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Dans l'affaire Grégory, les épisodes se succèdent sans se ressembler depuis près de 40 ans, et tout semble possible, sauf, peut-être, la manifestation de la vérité.
On compte sur les doigts d'une main les personnes qui ont été mises en examen pour le meurtre du petit garçon, retrouvé sans vie dans la Vologne un soir d'octobre 1984. Mais il faut ensuite replier exactement le même nombre de phalanges : toutes ont finalement été écartées, pour diverses raisons.
Le premier à bénéficier du doute, aux balbutiements de l'affaire, c'est Bernard Laroche, qui fait figure de principal suspect durant les premières semaines de l'enquête. Mais il est remis en liberté le 4 février 1985.
Christine Villemin, le lynchage de la mère
Sa mise en examen n'est pas encore annulée, mais le juge Lambert n'est plus convaincu de sa culpabilité, surtout depuis le revirement de sa belle-soeur, Murielle Bolle, qui a accusé les gendarmes de lui avoir soutiré de fausses déclarations lors d'une garde à vue houleuse. Jean-Michel Lambert veut creuser une autre piste : celle de la mère infanticide.
Après le fiasco Murielle Bolle, les gendarmes de Lépanges ont été dessaisis de l'enquête, et c'est le SRPJ de Dijon qui reprend le dossier à bout de bras. Eux en sont convaincus : c'est Christine Villemin qui se cache derrière le meurtre du petit. Pourquoi, sinon, une mère aurait-elle laissé son enfant jouer dehors, alors même que la famille était menacée, depuis près de deux ans, par un vil corbeau ?
De nouvelles expertises vont bientôt venir les conforter dans leur thèse.
Le "petit juge" a en effet mandaté pas moins de six experts en écriture afin d'analyser la fameuse lettre de revendication du crime, reçue par les parents Villemin le lendemain du meurtre. L'avocat de Murielle Bolle, Me Jean-Paul Teissonnière, rappelle leurs conclusions, à l'époque.
Les six experts nommés par Lambert vont tous conclure de la même manière en disant : premier point, ça ne peut pas être Bernard Laroche puisqu'à cette époque là, on l'avait mis en examen. Deuxième point, c'est indiscutablement l'écriture de Christine Villemin. - Me Jean-Paul Teissonnière
L'enfer du couple Villemin
Le jour où les expertises sont rendues publiques, Christine et Jean-Marie sont en voiture lorsqu'un flash radio leur apprend les résultats. "Elle est enceinte de jumeaux. Et là, elle se met à perdre du sang tellement elle est choquée par ce qu'elle entend à la radio, nous raconte Patricia Tourancheau, autrice de Grégory - La machination familiale (ed. Seuil). Jean-Marie Villemin, donc, l'emmène à la clinique, où elle perd l'un des deux bébés. Il est au comble du désespoir, il enrage et ne sait plus à quel saint se vouer".
Le jour-même, le père de famille se serait rendu sur la tombe de son fils, jurant de venger sa mort.
De leur côté, les avocats du couple demandent une contre-expertise. Les nouveaux experts aboutissent au même constat : il est hautement probable que Christine Villemin soit le scripteur de la lettre de revendication du crime.
Il se murmure aussi que l'autopsie du petit-garçon n'a pas été réalisée jusqu'au bout, et donc, que certaines traces, notamment de coups ou d'étranglement, n'ont pas pu être mises en évidence.
"Cette polémique sur l'autopsie a été lancée un peu plus tard, notamment pour accréditer la thèse qui accusait Christine Villemin d'être l'auteure du meurtre de son fils", note Étienne Sesmat, capitaine de la gendarmerie d'Épinal, qui a dirigé l'enquête jusqu'en février 1985.
Grégory, noyé dans sa baignoire ?
"Il y avait eu des thèses en l'air comme quoi Grégory se serait noyé dans sa baignoire, c'est complètement ubuesque ! Alors que l'autopsie avait été faite, et il n'y avait aucune trace de coups, de violences, il a été démontré qu'il était mort par conjonction d'hydrocution de noyade et d'étouffement : lorsqu'il était à l'eau, il était conscient mais il avait certainement été étouffé, rendu inconscient juste avant d'une façon ou d'une autre… L'autopsie était claire là-dessus, elle a révélé des choses qu'on voulait, il n'y a eu aucun problème de ce côté-là", nous assure l'ancien gendarme.
