Avez-vous remarqué que nous avons de moins en moins de tickets de caisse ?IllustrationAFP
INTERVIEW. Patricia Mirallès promeut l'impression des tickets de caisse à la demande pour les petits montants depuis novembre 2018. Où en sommes-nous aujourd'hui ? Pour Planet, la députée française revient sur les enjeux sanitaires et écologiques de la question.
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Ils inondent votre portefeuille, débordent des poubelles et polluent les trottoirs de votre ville… Les tickets de caisse. Patricia Mirallès, députée française, occupe également le siège de Vice-présidente de la Commission de la Défense nationale et des forces armées. Depuis novembre 2018, elle se bat pour une utilisation plus juste et responsable des tickets de caisse. Pour Planet, elle revient sur la nécessité de ne plus faire de l'impression des reçus un acte systématique, mais un service répondant à la seule demande du client. 

"Ayons le bon geste : un petit geste pour une grande cause". C'est le slogan de Patricia Mirallès quand elle porte son projet de loi à l'Assemblée. Son objectif ? Promouvoir l'impression des tickets de caisse à la demande pour les petits montants, en dessous de trente euros. En d'autres mots, cela signifie arrêter d'imprimer systématiquement des reçus pour les plus petits achats, dans une logique de dématérialisation. 

Tickets de caisse : "Leur impression est systématique, pas le choix !"

Planet. Pouvez-vous rappeler le rôle que vous avez joué dans la proposition de loi visant à "promouvoir l'impression des tickets de caisse à la demande" ? 

Patricia Mirallès. Peut-être que ce qui m'a motivé c'est que ma génération a eu beaucoup d'abondance avec l'émergence de toutes les technologies, téléphones, imprimantes, ordinateurs… Au fur et à mesure, nous avons appris aussi à faire plus attention, à ne plus imprimer en permanence les emails, tous les dossiers papiers que nous pouvons alors mettre sur une clef USB. La question qui m'a traversée c'est aussi celle de l'évolution de la technologie en lien avec nos modes de consommation, ainsi que les habitudes que nous voulons laisser à nos enfants.

Selon les modalités que j'ai proposées pour les tickets de caisse, il s'agissait de réduire par paliers, sur trois ans, leur impression systématique, c'est-à-dire demander si le client souhaite obtenir ou non les tickets en question. Ceux qui souhaitent avoir leurs tickets pour faire leur comptabilité ultérieurement, pourront toujours les avoir. En revanche, ceux qui mettaient systématiquement les tickets à la poubelle à peine le pas de la porte de sortie du magasin franchi, pourront refuser l'impression de ceux-ci.

Cela représente des économies de papier considérables. Peu de personnes savent que les machines de cartes bleues et les caisses ne prévoient pas aujourd'hui de ne pas imprimer les tickets, leur impression est systématique, pas le choix !

Tickets de caisse : des inconvénients sanitaires et écologiques

Planet. Quels sont les inconvénients sanitaires et écologiques de l'impression systématique des tickets de caisse ? 

Patricia Mirallès. Les enjeux les plus importants à traiter sont ceux de l'économie de papier, de la lutte contre le gaspillage, et de la réduction de l'exposition aux substances dangereuses présentes dans ces tickets.

On parle souvent de l'écologie comme quelque chose de déconnecté du quotidien des gens. Ici on est en plein dans l'écologie du quotidien ! En 2018, au moment de rédiger ma proposition de loi, je me suis rendue aux caisses d'une grande surface de ma circonscription. Toutes les heures, je prenais en photo l'évolution des sacs poubelles transparents à la sortie des caisses. Vous n'avez pas idée des kilos de papiers jetés moins de 10 secondes après leurs impressions. Chaque heure, la pile de tickets non utilisés gonflait, les grands sacs poubelles transparents devant être vidés plusieurs fois par jour. C'est un gâchis énorme qui cause un dégât environnemental désastreux.

Un autre aspect qui a motivé mon projet de loi, c'est la protection de la santé. La majorité des tickets de caisses et de cartes bleues contiennent des bisphénols F et S, qui ont certes remplacé le bisphénol A mais qui portent les mêmes risques pour la santé. 

Ces substances sont des perturbateurs endocriniens qui comportent des risques pour la fertilité et la malformation des testicules des fœtus, comme le démontrent deux études, dont une française. Alors certains me disent que l'impact sur la santé est négligeable considérant qu'on ne manipule pas beaucoup ces tickets. Mais qui pense alors aux caissières, serveurs, commerçants, restaurateurs qui eux en manipulent toute la journée et qui sont en contact permanent avec ces substances, pendant des années ? C'est une évidence de réduire au maximum l'exposition systématique de ces professions à ces substances dangereuses. De plus, on retrouve aujourd'hui des traces de bisphénol dans les océans notamment. Cela met à mal la faune et la flore marine.

