer les épargnes, l’idée est donc d’émettre des cartes de crédit qui octroient à chaque citoyen un certain montant de disponible. La condition est alors de tout dépenser, sans quoi, l’argent est perdu. Si l’on souhaite jouer le jeu de la consommation, c’est certainement la bonne façon de faire.

Pour que l’économie soit relancée, il faut que tout le monde puisse utiliser cet argent disponible.

Planet. Les Etats Européens pourraient-ils à leur tour opter pour l’"helicopter money" ?

Philippe WAECHTER. Nous n’y sommes pas encore. Un tel recours semble très compliqué en Europe. Il faudrait que la Banque centrale européenne (BCE) l’établisse elle-même, en créant un compte bancaire à chaque citoyen avec un montant associé. L’ensemble des membres de la BCE devraient en amont valider cette idée. Cela pourrait aussi se faire comme aux Etats-Unis, par voie fiscale.

Toutefois, attendre ce type de mesure est illusoire. Il n’y a en effet pour le moment aucune homogénéité sur les discussions budgétaires européenne. Cette situation ne serait d’ailleurs pas optimale aujourd’hui, compte tenu de l’arrêt de l’économie.

Pour autant, cette politique monétaire d’urgence inhabituelle, démontre les limites de celles utilisées à l’accoutumée. On a le sentiment qu’elles ont simplement permis au système économique de se maintenir, mais pas d’accélérer.

Ainsi, aller vers le consommateur peut avoir du sens, même si baisser les impôts revient au même. La différence se trouve en revanche dans le signal que l’on émet : "Je vous ai promis de l’argent, le voici". Si vous recevez une carte bancaire de la BCE, ou même un chèque, avec consigne de dépenser la somme sous un mois, vous aurez tout de suite envie d'aller consommer. Ce qui n’est pas le cas lors d’un crédit ou d’un allégement d’impôt. Il est compliqué de s’en apercevoir immédiatement. Le Sentiment d’avoir tout de suite de l’argent joue beaucoup.

Mais encore une fois, l’économie ne pourra se remettre en état de marche qu’une fois la crise sanitaire passée. Vouloir la relancer à tout prix ne sera pas efficace. La solution devra être trouvée demain. Cela suggère donc que l’on s’inscrive dans le temps.