Christine Villemin, condamnée par sa beauté ?
Mais pour celui qui reprend alors l'enquête en février 1985, le commissaire Jacques Corrazzi, quelque chose cloche dans le comportement de la mère : elle est "trop belle" pour une femme endeuillée. C'est du moins ce qu'a confié l'ancien policier aux caméras de Netflix, en 2019, dans le documentaire Grégory, diffusé sur la plateforme :
Elle a une tenue, bon. Elle est en noir, d'accord. Mais elle a une tenue plaisante, disons. Elle a un pull extrêmement collant. Dans d'autres circonstances, on est presque là à lui faire la cour. Je me dis, 'Tiens, elle est presque agréable à regarder.' Pour un homme, elle est pas mal, quoi. Moi, j'aurais vu quelqu'un d'éploré, pas coiffé, habillé de manière négligée, et ce n'est pas le cas. - Jacques Corrazzi
35 ans plus tard, la séquence, d'un sexisme assumé, n'a pas manqué de provoquer un tollé. Christine et Jean-Marie Villemin ont notamment été extrêmement bouleversés et outrés de ces propos, eux qui pensaient avoir déjà tous subi dans cette affaire. "Ils ont été choqués de ces propos tenus tant d'années plus tard", avait témoigné à l'époque auprès du Parisien l'avocate du couple Marie-Christine Chastant-Morand. "Comme si la justice dépendait d'une façon de s'habiller… Monsieur Corazzi s'arrête à son enquête, qui a pourtant été remise en cause depuis", avait-elle ajouté. Le couple était malgré tout satisfait de voir l'indignation du public à la suite des propos de l'ancien policier. "Je leur transmets les témoignages de soutien que je reçois et ils sont satisfaits et soulagés de voir que des gens honnêtes et raisonnables ont des réactions saines", avait confié au quotidien un autre conseil du couple, Me Thierry Moser. Il estimait en effet que le documentaire "remet les pendules à l'heure sur le rôle odieux que M. Corazzi a tenu dans cette affaire".
"La femme de Jean-Marie Villemin n'a pas vraiment été victime de rumeurs mais surtout de jalousie : elle était sexy, bien habillée, élégante…", commente Patricia Tourancheau pour Planet.
Dans la famille, on la surnomme "la pimbêche", et on ne la trouve pas assez maternelle avec son fils. "Elle l'embrassait très peu, contrairement aux autres mamans. Elle profitait de chaque occasion pour donner Grégory à Jean-Marie. […] Elle s'en débarrassait.", racontera même Monique Villemin aux enquêteurs.
Sublime, forcément sublime
Quoi qu'il en soit, le magistrat Lambert ordonne, le 5 juillet 1985, la mise en examen de Christine Villemin, 24 ans. La jeune femme, enceinte, passe 11 jours en détention provisoire avant de bénéficier d'une libération conditionnelle, dans l'attente de son jugement.
Il n'en faut pas plus, à l'époque, pour faire de Christine Villemin la femme la plus soupçonnée de France. Même Marguerite Duras verse dans le lynchage en publiant, le 17 juillet 1985, une tribune qui fait grand bruit dans Libération, qu'elle conclut par ces mots, restés dans les mémoires : "Sublime, forcément sublime". L'écrivaine, en quelque sorte, accuse la mère tout en justifiant son "crime" par l'oppression patriarcale et le piège de la maternité.
"C'est complètement fou, cette tempête médiatique, tout le monde s'en est mêlé ! On a traîné cette mère dans la boue, jusqu'à Marguerite Duras, on a entendu et vu des choses énormes et incroyables… ", regrette Étienne Sesmat.
"La police voulait prendre le contre-pied de tout ce qu'on avait fait, pour démonter notre travail et démontrer qu'on avait tout faux, et que la mère était coupable. Et puis, quand Bernard Laroche a été assassiné, il n'était plus là, donc il fallait absolument que ce soit elle ! Ils ont tout fait pour qu'elle avoue", ajoute l'ancien gendarme.
Pour cet homme, qui les a côtoyé de près, les Villemin ont vécu l'enfer.
