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Elles étaient supposées créer un univers plus sécurisé. Pourtant les nouvelles technologies multiplient les risques de violences en augmentant le panel d'actions possibles pour les agresseurs et les harceleurs. Votre maison elle même pourrait ne plus être sûre.
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Comment la technologie favorise la violence : un nouveau panel d’actions possibles

Google, Alexa, Siri… Ils peuvent tout faire. Programmer votre réveil, verrouiller votre porte d’entrée, surveiller votre maison ; rien ne semble hors de portée de ces assistants domotiques toujours plus performants. Sauf, peut-être assurer votre protection contre les violences et tout spécialement les violences conjugales, le plus souvent faites aux femmes comme le souligne un article de Slate.

Pire, même, certaines technologies pourraient aggraver la situation. Pour Frédéric Mouffle, expert en cyber-sécurité, conférencier sur les menaces émergeantes et directeur général associé du groupe ASKM/KER-MEUR "elles élargissent le panel d’actions possibles des agresseurs ou des harceleurs". "La technologie, ce n’est pas forcément neuf, apporte de nouveaux outils aux harceleurs. Des outils informatiques, par exemple, peuvent constituer un nouveau support pour un scope beaucoup plus large", indique le spécialiste. "Potentiellement, les nouvelles technologies offrent aussi davantage d’impunité parce qu’il est possible pour un individu de s’anonymiser", poursuit-il.

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Souvent, ces harceleurs profitent d’accès dont ils disposaient légitimement à un moment ou à un autre. Un ancien compagnon, par exemple, pourrait avoir encore accès à un réseau de vidéosurveillance commun, une adresse mail ou un serveur privé. "Le potentiel d’espionnage et donc, mécaniquement, de contrôle sur la vie de sa victime est immense", assure Frédéric Mouffle. A ses yeux, le danger augmente d’ailleurs avec les objets connectés.

Comment la technologie favorise la violence : la domotique

"Il suffit de deux à trois données pour commencer à construire un réseau d’information fiable. Avec la maison connectée, c’est quelque chose d’extrêmement facile", commence Frédéric Mouffle. Il faut être très attentif, selon lui, aux données –et aux "non-données" – que l’on laisse involontairement filtrer.

"Quand on vit avec quelqu’un il n’est pas rare de partager des comptes ou des accès à certaines fonctionnalités. Si votre maison est protégée par un réseau de vidéosurveillance, il peut être utilisé contre vous, pour vous surveiller", détaille l’expert. "La victime de ces violences n’est même pas nécessairement au courant, mais elle est espionnée. Le simple fait de couper l’accès à un ancien compagnon abusif lui fournit une information à proprement parler : il est en mesure de comprendre que les choses changes. Et cela ne concerne pas que la vidéosurveillance…"

Dans son article, Slate évoque la possibilité d’entrer par effraction chez un(e) ancien(ne) petit(e) ami(e), simplement en demandant à l’assistant vocal d’en dévérouiller la serrure. "Il est primordial de bloquer des accès qui étaient légitimes et qui ne le sont plus aujourd’hui. Autrement le harcèlement perdurera, c’est certain", avance Frédéric Mouffle. La maison demeure-t-elle un lieu sûr, demande Slate ? En pratique, on sait que l’énorme majorité des agressions proviennent de l’entourage proche des victimes…

"Plus il y a d’objets connectés chez vous, plus le risque augmente", explique Frédéric Mouffle. Selon lui, il incombe à chacun de connaître les objets connectés qui fonctionnent chez soi pour mieux identifier les menaces potentielles.

Comment la technologie favorise la violence : les outils purement informatiques

Il existe aussi des techniques moins compliquées à mettre en place, précise le spécialiste. "Dans le cadre de différentes enquêtes policières sur lesquelles nous avons collaboré, nous avons pu constater des combines simples, mais efficaces", commence Frédéric Mouffle. "Souvent les personnes malveillantes espionnent leurs victimes par le biais de boite mail, d’accès à un compte sur un réseau social ou sur un serveur privé. Changer le mot de passe est une première étape mais il est rare que cela suffise", assure-t-il.

En effet, des manipulations très simples permettent de conserver l’accès à de nombreuses données en dépit d’un changement de mot de passe. "Ce que les victimes ignorent souvent, c’est qu’un harceleur est susceptible de programmer une redirection de mail qui lui permettra de recevoir également l’intégralité des mail reçus par la victime. Et ce, à son insu. Si elle ne consulte pas les paramètres avancés de sa messagerie, elle n’aura aucun moyen de le savoir".

Ce n’est pas le seul risque : sans disposer d’un accès direct à un serveur privé, il est possible d’en exploiter les données de sauvegarde. "Les sauvegardes sont réalisées à intervalles réguliers, généralement journaliers. Votre espion pourrait donc avoir accès un panel d’informations actualisées régulièrement à chaque nouvelle sauvegarde. C’est presque comme s’il accédait à toutes les infos sur le serveur, le temps de latence en plus. Là encore, il y a un vrai potentiel d’espionnage et de contrôle sur la vie privée de la victime. D’autant plus qu’il est souvent très difficile de remonter jusqu’à la source d’un tel espionnage et donc d’y mettre un terme", assène l’expert en cyber-sécurité.

Comment la technologie favorise la violence : balises GPS, applications de contrôle à distance

Les leviers pour espionner et harceler une victime potentielle sont multiples, comme l’explique Frédéric Mouffle. Toutefois, il faut aussi se méfier d’objets à l’apparence anodine. Dans son article Slate relate différents exemples très perturbants. En Australie, un ex violent avait ainsi trafiqué la poupée de sa fille pour y insérer une balise GPS. Il était informé en temps réel de tous les déplacements de son enfant… Et par conséquent de ceux de sa mère. D’autres se sont servi du collier du chien de la même façon, pour recueillir des informations sur leur proie.

Mais ces violences sont loin de s’arrêter à du simple espionnage, comme l’indiquent le pure-player et Frédéric Mouffle qui y voient tous deux un potentiel de "contrôle sur la vie de la victime".

D’abord parce que ces nouvelles formes de violence peuvent survenir au sein même du foyer sans avoir besoin d’être poursuivi par un ex violent. S’il est possible de déverrouiller une porte, il est également possible d’enfermer quelqu’un à l’intérieur en lui refusant l’accès au réseau domotique par exemple.

En outre, le contrôle à distance instauré par de nombreuses applications permettent aussi de faire tinter la sonnette de la porte d’entrée au milieu de la nuit, ou d’allumer les lumières, régler le chauffage, lancer la musique, indique le journal. "Chaque objet connecté peut devenir un danger", estime le spécialiste.