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Certains font d'elle le signe d'un succès en affaire. D'autres prétendent au contraire qu'il ne s'agit que d'un morceau de plastique qui ne serait plus révélateur de rien. Le fait est que la carte bancaire est devenu un incontournable pour des millions de Françaises et de Français, qui ne payent - presque - plus qu'avec elle. Et qui, jusqu'à peu rappelle le site spécialisé MoneyVoyx, en disait beaucoup sur la santé financière de son porteur. "Les cartes dorées, un privilège de clients aisés ? Le cliché a du plomb dans l'aile", affirme aujourd'hui la plateforme, pour qui l'arrivée des banques en ligne a drastiquement chamboulé ce qui était jadis un état de fait.
Et pour cause ! Nul ne pourra le nier, toutes les cartes bancaires n'offrent pas exactement les mêmes services. Certaines coûtent plus chère que d'autres. La carte "gold", par exemple, offre le droit à certains écarts - facilité de paiement, retraits gratuits, assurance en cas de déplacement à l'étranger… - qui ne seraient pas permis pour d'autres. Encore faut-il pouvoir se l'offrir, cela étant ! Ou du moins… fallait-il. Cette dernière s'est très largement banalisée, note le site d'information spécialisé. Depuis le début des années 2000, certains établissement bancaires délivrent en effet des cartes haut de gamme gratuite, ou à moindre coût et ont fait sauter certaines barrières en proposant des conditions d'accès moins sévères.
Même avec des émoluments inférieurs au salaire médian, il est désormais théoriquement possible de repartir avec l'une d'entre elles en poche, pour quiconque décide de souscrire un compte chez Boursorama ou Fortuneo, par exemple. Il en va de même chez ING qui ne demande même plus de justifier d'un minimum de ressources et se contente d'un simple transit mensuel de 1 200 euros sur le compte.
Que représente la carte gold ?
Est-ce à dire, effectivement, que la carte gold ne représente plus rien aujourd'hui ? Pas exactement, estime Frédéric Farah, professeur de sciences économiques et sociales, chercheur affilié au Laboratoire PHARE de la Sorbonne (Paris I), chargé de cours à Paris Sorbonne Nouvelle, connu notamment pour son positionnement à gauche et les livres qu'il a co-écrits avec Thomas Porcher, comme Introduction inquiète à la Macron-économie. Il a aussi publié Europe, la grande liquidation démocratique.
"Il n'est pas faux de dire, en effet, que l'arrivée massive des banques en ligne a banalisé la carte gold. Pour autant, il importe tout de même de rappeler que la carte haut de gamme est, par essence, le signe d'un capitalisme tape à l'oeil, bling bling, de ce qu'on appelle la consommation ostentatoire au sens de l'économiste Thorstein Veblen. Ce n'en est certe pas l'élément le plus visible, mais ça n'est pas anodin", explique-t-il, non sans rappeler, d'ailleurs, que des millions de contribuables n'ont tout simplement pas accès à une carte bancaire.
Pourquoi avoir pensé une carte haut-de-gamme ?
"Avant toute chose, la carte haut-de-gamme est un signal envoyé au reste du monde. Peu importe qu'il s'agisse d'une carte gold ou d'une carte platine : elle permet surtout de creuser la tranchée avec les autres", poursuit Frédéric Farah, qui rappelle que ces petits rectangles plastifiés parlent tous, sans exception, de leurs propriétaires.
"Une carte visa électron en dit beaucoup sur la situation financière de l'homme ou de la femme qui l'utilise. Il suffit de la voir pour comprendre qu'il ou elle est soumis à un certain nombre d'interdits et d'obligations (paiements, découverts, etc). C'est, de facto, un marqueur social".
Pour l'enseignant-chercheur, il convient de rappeler qu'elle est aussi l'outil de discrimination biens spécifiques, mécaniques même dans une société où le paiement par carte est majoritaire. "Comment faire quand il nous est interdit de posséder une carte bancaire ?", questionne-t-il, amer.
Carte bancaire haut-de-gamme : l'outil discret d'un certain séparatisme social ?
Dès lors, il n'est pas difficile de comprendre que la carte bancaire est un des outils qui pourrait être utilisé pour ostraciser les populations défavorisées. Un pas que l'économiste n'hésite pas à franchir. "La carte bancaire, et particulièrement la carte haut-de-gamme, est l'un des milles petits détails qui font les inégalités d'une société. Bien sûr, elle est pratique ! Particulièrement dans un monde comme le nôtre ou la monnaie est de plus en plus scripturale et passe de moins en moins par les billets de banque", reconnaît-il d'abord.
Et lui d'ajouter, sans ambages : "Mais elle n'en est pas moins l'outil objectif, quoique subtil, d'une société de séparatisme social". Il poursuit. "Pierre Bourdieu avait d'ailleurs théorisé l'utilisation de tous ces petits éléments qui permettent la fabrication d'instruments de distinction réelle. La carte bancaire, y compris haut-de-gamme, n'y suffit pas à seule. Elle s'inscrit dans un tout".