Ils ont perdu leur fils unique dans des circonstances abominables, Jean-Marie est devenu un assassin, il est parti en prison, et Christine Vilmemin a été soupçonnée de l'assassinat de son propre enfant, et inculpée. C'est insupportable. - Étienne Sesmat
En décembre 1986, alors que son mari est en prison, dans l'attente de son procès pour l'assassinat de Bernard Laroche, Christine Villemin est renvoyée devant une cour d'assises pour le meurtre de Grégory. La décision est cependant annulée en mars 1987. Mais il faut attendre 1993 pour que la mère de famille soit entièrement blanchie, et que la justice ordonne un non-lieu pour "absence totale de charges".
"Pas une des 36 charges accumulées petit à petit contre elle par la police de manière parfois malhonnête, pas une n'a été retenue par la justice", précise Étienne Sesmat à Planet.
Mais le bourdonnement incessant autour de l'affaire est bien loin d'être terminé.
Grégory, fruit de l'adultère entre Christine et Bernard ?
Le couple Villemin n'est pas le seul à connaître quelques vagues dans la vallée de la Vologne. Sur l'autre branche de l'arbre généalogique, Bernard et Marie-Ange Laroche sont loin de couler des jours heureux. "Ce n'est pas vraiment un mariage d'amour", lâche Patricia Tourancheau au sujet des deux tourtereaux. Pourtant, dans son livre Les Larmes oubliées de la Vologne (ed. l'Archipel), la veuve de Bernard Laroche tient un tout autre discours.
Elle y écrit avoir rencontré son époux grâce à une amie commune. "Par la suite, nous nous sommes revus à plusieurs reprises, mais toujours en présence d'amis. Puis, il y eut notre premier rendez-vous en tête à tête et la délicieuse confirmation que c'était pour toujours", déballe Marie-Ange. A leur mariage, le 8 mai 1976, la jeune femme est âgée de 19 ans, et Bernard vient de fêter son 21ème anniversaire.
"Lui est réputé coureur, et elle aussi a eu, je crois, d'autres aventures", révèle pourtant Patricia Tourancheau, qualifiant Bernard Laroche de "chaud lapin". Lors d'un mariage, ce dernier aurait même fait des avances à Christine Villemin, promise à son cousin. "Il lui faisait du pied sous la table, il lui faisait du gringue et évidemment elle n'avait pas donné suite", nous résume l'autrice.
Grégory, victime d'un sacrifice : la rumeur macabre
Un épisode que Marie-Ange évoque très tôt dans son ouvrage, lorsqu'elle détaille sa seconde audition devant les gendarmes dans le cadre de l'enquête pour le meurtre de Grégory Villemin. Elle y rapporte l'un de ses échanges avec un agent, qui se serait déroulé comme suit :
Gendarme - Est-il vrai que votre mari a fait des avances à Christine Villemin, alors qu'elle était encore fiancée ?
Marie-Ange Bolle - Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Mais où allez-vous chercher tous ces ragots ?
Gendarme - Ce n'est pas un ragot, madame. C'est Christine Villemin elle-même qui nous a rapporté la scène. Votre mari lui aurait fait du pied sous la table au cours d'un repas de famille. Elle l'aurait éconduit et aurait changé de place pour qu'il la laisse en paix. Un homme repoussé par une jeune fille peut lui vouer une rancune à vie et sait-on jusqu'où il peut aller pour se venger. Bien sûr, si l'anecdote est vraie…
Marie-Ange Bolle - Vous avez raison de poser la question. Je connais mon mari, j'ai une totale confiance en lui. Je ne crois pas un mot de tout ça. On ne sait jamais non plus ce qui se passe dans la tête d'une femme.
Sur ces mots, Marie-Ange Bolle rentre chez elle, bien décidée à confronter son mari. Dans un éclat de rire, Bernard Laroche lui aurait soufflé : "Si un jour je te trompe, ce sera avec une femme plus belle que toi. Et, à mes yeux, il n'en existe pas".
Seulement voilà : ces rumeurs ne se limitent pas à supposer que Bernard ait fait les yeux doux à Christine lors d'une fête. Dans les couloirs du SRPJ de Dijon, et bientôt dans la France entière, le murmure fait esclandre : les deux protagonistes auraient eu une aventure, faisant du petit Grégory un bâtard de plus dans la famille Villemin.
"Certains n'hésitèrent pas à salir Christine Villemin et mon mari en murmurant qu'ils avaient été amant et maîtresse et que Grégory était le fruit de cette union adultère, qu'ils étaient complices de sa mort. En le sacrifiant, ils se libéraient du fruit de leur péché", articule alors Marie-Ange Laroche dans son bouquin. D'où pouvait bien venir une telle affabulation ?