Je vois un dernier inconvénient majeur, c'est celui de la salubrité et de la pollution urbaine. Si vous faites bien attention, aux abords des centres commerciaux ou des magasins, dans les rues, il est fréquent de trouver des tickets froissés par terre, sur les trottoirs et à côté des poubelles.

Autant de tickets qui, s'ils ne sont plus imprimés sur demande du client qui n'en a pas l'utilité, ne se retrouveront plus par terre dans nos rues. En attendant, tous ces tickets de caisse que l'on voit sur nos trottoirs et nos bouches d'égouts aujourd'hui, ils finissent dans la mer.

Tickets de caisse : une mesure qui pourrait entrer en vigueur dès 2021

Planet. Aujourd'hui, où en sommes-nous de la législation autour des tickets de caisse ? 

Patricia Mirallès. Le processus législatif, parfois long malheureusement, ayant suivi son cours après le dépôt de ma proposition de loi à l'Assemblée, le gouvernement a décidé de retenir ce que je proposais pour l'intégrer à la loi relative à la lutte contre le gaspillage et l'économie circulaire. Cette loi a été votée à l'Assemblée le 19 décembre 2019, puis promulguée le 10 février 2020. Les dispositions que je portais relatives aux tickets de caisses et de cartes bleues se situent à l'article 49 de cette loi.

Désormais, nous sommes dans l'attente de la publication d'un décret qui viendra fixer l'entrée en vigueur de ces dispositions ainsi que les modalités d'application par paliers. Afin d'avoir une approche progressive, j'ai proposé au gouvernement que la non-impression systématique des tickets de moins de dix euros entre en vigueur en 2021, en 2022 pour ceux de moins de vingt euros et 2023 pour ceux de moins de trente euros.

Tickets de caisse : comment tenir ses comptes sans reçu papier ? 

Planet. Aujourd'hui, quelques grandes marques se sont lancées dans les tickets de caisse électroniques. Pensez-vous que c'est la bonne solution ? Quelles sont les autres options qui s'offrent aux enseignes ?

Patricia Mirallès. Je crois que progressivement tous les commerces vont se mettre aux technologies de dématérialisation des tickets de caisses et de cartes bleues. Si les grandes marques et enseignes peuvent se permettre de développer leurs propres solutions en interne assez rapidement, je m'en réjouis. Je sais aussi que pour les plus petits commerçants, cela prendra plus de temps et c'est normal.

Il existe deux axes de progrès technologiques à ce sujet. Premièrement, les entreprises qui fabriquent et vendent les machines à cartes bleues et caisses pourront désormais appliquer la loi. Également, je rencontre et échange régulièrement avec des start-ups et entrepreneurs qui développent des projets innovants de dématérialisation numérique de ces tickets.  

Par exemple, à l'aide d'un QR code sur votre smartphone, que vous scannez en caisse au moment de payer, cela envoie directement les factures et relevés de carte bancaire sur votre adresse email ou sur un compte avec une application smartphone dédiée. Personnellement, je privilégie cette dernière option, celle de l'application dématérialisée, car elle est la moins énergivore et la plus écologique. Je ne souhaite pas remplacer dix tickets de caisse par dix emails.

Tickets de caisse : "Une prise de conscience généralisée", pour les clients comme pour les enseignes

Planet. Trouvez-vous que l'on utilise de moins en moins de tickets de caisse ? Est-ce une volonté des clients ou des enseignes ? 

Patricia Mirallès. Il est évident qu'il existe une prise de conscience généralisée à ce sujet, des clients comme des enseignes. Pour ces dernières, de plus en plus de caisses automatiques et automates (type stations essence, distributeurs bancaires) proposent déjà au client le choix d'imprimer ou non les tickets. Ces réflexes existent déjà sur certaines technologies, je veux les généraliser à tous les commerces.

Les clients aussi se rendent comptent qu'à l'heure du numérique, à l'heure où ils peuvent consulter quasi en temps réel le détail de leur compte bancaire depuis leur ordinateur ou leur smartphone, la raison d'être des plus petits tickets d'achats du quotidien ne tient plus.

Regardons aussi l'actualité dans laquelle nous vivons. La pandémie que nous traversons depuis des mois, nous impose de nouveaux gestes, de nouvelles habitudes. Encore plus de personnes ne prennent plus les tickets en caisse pour ne pas avoir à les toucher et éviter les transmissions de virus. C'est encore plus de tickets jetés à la poubelle par les employés eux-mêmes. Et pourtant, ce geste que nous avions peut-être du mal à faire, pour les personnes les plus réticentes, nous l'avons finalement intégré.