INTERVIEW. Emmanuel Macron s'intéresse-t-il toujours aux Français ?

Publié par Matthieu Chauvin
le 18/09/2025
Emmanuel Macron et le Président polonais
abacapress
© Abdullah Firas/ABACA
Mais où est-il, que fait-il ? Depuis des semaines maintenant, les apparitions du président de la République sont rares. Surtout, lorsqu'il s'agit d'évoquer le quotidien et le futur des Français. Alors on se pose la question : à moins de 2 ans de la fin de son second mandat, Emmanuel Macron s'interésse-t-il encore à eux, lui qui semble préférer s'afficher à l'international ? Nous avons demandé son analyse à Christophe Boutin, politologue et conférencier.
 

Mais où est, que fait, Emmanuel Macron depuis des semaines de quasi absence médiatique, ce qui n'est pas du tout son genre ? Certes, on sait qu'il a réalisé des tractations avec François Bayrou, avant d'accepter sa démission. Puis de nommer son remplaçant, le "fidèle" Sébastien Lecornu, au poste de Premier ministre. Il travaille.

Emmanuel Macron : le président "international" ?

Hormis à l'occasion de commémorations à travers le pays et les des discours convenus qui vont avec, dans quelques vidéos sur ses réseaux sociaux (dont une sur laquelle il vantait la Japan Expo à Paris et le jeu de cartes pour enfants et adolescents Yu-Gi-Oh!, visiblement très fier de lui) ou celle, dont on voit un extrait en introduction de cet article, où il recevait le Président polonais Karol Nawrocki à l'Elysée, on ne le voit plus, on ne l'entend plus. 

La Palestine passe avant les Français ?

Il semble qu'il préfère s'exposer loin de la France et de ses problèmes insolubles, de la colère sociale qui y règne. Il sera le 22 septembre au siège de l'ONU à New York pour annoncer la reconnaissance de la Palestine, puis on ne sait où encore... Posons la question, Emmanuel Macron s'intéresse-t-il encore aux Français, moins de 2 ans avant la fin de son mandat ? Nous avons demandé Christophe Boutin de nous livrer son analyse.

"Le Président est un boulet pour le Premier ministre"

Planet.fr : Posons la question directement : Emmanuel Macron, si friand de toute exposition médiatique, est devenu "invisible." S'intéresse-t-il encore aux Français ?

Christophe Boutin : Premier élément : le Président actuellement est plus un "boulet" pour Sébastien Lecornu qu'autre chose... Si ce dernier rencontre des problèmes c'est aussi parce qu'il est perçu comme le fidèle exécutant, ce depuis le début, de la politique d'Emmanuel Macron. Cette politique met aujourd'hui les Français dans la rue...

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Planet.fr : Cette absence est une stratégie ou de la lassitude, celle d'avoir le sentiment d'être incompris des Français ?

Christophe Boutin : Pour laisser à Sébastien Lecornu une chance de pouvoir négocier, il faut peut-être effectivement que le Président n'apparaisse pas en première. Je pense qu'il est conscient du fait qu'il doive passer au second plan. 

Le Président tapi dans l'ombre ?

Planet.fr : Emmanuel Macron reste actif, mais dans l'ombre ?

Christophe Boutin : C'était intéressant, parce dans le communiqué de l'Elysée publié le soir de la nomination, il était indiqué que c'était lui qui chargeait Lecornu de faire les consultations. Alors que dans le communiqué publié après la nomination de Michel Barnier, le Président s'était "vanté" d'avoir fait lui-même les consultations... Aujourd'hui il délègue à monsieur Lecornu, mais, il y a quand même un encadrement.

Planet.fr : Ce qui est paradoxal c'est que le Premier ministre semble avoir le champ libre.