Le mystère du routier
"Dans l'enquête, justement, cette rumeur a été rudement explorée, et les enquêteurs sont remontés jusqu'à un routier qui prétendait avoir vu Christine Villemin avec Bernard Laroche à la sortie d'un bois", explique Patricia Tourancheau.
"Il y a eu des enquêtes très, très poussées pour retrouver ce type, et en fait c'était l'homme qui a vu l'ours, qui a vu l'ours, qui a vu l'ours… C'était faux. D'une part, que Bernard Laroche et Christine Villemin aient pu avoir une amourette, et a fortioriGrégory n'était pas l'enfant illégitime de Bernard et les analyses ADN l'ont prouvé", insiste la journaliste.
De son côté, Thibaut Solano, auteur de La Voix Rauque (ed. Les Arènes) estime plausible que les divagations autour de la supposée liaison soient du fait des enquêteurs. "Je ne serais pas étonné d'apprendre qu'elles aient été propagées par la police, car elle privilégie la piste Christine Villemin, et dans l'hypothèse, c'était de mèche, peut-être, avec Bernard Laroche", examine-t-il.
"Dans ce dossier il y a eu plein de rumeurs sur d'autres enfants illégitimes, et finalement toutes les analyses ADN qui ont été faites, parfois post mortem, ont démontré que chaque enfant a grandi avec ses véritables parents", ajoute Patricia Tourancheau.
Dans cette marmaille où tout le monde est le secret de quelqu'un, les ragots vont bon train. Parmi les théories qui éclairciraient le mobile du crime de Bernard Laroche, certains avancent la bonne santé de Grégory comparée à celle de son propre fils, Sébastien.
Sébastien Laroche, l'enfant malade
Selon nos informations, le premier enfant Laroche, âgé de quatre ans au moment des faits, était source de discorde au sein du couple. Sept mois après la naissance de Sébastien, le pédiatre de la famille annonça aux parents que leur bébé souffrait d'un kyste à la tempe droite, empêchant une circulation normale du liquide céphalo-rachidien dans le cerveau du petit.
Une anomalie causée, à l'accouchement, par l'utilisation d'un forceps pour faciliter l'enfantement. Sébastien est condamné à vivre avec une valve derrière l'oreille et un cathéter relié à la vessie. "Par exemple, il ne va pas pouvoir entrer en maternelle à 3 ans contrairement à Grégory, alors qu'ils ont quoi, un mois d'écart ? Ces difficultés font que ça attise encore les problèmes, les soucis et la mésentente au sein du couple", nous rapporte Patricia Tourancheau.
Sa fierté touchée, Bernard Laroche était jugé "très chatouilleux" sur tout ce qui concerne son fils. Si bien qu'à un dîner de famille, sa femme et lui ne s'adressent pas la parole de tout le repas. Une atmosphère électrique remarquée par les autres membres de la table, dont Ginette Lecomte, la femme de Michel Villemin.
Entre deux discussions, Ginette s'enquiert de ce qui se passe auprès de Marie-Ange. Cette dernière lui confie avoir fait part de son désir d'avoir un deuxième enfant à son mari, qui aurait refusé en lui lançant qu'il ne partageait pas cette envie car elle n'était pas capable de lui en faire un "normal".
Une version de l'histoire que ne partage absolument pas la mère de famille dans son livre. Au contraire, Marie-Ange suggère un mari et un père comblé, fou de joie à l'idée d'accueillir une nouvelle tête blonde chez les Laroche. Il voulait une petite fille : ce sera un garçon, qu'il ne connaîtra jamais. Marie-Ange lui donnera le prénom de son père, Jean-Bernard.
L'enfance de Bernard Laroche, sujet de tous les fantasmes
Dans le colossal arbre généalogique des Villemin, personne n'est épargné par la calomnie, et les mioches n'échappent pas à la règle.
Depuis tout petit, Bernard Laroche voit son identité être au cœur de tous les fantasmes. Là encore, les rumeurs d'illégitimité prospèrent : Thérèse, sa mère, est morte en couches en le mettant au monde et son père, Marcel, a remis son éducation entre les mains de ses grands-parents maternels, Léon et Adeline Jacob.
