Fuites sur Israël : les délibérations du Conseil des ministres sont-elles secrètes ?

L’Express, Challenge, BFM… Les éditos n’ont pas manqué, et la polémique ne cesse d’enfler. Rappelons brièvement les faits : lors du Conseil des ministres du 15 octobre 2024, le président de la République aurait déclaré que “M. Netanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l’ONU, par conséquent il ne devrait pas s’affranchir” des décisions de l’institution, selon des propos rapportés par une source gouvernementale au Parisien.
Frictions diplomatiques avec Israël
L’Etat hébreu a d’abord répliqué dans un communiqué. Le lendemain, le chef du gouvernement israélien qui n’a, bien sûr, que peu goûté les propos de son allié, a jugé dans une interview au Figaro que le président français s’est livré à “une affligeante distorsion de l’Histoire”.
Après cette “fuite” qui a suscité de vives réactions en France et dans le monde, Emmanuel Macron s’est exprimé sur le sujet lors d’une conférence de presse le jeudi 17 octobre. Il a fustigé journalistes et ministres, estimant notamment que ses propos avaient été rapportés de manière “déformée”.
“Notre travail ne peut se résumer à reprendre les déclarations officielles”
Peu après l’Association de la Presse Présidentielle a publié un message sur X (ex Twitter), pour dénoncer les propos du chef de l’Etat et défendre la liberté d’expression :
“Le Président met ici gravement en cause la déontologie de la presse qui enquête et recoupe ses sources avec rigueur. Notre travail ne peut se résumer à reprendre les déclarations officielles. La définition du journalisme ne saurait être une prérogative présidentielle.”
Ce lundi 21 octobre, L’Opinion a divulgué le nom de la ministre qui serait à l’origine de la fuite.
Au-delà de la controverse politique, diplomatique voire historique, l’affaire soulève une question de droit : ce qui se dit lors d’un Conseil des ministres est-il vraiment voué à rester confidentiel ?
Compte rendu intégral des délibérations
Si l’on s’en tient à la présentation que fait l’Elysée de ce Conseil qui se tient tous les mercredis dans l’un des salons du palais, il incombe au “Secrétaire général du Gouvernement [de] rédige[r] un compte rendu intégral des délibérations, tandis qu’un communiqué est diffusé aux médias”. En l’occurrence, les documents disponibles concernant le Conseil du 15 octobre, sont, à l’instar des précédents, une vidéo de la conférence de presse tenue par la porte-parole du gouvernement - Maud Bregeon dans l’équipe de Michel Barnier - ainsi que sa transcription intégrale, ainsi qu’un résumé des textes (projet de loi, ordonnances et nominations) approuvés à cette occasion.
Il ne s’agit donc pas d’un compte rendu intégral et exhaustif des échanges ayant eu lieu entre les personnes présentes lors de ce conseil. Cela signifie-t-il que les paroles prononcées par celles et ceux qui participent à cette réunion centrale dans la vie politique du pays sont couvertes par une forme de “secret des délibérations” ?
"Secret du débat"
La Constitution n’en fait pas mention, et nous n’avons pas trouvé de loi qui le précise expressément. Cependant, si l’on en croit cette analyse livrée sur le site du Conseil constitutionnel par Olivier Gohin, professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon Sorbonne :
“Le secret des délibérations qui vaut pour les autorités juridictionnelles peut être appliqué aussi aux institutions politiques et administratives, au sens du secret du débat et du vote au sein de ces institutions, pour autant qu'elles sont collégiales, que ce vote porte sur un avis ou sur une décision de l'institution concernée.”
Téléphones confisqués
Autre précision : à ce qui s’apparenterait au “secret professionnel”, s’ajoutent potentiellement des situations ou des dossiers protégés par le “secret de la défense nationale”. Cependant, le cas de paroles éventuellement prononcées en marge des délibérations sur un texte précis n'est pas clarifié.
En tant qu'organe de pouvoir s’il en est, la parole qui circule en Conseil des ministres est, de fait, étroitement contrôlée. D’ailleurs, depuis François Hollande, les téléphones portables sont confisqués pendant les séances. Une pratique qu’Emmanuel Macron aurait conservée mais qui n’empêche pas, dans la pratique, que des propos soient rapportés après-coup.