Christophe Boutin : Dans le même communiqué on nous dit que l'action du Premier ministre va être guidée par l'indépendance, la puissance, le service aux Français ou la stabilité du pays. Ce sont des éléments qui sont assez proches de ce qu'on appelle "les pouvoirs présidentiels" tels qu'on peut les déceler dans l'article 5 de la Constitution. Emmanuel Macron "refile le bébé", mais entend qu'on ne l'oublie pas...

Planet.fr : C'est toujours Emmanuel qui "tire les ficelles" ?

Christophe Boutin : Non, il veut montrer qu'il n'est pas inexistant. D'ailleurs il y a une formule très ambigüe employée dans ce communiqué, selon laquelle le Premier ministre va proposer un gouvernement au Président. Et non pas imposer. Ca a toujours existé, même en période de cohabitation.

Le repli stratégique d'Emmanuel Macron

Planet.fr : Alors pourquoi prendre autant de recul ?

Christophe Boutin : Cela fait un bout de temps que, pour ne pas être trop touché directement, et en même temps ne pas être un poids pour l'action de ses ministres, qu'Emmanuel Macron se replie sur les domaines classiques de la présidence qui sont la défense et les affaires étrangères, ce qu'on appelle parfois à tort "le domaine réservé" du président de la République.

Planet.fr : Mais vu la colère sociale qui règne dans le pays, ne devrait-il pas prendre la parole ou agir comme lors de la crise des Gilets jaunes ?

Christophe Boutin : Je ne vois pas comment il pourrait intervenir face à des gens qui demandent son programme, au mieux, ou sa démission pure et simple. Comme il n'a pas l'intention de la poser et qu'il souhaite une grand évolution programmatique, se mettre au premier plan serait tout à fait inopérant. Ce serait même mettre de l'huile sur le feu. Car il ne change absolument pas de ligne.

Planet.fr :  C'est parce qu'il ne veut rien changer à la politique qu'a essayé d'imposer François Bayrou qu'il reste en retrait .

Christophe Boutin : Il entend bien continuer à mener sa politique dans certains domaines, notamment dans le domaine économique, ce qui est actuellement contesté par une grande part des Français.

"Le cercle de la raison" seul décideur

Planet.fr : Emmanuel Macron n'en est-il pas arrivé au point d'avoir une forme de mépris pour les "masses", ce qui expliquerait sont jusqu'auboutisme ?

Christophe Boutin : Disons qu'il est persuadé que seuls ceux qui font partie du cercle de la raison sont aptes à décider. Mais ces derniers réfléchissent comme lui et ont rarement le sentiment que le "peuple" fasse partie de cercle. Au contraire, ils pensent que les choix populaires sont souvent irrationnels, qui ne sauraient être adaptés à la mise en oeuvre d'une politique.

Planet.fr : Ce n'est pas du mépris mais une pensée élitiste ?

Christophe Boutin : Oui, c'est une pensée selon laquelle le peuple encore une fois est soumis à des choix irrationnels, a ses passions, et c'est la raison qui doit s'imposer, face aux passions. Parfois même de façon violente quand il s'agit de mater ces passion à coups de lanceurs de grenades.

Compassion et empathie : des termes qui ne concernent pas le Président

Planet.fr : Il garde l'espoir de convaincre le "peuple" ?

Christophe Boutin : Oui, Emmanuel Macron espère convaincre. Il l'a tenté des dizaines de fois par ses allocutions télévisées ou par le grand débat qu'il a mené après la crise des Gilets jaunes. Il l'espère de bonne foi parce qu'il est persuadé qu'il a raison. Il est très surpris quand les gens ne l'acceptent pas et il a du mal admettre ce rejet de ce qui semble pour lui la seule solution possible. C'est un travers naturel mais exacerbé chez Emmanuel Macron.

Planet.fr : Est-ce que vous pensez qu'il éprouve de la compassion pour la situation des Français ?

Christophe Boutin : Je ne pense pas que la compassion ou l'empathie soient des termes qui concernent beaucoup Emmanuel Macron.

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