Bernard est très souvent recueilli chez Monique et Albert, où il passe ses journées à personnifier Thierry la Fronde avec ses cousins Jacky, Michel et Jean-Marie. "Bernard Laroche, c'était un gars bien. Je le pense encore maintenant. Il a été élevé par mes parents. Je peux dire que je lui ai torché les fesses, car ma soeur Thérèse était morte en couches à l'âge de 24 ans", confiait, en 1985, Monique Villemin à Jean Ker dans Paris Match.
Bernard Laroche, "bâtard" lui aussi ?
À la mort de Marcel, en 1982, Monique Villemin fait le ménage dans la ferme familiale. "Elle découvre une lettre que Thérèse, sa sœur, avait écrite", nous apprend Patricia Tourancheau.
Si personne ne sait vraiment ce que contient cette missive, il ne faut pas attendre longtemps pour qu'elle devienne prétexte à de nouvelles médisances.
"Visiblement, Monique en déduisait des soupçons sur le véritable père de Bernard. Mais comme je l'ai dit tout à l'heure, tout cela a été analysé et Bernard Laroche était bien le fils de son père", poursuit la journaliste. Thibaut Solano complète : "On ne sait pas ce que Thérèse écrivait dedans, c'est possible que ce soit des mots comme : 'S'il m'arrive quelque chose, occupez vous de Bernard…'. Mais le fait de ne pas savoir ce qu'il y avait à l'intérieur de cette lettre a généré beaucoup de spéculations".
Dans la vieille ferme orange des grands-parents Jacob, Bernard a aussi grandi aux côtés de Marcel, son oncle. Des années plus tard, les deux compères sont restés très proches, et ils sont même voisins. "Jacqueline et Marcel Jacob habitaient à côté de chez Bernard Laroche, à 800 mètres disons à peu près, c'était la maison proche de la maison violette, celle des Jacob, ils étaient sur les hauteurs d'Aumontzey. Ils étaient très proches et travaillaient ensemble à l'usine", expose Patricia Tourancheau.
Et dans la vallée, la ferme orange et la maison violette ne sont pas les seules demeures à abriter des secrets.
Violences conjugales, bâtards et échangisme : les autres secrets de la famille
La violence se serait-elle immiscée dans tous les foyers de la Vologne ? Chez les Villemin, les coups de sang d'Albert sont bien connus, et son fils, Michel, serait à son tour brutal avec son épouse Ginette. Même Jacky aurait un jour levé la main sur sa femme Liliane alors que cette dernière venait de subir une fausse couche, l'accusant d'avoir "fait exprès de perdre le bébé".
On dit que dans la fratrie, seuls Jean-Marie et Christine, soudés et plus "modernes", se détachent du schéma conjugal qui semble régner, à l'époque, dans la région. "Ils vont vivre à Lépanges, plutôt qu'à Aumontzey, confie Thibaut Solano. Ce n'est pas loin, mais il y a cette symbolique de s'éloigner un peu, et même culturellement ils trainent un peu le large, ils sont dans une société de consommation américanisée dans leurs références, c'est comme si les autres, à l'inverse, se condamnaient eux même à vivre dans le 'passé'".
Les violences conjugales, un passage rituel ?
Mais tout n'est pas rose chez le jeune couple. A croire que le poids de l'héritage traverse aussi les sentiments. Un jour, écrit Patricia Tourancheau dans son livre, Jean-Marie et Christine se disputent violemment, pour une broutille. Le mari lance à son épouse : "Tu te tais ou je te gifle"! Christine rétorque : "Vas-y!". Et la gifle part.
La jeune femme ne perd pas de temps : elle fait immédiatement ses valises, et prend le large. Elle ne finira pas comme sa belle-sœur, sa belle-mère, et tant d'autres femmes dans la région.
Pendant toute une après-midi, Jean-Marie, bousillé par les remords, la cherche partout dans le village. Il finit par la retrouver, deux jours plus tard, chez sa mère, à Laveline-devant-Bruyères. Il s'excuse, et Christine rentre. Mais elle ne reviendra pas deux fois si Jean-Marie lève encore la main sur elle.
Dans la famille Villemin, l'incident fait grand bruit, mais pas pour les raisons que l'on pourrait imaginer. Les femmes du clan s'offusquent, en effet, que Christine ait pris la mouche pour si peu : il n'y avait vraiment pas de quoi faire tout un plat d'une "petite gifle". A croire que les violences conjugales sont un passage rituel, obligé, coutumier… Tout comme l'adultère ?
