Crise de la cinquantaine : "C'est une seconde adolescence"Istock
INTERVIEW. Comment réagir lorsqu'on atteint le milieu de sa vie ? Si certaines personnes vivent bien cette période, d'autres remettent tout en cause. Que se passe-t-il réellement lorsqu'on traverse sa crise de la cinquantaine ? Anasthasia Blanché, psychanalyste et psychosociologue, donne les clefs pour bien comprendre cette période délicate de sa vie.
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C'est une période de la vie redoutée par certains, inattendue pour d'autres. Alors qu'on parlait avant de crise de la quarantaine, on évoque désormais une crise de la cinquantaine. Traverse-t-on réellement deux crises différentes ? Non, cette crise de milieu de vie est la même, elle s'est juste décalée de quelques années avec l'augmentation de l'espérance de vie. Arrive un moment de nos vies où on remet en cause de nombreuses choses, sur tous les plans. A quel moment comprend-t-on qu'on traverse une telle crise ? Comment y faire face ? Anasthasia Blanché est psychanalyste et psychosociologue. Elle donne les clefs pour comprendre cette crise de la cinquantaine et l'aborder au mieux.

La crise de la cinquantaine existe-t-elle vraiment, alors qu’il y a déjà une crise de la quarantaine ?

Anasthasia Blanché : C’est la même chose en réalité. On parle de la cinquantaine car, comme nous vivons plus vieux, la crise se déplace. Avant on parlait de la quarantaine parce qu’on était en milieu de vie à ce moment-là mais aujourd’hui ça se passe autour de la cinquantaine. Attention, ce n’est pas un chiffre exact, cette crise peut commencer vers 45 ans et jusqu’à 55 ans, ce n’est pas vraiment à 50 ans pile. C’est une indication.

Crise de la cinquantaine : "C'est un temps de la vie où on fait un bilan"

Comment se manifeste cette crise de milieu de vie ?

Anasthasia Blanché : Quand on atteint 45-50 ans on est vraiment au milieu de sa vie. Il va y avoir un questionnement qui va arriver et qui peut créer un certain trouble. Pour certaines personnes, ça se passe de façon plus tranquille, presque en sourdine, mais pour d’autres il va y avoir des manifestations plus importantes en termes de remise en cause. Cette crise de la cinquantaine touche les grands thèmes de la vie d’une personne : le métier, le travail et le couple. Il peut y avoir un certain trouble, une insatisfaction qui émergent.

Pourquoi apparait-elle vraiment à ce moment-là de la vie ?

Anasthasia Blanché : C’est un temps de la vie où on fait un bilan, on a une quarantaine d’années derrière soi et on se pose des questions sur son futur. Les psychanalystes l’appellent même la seconde adolescence, je dis que c’est plutôt une phase de croissance. En fait on reprend les mêmes thèmes qu’on retrouve à l’adolescence : la transformation du corps, la transformation psychique et la transformation sociale. Le corps se transforme avec un vieillissement qui se met en place tout doucement et, au niveau psychique, on a de nombreuses questions qui émergent et qui vont concerner l’être qu’on est. Qui suis-je ? Qu’elle est mon identité ? Enfin au niveau social, on va s’interroger sur la place qu’on a dans la société, ce qui va concerner le domaine professionnel.

Crise de la cinquantaine : "Pour les femmes, c'est par le corps que ça se manifeste"

Cette crise de milieu de vie touche-t-elle à la fois les hommes et les femmes ?

Anasthasia Blanché : Elle touche les hommes et les femmes de la même manière, mais elle ne se manifeste pas de la même façon. Les femmes ont tendance à plus en parler, à échanger avec leurs amies, à suivre une psychothérapie par exemple. On pourrait donc penser qu’elles sont plus nombreuses à être touchées mais ça se manifeste chez les hommes aussi. En fait il se produit quelque chose qui vient des profondeurs de notre psychisme et qui va nous interroger, qu’on soit un homme ou une femme. C’est une évolution dans le chemin de la vie mais, pour les femmes, c’est souvent par le corps que ça se manifeste, ce qui les touche beaucoup. C’est souvent moins important pour les hommes, chez eux c’est surtout leur métier qui va être touché mais ils vont moins le manifester, moins le dire.

Certaines personnes sont-elles plus disposées à passer par cette crise ?

Anasthasia Blanché : Il peut y avoir certains traumatismes, souvent dans l’enfance, chez certaines personnes. Cette crise peut remobiliser les blessures de l’enfance qui n’ont pas été bien cicatrisées, bien réglées. Tout dépend de l’histoire de vie de la personne et de la façon dont elle a pu se débrouiller jusqu’à présent pour faire face à des événements inquiétants qui peuvent arriver dans une vie. C’est un moment avec des questions et, selon le type de fragilité qu’on a eu, on va plus ou moins être secoué à ce moment-là.

Crise de la cinquantaine : "C'est normal d'être un peu troublé à cet âge-là"

Comment faire lorsqu’on est confronté à cette crise ?

Anasthasia Blanché : Il faut d’abord être un peu averti sur le fait qu’il est normal qu’à cet âge-là on soit un peu troublé. Il ne faut pas être dans l’évitement, en ne voulant rien écouter de ce qu’il se passe en soi, il faut être conscient qu’on va devoir accueillir cette crise. Si c’est trop douloureux il ne faut pas hésiter à se faire accompagner par un psy et nous recevons beaucoup de personnes de cet âge-là.

Qu’est-ce qui nous pousse à nous interroger à ce moment-là de notre vie ?

Anasthasia Blanché : Au fond de notre psychisme, il y a quelque chose qui nous questionne : qu’as-tu fait ? Qu’est-ce que tu as fait de tes rêves ? Il peut y avoir des événements extérieurs, comme un licenciement ou un divorce aussi et qui nous poussent à nous interroger. Jusqu’à cet âge là, on est très souvent dans la conformité, on veut être conforme aux attentes de nos parents, de la société, du travail, et là il y a quelque chose qui pousse et qui dit : "Moi j’ai envie d’exister". Il faut être à l'écoute de ce qu’il se passe en soi et ne pas le vivre passivement. C’est important de prendre ça en main, de se dire qu’il n’y a rien d’inquiétant sauf si on déprime trop.

Crise de la cinquantaine : "Il faut être dans une écoute bienveillante"

Comment faire lorsque son mari ou son épouse est confronté(e) à cette crise ?

Anasthasia Blanché : La première chose à faire c’est d’écouter mais tout dépend aussi de la façon dont le couple discute. Dans certains couples, les femmes ont plus tendance à parler et échanger lorsqu’elles ont des questions, ce qui est moins le cas des hommes. Donc ce qu’il faut faire c’est écouter l’autre, être très bienveillant car on sait qu’il traverse quelque chose de délicat. Il faut être dans une écoute bienveillante et ne pas trop s’agacer quand, parfois, l’autre est un peu irritable. Mais, lorsqu’on traverse cette crise, il faut aussi essayer de ménager ses proches, essayer de ne pas trop les envahir avec ses questions. Il faut signifier qu’on ne va pas bien, qu’on n’a pas envie de parler, mais que ce n’est pas l’autre qu’on rejette, qu’on a juste besoin d’un temps pour réfléchir à sa vie.