Comment Emmanuel Macron aurait-il pu profiter de la crise de la CoVid ?AFP
Emmanuel Macron peine de plus en plus à convaincre. Ce mercredi 14 octobre, il a décidé d'enfiler une fois de plus son costume de président ferme et annoncé une batterie de nouvelles restrictions. De quoi se reconstruire un capital politique ?
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Un temps, Emmanuel Macron a tenu à rester en retrait de la gestion de la crise sanitaire. Dorénavant, indique Le Figaro, il fait son "retour en première ligne". Le mercredi 14 octobre 2020, il a d'ailleurs décidé de prendre la parole devant l'intégralité des Françaises et des Français, à l'occasion d'une nouvelle allocution, cette fois sous la forme d'une interview retranscrite sur France 2. Et le chef de l'Etat avait à dire : il a annoncé une batterie de nouvelles restrictions sanitaire visant à faire obstacle à la dégradation de la situation épidémiologique. Le couvre-feu, qui sera mis en application à compter du samedi 17 octobre, est l'une d'entre elles.

S'il n'était "pas là pour rajouter de l'angoisse à l'angoisse", comme l'expliquait un ministre anonyme au Figaro, le président de la République a décidé de revêtir un costume plus ferme que celui qu'il avait choisi cet été : cette fois, plus question de dire que le virus touche à sa fin, au contraire. Quitte à annoncer des mauvaises nouvelles et une poursuite de la pandémie jusqu'en 2021… Mais ce sursaut d'honnêteté suffira-t-il à Emmanuel Macron pour reconquérir des Françaises et des Français très sceptique vis à vis de sa gestion de la crise sanitaire ? Pas nécessairement estime le politologue Christophe Bouillaud.

Emmanuel Macron va-t-il profiter politiquement de la CoVid-19 ?

"J'ai peine à croire qu'il puisse, d'une façon ou d'une autre, profiter de sa gestion de la crise sanitaire. L'exécutif n'a visiblement pas anticipé - ou au moins, n'a pas préparé sérieusement - la seconde vague qui frappe aujourd'hui la France. Cela ne peut qu'être défavorable à son image", souligne le chercheur en sciences politique, qui enseigne à l'Institut d'Etudes Politique de Grenoble. Et lui de souligner que les études de popularité comparées menées en Europe sont rarement à l'avantage du président de la République et de son gouvernement… "La gestion de la première vague n'a pas été jugée bonne. C'est un échec cuisant pour lui, d'autant plus qu'il donne le sentiment de glisser sans le dire vers un second reconfinement", tranche encore l'expert. 

Problème ? C'est loin d'être le seul, affirme Christophe Bouillaud. "Emmanuel Macron a aussi échoué sur les plans sociaux - la pauvreté grimpe en France - et économiques, puisque la consommation ne reprend pas. Dès lors, je doute que nos concitoyens soient bienveillants à son égard dans le cadre de sa gestion de la crise", poursuit l'enseignant-chercheur, pour qui "les Françaises et les Françaises commencent à ouvrir les yeux sur la réalité du personnage". "Comment faire autrement, quand sa langue fourche au point de dire qu'il va falloir supprimer les contacts ‘inutiles' et concentrer toute sa vie sociale sur le travail ?", questionne-t-il encore.

"Le manque de résolution à agir d'Emmanuel Macron va lui coûter cher"

D'une façon générale, Christophe Bouillaud s'inquiète du "manque de résolution à agir" dont fait preuve l'exécutif. "Depuis début septembre, les experts alertent sur la dégradation de la situation épidémiologique. Le président n'a réagi qu'à la mi octobre. C'est tard", constate-t-il.

Aux yeux de l'enseignant-chercheur, il aurait cependant été possible de profiter de la crise sanitaire pour reconstruire le capital politique du chef de l'Etat. Mais ce dernier n'a pas choisi le bon chemin.

"Je pense qu'il aurait dû enfiler son costume de fermeté bien plus tôt. Il aurait fallu dire aux Françaises et aux Français de se méfier dès cet été, ne pas les laisser partir en vacances à l'étranger. Il fallait fermer les frontières et les maintenir en état d'alerte vis à vis du virus. Bien sûr, c'était un sacrifice, mais cela aurait permis d'éviter une reprise de l'épidémie", indique encore le chercheur, qui souligne ici la nécessité de mieux se préparer au global. 

"Il aurait fallu s'assurer que la rentrée serait possible, adapter les horaires de sorte à permettre aux personnels scolaires de nettoyer régulièrement les locaux, éventuellement embaucher davantage… Or, tout porte à croire que rien à été fait en ce sens, aujourd'hui", souligne le spécialiste, pour qui ce degré de préparation s'imposait dans chaque secteur, et pas uniquement celui de l'enseignement. Et lui de conclure : "Nous savions que la deuxième vague arriverait. L'absence de préparation va se payer cash, sur le plan politique. Emmanuel Macron va ressortir essoré de cette séquence".

Emmanuel Macron pouvait-il vraiment adapter notre système à la CoVid ?

A décharge, note Christophe Bouillaud, certains des ajustements nécessaires semblent compliqués à mettre en place aujourd'hui. 

"Jusqu'à présent, une seule stratégie sanitaire s'est montrée gagnante, à l'international : il s'agit de la suppression", rappelle-t-il d'entrée de jeu, non sans préciser que seules quelques nations ont été en mesure de l'appliquer. "C'est le cas des pays qui peuvent s'isoler complètement, comme la Chine, la Nouvelle-Zélande ou l'Australie par exemple. En France, cela paraît moins simple, à moins de s'interroger sur une action concertée à échelle européenne", tempère-t-il.

"L'Hexagone étant un pays très ouvert, la stratégie de la suppression suppose des décisions qui, aujourd'hui, relèvent de l'ordre de l'impensable. Il faudrait repenser l'intégralité de notre modèle économique, et cela n'a rien d'évident", détaille le politologue.

Il n'empêche ! Un tel coût est brutal pour Emmanuel Macron, qui perd en crédibilité sur beaucoup de sujets, aux yeux de l'électorat, indique Christophe Bouillaud. "Il reste fort sur un segment de population qui le soutenait déjà avant ; c'est à dire la France qui va plutôt bien et qui, souvent, ne travaille pas. En clair, l'électorat aisé et retraité, qu'il se partage avec Les Républicains. Une chance pour lui, c'est un noyau dur très participatif, électoralement…", termine l'expert.