La Vologne, un nid de "bâtards", croasse le corbeau
Le récit du corbeau à ce sujet, en tout cas, est limpide : les femmes sont toutes infidèles, et la Vologne est un nid de "bâtards".
Tout le monde y passe : les enfants de Monique, Bernard Laroche, ou encore Jean-Marie Villemin seraient nés hors mariage, mais aussi, de façon plus surprenante… Le fils de Michel Villemin, Daniel. A l'époque, le bambin est âgé de 3 ans, comme Grégory.
Dans une interview à Paris Match, en septembre 1985, Albert Villemin raconte : "À Michel, il avait dit aussi : 'Ton gamin, c'est pas de toi, c'est de Popof (Laroche)'. Et mon fils lui avait répondu : 'Tu fais une grosse erreur. Mon fils, c'est bien un Villemin'".
Un "incident" entre Bernard Laroche et Ginette Villemin
C'est que l'oiseau était peut-être au courant de cet "incident", datant de 1979, mentionné par Thibaut Solano dans La Voix Rauque. Ce soir-là, la famille est réunie chez Michel et Ginette. L'alcool coule à flot, l'ambiance est festive. MichelVillemin, fatigué, part se coucher plus tôt.
Bernard Laroche en aurait alors profité pour inviter Ginette à danser. Au beau milieu de leur étreinte, il lui aurait susurré : "Je t'aime… Il y a longtemps que je t'aime".
La jeune femme, déconcertée, aurait fini par raconter la scène à son mari quelques jours plus tard. Michel, vert de rage, aurait décidé de tirer un trait sur son cousin, qu'il considérait pourtant comme un frère. La brouille, cependant, ne s'est pas éternisée, et les deux amis ont fini par se réconcilier autour de plusieurs verres.
Lors de son audition en garde à vue, le 31 octobre 1984, Bernard Laroche mentionne l'incident :
Bernard Laroche - Au début de l'année, mais je me souviens plus du jour, Michel Villemin est venu me voir. Il était très énervé parce qu'il venait de recevoir un coup de téléphone lui déclarant que j'étais le père de son enfant.
Gendarme - Que lui avez-vous répondu ?
Bernard Laroche - Que j'espérais bien qu'il n'en croyait pas un mot. Et Michel Villemin m'a répondu qu'il avait confiance en moi.
Gendarme - Il y a eu quelque chose entre vous et Ginette Villemin ?
Bernard Laroche - Rien, jamais. Pour en revenir au coup de fil, je pense que c'était quelqu'un qui devait bien me connaître, puisqu'il a dit : "C'est Popof le père de son enfant". Y a que dans la famille qu'on me connaît comme ça. Au travail on m'appelle "Cailloux".
Monique Villemin, gardienne des derniers secrets ?
Mais les on-dits n'ont pas fini, pour autant, de déchirer la famille. En septembre 1985, le corbeau, silencieux depuis le lendemain du crime, reprend du service, et adresse un nouveau courrier à Albert et Monique Villemin.
"Je vous ferai encore la peau, à la famille Villemin. Prochaine victime : Monique." peut-on lire sur la missive. Il faut dire que la matriarche est, elle aussi, au cœur des intrigues, sans que l'on ne sache vraiment trop pourquoi.
Depuis son entrée en service, le mystérieux corbeau de la Vologne ne cesse de la pointer du doigt. Il distille, en tout cas, un fait : "la Monique" en sait bien plus qu'elle ne veut en dévoiler. La preuve : elle n'a même pas osé avouer à son fils Jacky qui était son vrai père.
Pour Patricia Tourancheau, "dans le langage du corbeau, Monique est la putain, la marie-couche-toi-là. Il y a beaucoup d'injures sexuelles et compagnie à l'encontre de Monique".
Monique Villemin serait surtout la gardienne des derniers secrets du clan, et pas des moindres. Le dénominateur commun à tous les protagonistes, à tous les scandales. Elle a passé sa vie à défendre tous ses enfants : Jacky, Michel, quand ils étaient accusés par Jean-Marie d'être derrière les agissements tordus du corbeau.
Elle a même soutenu Bernard Laroche, qui était pour elle "comme un gosse". Et puis, Monique est prise dans les entrelacs d'un conflit de loyauté certain. Elle se doit aussi de défendre son clan, les Jacob.
"Elle sait, mais elle a peur de la vérité, ta mère", persifle un jour le corbeau en échangeant avec Jean-Marie.
Après la mise en examen de leur bru, Christine Villemin, Monique et son mari Albert se portent partie civile. Il se murmure que la marâtre aurait même "sauté de joie" en apprenant la mise en cause de la mère de Grégory. Le revers est difficile à encaisser pour Jean-Marie, qui s'éloigne de ses parents.
Lors de son propre procès, pour l'assassinat de Bernard Laroche en 1993, il exhorte en pleine audience sa génitrice à retirer le masque, et à tout confesser. Elle jurera qu'elle n'a rien à dire, que la famille sait déjà tout. Vraiment ?
"Je pense que Monique savait certaines choses en ce qui concerne le crime de Grégory, elle aurait pu faire certaines révélations, mais elle ne l'a pas fait pour des raisons qui lui appartiennent", déclarait Me Thierry Moser, avocat de Christine et Jean-Marie Villemin, à l'AFP en 2020.
Ses secrets, quels qu'ils soient, l'ont suivie dans la tombe. Monique Villemin est décédée des suites du Covid-19 le dimanche 12 avril 2020 à l'Ehpad de Baccarat (Meurthe-et-Moselle). Elle avait 88 ans.
Les Jacob, un couple échangiste ?
Plusieurs paires d'yeux se sont aussi rivées sur un autre couple depuis le début de l'affaire, même s'il a fallu attendre de nombreuses années avant que la justice ne s'intéresse sérieusement à eux. Il s'agit des Jacob : Marcel, le frère de Monique Villemin, et sa femme, Jaqueline. Ils vivent sur les hauteurs d'Aumontzey, à quelques mètres des Laroche.
Dans la famille, on sait que Marcel, le costaud, ne porte pas Albert dans son cœur. Et à l'évidence, le syndicaliste ne figure pas non plus parmi les admirateurs du fils "prodige", Jean-Marie.
En 2017, ils sont surtout au cœur d'un deus ex machina qui enflamme la presse et déchaîne à nouveau les passions, 33 ans après le meurtre du petit Grégory.
Au mois de juin de cette année-là, les époux Jacob sont mis en examen pour "séquestration" et "enlèvement suivi de mort". On soupçonne Jacqueline d'être derrière certains écrits du corbeau, et on pense tenir le mobile du crime de haine dans la rancœur tenace qu'entretenait Marcel à l'égard des hommes Villemin. Et puis, le couple était très proche des Laroche : le scénario d'un crime à plusieurs se dessine.
Dans les médias, c'est le grand déballage. On cherche à savoir qui sont ces deux figures, jusqu'ici restées dans l'ombre de l'affaire, et on déballe force rumeurs sur leur vie privée.
Marcel et Jacqueline, âgés de 72 ans en 2017, se seraient tout d'abord fâchés avec leur fille unique Valérie pour d'obscures raisons. Cette dernière témoignera dans la presse, racontant son enfance avec des parents secrets et autoritaires, adeptes de l'échangisme… et absents.
Leur fille raconte qu’ils ont tous les deux été échangistes et qu'en gros, on la virait de la maison, on la mettait de côté pour recevoir des amis et même occuper son propre lit, à elle. - Patricia Tourancheau
En 1991, Jacqueline aurait quitté le domicile conjugal pour roucouler avec un amant. Elle finit par revenir. Selon sa fille, convaincue que les parents partagent un lourd secret qui les rend de fait inséparables, Marcel aurait pu la faire chanter pour la récupérer.
Des foutaises, pour Me Frédéric Berna, l'avocat de Jacqueline Jacob.
Il y a eu des ragots sur leurs histoires d'échangisme, c'est un peu vrai, mais ce qu'il faut retenir, c'est que Marcel et Jacqueline étaient un couple d'ouvriers textiles dans la Vologne, comme il y en avait un certain nombre, et leur vie privée était leur vie privée, tempère le conseil. Cette histoire, comme quoi à un moment, Jacqueline Jacob serait partie avec un autre homme, ce sont des histoires à la con. Ce qui est notable, en revanche, c'est qu'il y a eu une fâcherie avec leur fille pour une raison que je ne connais pas, mais qui fait que Valérie est partie en vrille. Elle a alimenté la connerie, des ragots débiles, elle racontait n'importe quoi, elle a accusé ses parents d'être les assassins de Grégory…
Échangistes, peut-être, mais coupables ?